Que trouve-t-on au centre de notre vie, le ballon rond ou la prière ?
L’approche de l’été, la commémoration du Débarquement, l’imminence de la coupe du monde du football et la belle prière des trois grands monothéismes au Vatican nous permettent de nous interroger sur la marche de notre monde et le sens qu’il entend donner à notre vie : où allons nous ? Que faisons nous ? Qui contrôle ce qui se passe, ou devrais-je dire, ce que nous faisons, si cela a encore du sens…
Au cours des trois derniers jours, on a l’impression d’avoir vécu une parenthèse savamment orchestrée et subtilement mise en scène : une noble dame, plus très jeunes, avançant à petits pas dans les rues de Paris ou prononçant un savoureux discours dans la langue de Molière alors qu’elle avait dit ses tout premiers mots dans la langue de Shakespeare, des vétérans de la dernière guerre évoquant leurs souvenirs d’une voix chevrotante, et dès demain le brusque retour à la retour, sans amortisseur ni remède anti-choc : ai je besoin d’en donner la liste détaillée ? Non point.
Ce qui m’a incité à partager avec vous ses sombres considérations, n’est autre que le constat suivant : la grande disparité de traitement, à la télévision et à la radio, entre l’absence de deux joueurs français à la coupe du monde de football, et la grande prière qui aura lieu au Vatican ce soir ! On a certes parlé de cette rencontre au grand caractère spirituel mais les minutes qui lui sont consacrées sont sans commune mesure avec les heures cumulées des reportages portant sur des hommes dont l’unique mérite est de marquer des buts sur un terrain de foot et que le vide sidéral de notre vie morale et culturelle a propulsé vers les sommets : quels sont les idoles des jeunes, de nos enfants, aujourd’hui ? Ce ne sont ni Spinoza, ni Levinas, ni Sartre, ni Heidegger ni Socrate, ni même Platon, mais des gens qu’une ancienne ministre de la jeunesse et des sports avait jadis justement qualifiés de «caïds immatures des cités…» Il n’est pas exagéré de parler d’une véritable déchéance morale .
Comment expliquer cette désaffection de la jeunesse pour les vraies valeurs ? Comment en parler sans ennuyer, sans passer pour un ringard, un pisse-vinaigre (pardon pour cet égard de langage, faute d’équivalent à la charge évocatrice comparable), un décalé, un paumé ? On ne peut pas rejeter la faute exclusivement sur la presse même si sa responsabilité dans cette affaire est très lourde. En fait, c’est une crise civilisationnelle contre laquelle les armes de la religion, de la philosophie et de la littérature s’avèrent impuissantes. Quelle est la personne aujourd’hui que vous pourriez citer en exemple à vos enfants et qui ne soit ni un acteur, ni un sportif, ni une danseuse ? Regardez comment ces gens qui gagnent des millions et souvent s’expatrient afin de ne pas payer d’impôts, s’expriment à la télévision ? Et pourtant ce sont eux qui toujours font recette…
Je comprends fort bien que les gens aient besoin de s’amuser et de se détendre. On ne peut pas s’abîmer constamment dans le travail, la recherche et la méditation. Mais il faut un équilibre que nous avons perdu depuis longtemps. Cela ne sert à rien de stigmatiser cette course désordonnée vers le bonheur économique et matériel alors que les chômeurs se comptent par millions et que des ministres, français notamment, parlent de réduire ou de supprimer certaines aides et minima sociaux… La crise économique a dégénéré en crise morale. C’est la une chose bien plus grave. Plus personne ne croit en la politique ni aux politiques, pourtant dans la vie d’aujourd’hui, ce sont eux qui déterminent tout. C’est-à-dire notre vie quotidienne.
J’ignore la bonne solution, je crois, cependant, que l’ancien moule s’est brisé, qu’il faut réfléchir autrement et songer à des solutions absolument nouvelles. De plus en plus de gens vont passer du régime actif à celui de la retraite, tout en étant en bonne santé et en regorgeant d’énergie. Que faire pour assurer à ces futurs dizaines de millions d’inactifs une vie normale et décente, alors qu’ils peuvent encore travailler, quand ils le souhaitent, encore au moins une bonne quinzaine d’années ?
Je ne crois pas à la pertinence de la fameuse phrase attribuée à André Malraux et répétée en tout lieu ad nauseam : la religion et la spiritualité ne réussiront pas à s’imposer d’elles-mêmes. Y croire, c’est s’imaginer qu’on reviendra un jour sur la libéralisation des mœurs et la permissivité. C’est trop tard, les robes longues ne sortent aujourd’hui des penderies que pour les grandes soirées de gala…
Comment voulez vous que les gens s’intéressent à une prière collective des monothéistes ce soir alors qu’au même moment, ou peu après, se déroulera ce match de football que des millions de gens attendent avec impatience ? On signale qu’il ne reste plus aucune place dans le stade Pierre Mauroy de Lille…
Cela se passe de commentaire.