Jérôme Kerviel, grâce pour l’ancien trader..
Si cela continue, si cela se poursuit sur cette même lancée, cette affaire va devenir l’affaire du siècle, une cause célèbre ! Pourtant, le cas de cet ex trader Jérôme Kerviel ne laisse personne indifférent. Et il faut reconnaître aussi que la presse joue un rôle considérable dans cette affaire. Sans son concours, personne ou presque n’en aurait entendu parler. Depuis ses procès à répétition, intentés contre la Société Générale (laquelle adopte intelligemment un profil bas en disant qu’elle n’a aucun pouvoir pour ou contre l’exécution de la peine de prison décidée par les cours de justice), les journaux nous tiennent au courant de l’évolution et de la vie du célèbre marcheur qui se trouve encore en Italie (où il fut reçu par le pape François qui a fait un très beau geste d’amour du prochain et de manifestation d’indulgence. Après tout, l’humanité tout entière est une humanité pécheresse et nous sommes tous, d’une certaine manière, les descendants de Caïn, le meurtrier de son frère Abel.
Alors que faut il faire ? Devons nous nous mobiliser chaque fois qu’un homme est condamné par la justice pour un délit qu’il a commis et lui éviter ainsi l’emprisonnement auquel il est désormais astreint après avoir épuisé toutes les possibilités d’appel ? Cela est impossible et l’on sait que chaque jour que D- fait, tant de gens sont enfermés dans les geôles de Suisse et de l’Union Européenne.. Pourquoi M. Kerviel constituerait-il une exception ? J’avoue ne trouver aucune bonne raison et pourtant je serais très enclin à demander que grâce lui soit faite, ou, au moins puisqu’il est difficile de l’innocenter entièrement, d’aménager sa peine en quelque chose d’autre. Quoi, comment ? Je l’ignore, étant philosophe et non juriste. Mais je vois les sourcils des juristes purs et durs se froncer..
La Cour de Cassation a eu l’intelligence ou la bonté d’annuler le remboursement de la somme réclamée par la Société Générale et cette dernière a elle aussi fait preuve d’une relative mansuétude en n’insistant pas trop sur cet aspect financier controversé et qui l’aurait largement discrédité aux yeux de l’opinion, au motif qu’aux yeux de cette dernière, l’image des banques n’est pas très bonne.. En effet, il paraissait inhumain de condamner un homme au remboursement d’une amende si astronomique que même s’il avait sept vies comme un chat il n’y serait pas parvenu. Dans une civilisation judéo-chrétienne comme la nôtre, la civilisation européenne, il fallait faire preuve d’un minimum de compassion.
Reste la prison. Apparemment, cette peine d’emprisonnement est inéluctable. Car la justice est la même pour tous. Si l’on intervient pour cet ex trader, pourquoi ne pas en faire autant pour le laissé pour compte du coin qui brûle des voitures, agresse des passants ou commet des cambriolages ? Ce serait bien évidemment, mais seulement si l’on vivait dans un univers angélique, ou au moins irénique..
Alors j’ai pensé à la vieille tradition talmudique qui avait déjà perçu la différence entre la rigueur implacable du jugement et la grâce dispensatrice de multiples bienfaits susceptibles de profiter au genre humain. Il y a une anecdote au cours de laquelle un propriétaire de vignes refuse d’acquitter à ses ouvriers journaliers leur salaire au motif qu’ils ont brisé un fût de bon vin, ce qui lui occasionna une perte substantielle d’argent. Les ouvriers portent l’affaire devant une cour de justice où le propriétaire se retranche derrière son bon droit en répétant à maintes reprises : c’est la loi ! Ils ont brisé le tonneau de vin, je compense ce manque à gagner en ne les payant pas ! Le tribunal répond : c’est la loi, certes, mais nous sommes aussi un tribunal d’équité, nous pratiquerons dans ce cas un verdict de grâce et non verdict de rigueur. Dans leur situation, ces ouvriers journaliers ne disposent de rien d’autre pour survivre et assurer la subsistance de leurs familles. Si tu les prives de leur argent, de quoi vont ils vivre ? Toi, le propriétaire des vignes, tu dois leur verser leur salaire.
Telle fut la sentence de ce tribunal qui a procédé à la mitigation des peines : la rigueur a été tempérée par la grâce. En hébreu la rigueur implacable du jugement se dit DINE et la grâce si vantée par les Evangiles, se dit le HESSED. D’où l’expression latine : ex mera gratia, par pure grâce. Il y a entre ces deux notions opposées une sorte de dialectique qu’il convient de saisir. Mais c’est très subtil. Car la loi est la même pour tous, c’est l’universalité de la législation, on ne fera pas d’acception de personne. Mais on peut appliquer la loi avec discernement. Pour cela, il n’est pas interdit aux autorités de ce pays de faire jouer la jouer la notion de grâce présidentielle avec une pression exercée sur la partie civile qui s’estime lésée et qui a eu gain de cause.. La banque concernée se grandirait aux yeux du monde et à ses propres yeux en tenant le discours suivant : nous avons été lésés, les cours de justice de notre pays nous ont donné raison, elles ont condamné le coupable à une peine d’emprisonnement. Justice a été rendue. Nous avons gagné.
Mais dans un souci d’apaisement et d’humanité, nous voulons tirer un trait et demandons que cette peine puisse être aménagée.
Une telle attitude porte un nom : elle est magnanime. Dans un passage du livre d’Ezéchiel, celui là même qui mit sur pied la notion d’individualisme religieux (aucun homme ne paiera pour les fautes commises par un autre…) le texte donne la parole à D- en personne. Et vous savez ce qu’on lui fait dire : Je me montrerai grand et saint… (Ezéchiel 38 ;23)
Il n’est pas interdit de s’inspirer d’un si grand exemple.