Le journal Libération a toujours confondu journalisme et militantisme
Même lorsqu’on n’aime pas vraiment un journal on ne pourra jamais se réjouir de sa disparition. Un journal qui disparaît, c’est comme la mort d’un être qui compte pour nous, même si ce n’est pas l’amour fou entre lui et nous.. C’est ce que ressentent beaucoup de gens depuis que l’on sait que Libération n’en a plus que pour quelques semaines, dans sa forme actuelle.
Depuis hier et même ce matin, son directeur démissionnaire et son rédacteur en chef sillonnent les plateaux de télévision, pleurant par avance la déchéance de leur rêve perdu. Que s’est-il passé ? Et qu’est ce qui fait que ce journal n’a jamais été un journal comme les autres ? En réalité, le désastre actuel qui n’est pas le premier puisqu’il y eut tant de signes avant-coureurs, tant de prodromes, c’est la confusion délétère entre journalisme et militantisme. Et Libé est tombé dans ce piège depuis longtemps. Ouvertement de gauche, voire même gauchiste, ce qui est son droit le plus absolu, ayant fait campagne sans la moindre mesure ni retenue pour François Hollande, ce qui, je le dis une nouvelle fois, était son droit inaliénable, ce journal s’est comporté comme s’il était la propriété privée non de ses actionnaires ou de ses lecteurs, mais de quelques journalistes médiocres (pas tous) s’arrogeant le droit de morigéner la société dans son ensemble et d’insulter ceux de leurs concitoyens qui n’étaient pas d’accord avec eux.
Mais le péché mortel fut de se vendre à un parti, à une obédience politique au lieu de conserver sa liberté de ton et de pensée. Le PS est comme tous les autres partis, de droite comme de gauche : il instrumentalise un organe de presse et après s’en être copieusement servi, il s’en désintéresse et s’en détourne. Ce n’est ni le PS ni le gouvernement qui sauveront Libération qui les a pourtant bien servis… Il faut revenir au journalisme, mais c’est trop tard. C’est une leçon dont il faudra tenir compte dans les nouveaux postes que les journalistes de Libération occuperont plus tard, mais ailleurs.
Une autre question, peut-être un peu plus franche se pose : peut-on être un journaliste post soixante-huitard et survivre dans la société actuelle ? Peut-on en 2014 imprimer à un quotidien une telle marque ? La réponse se laisse facilement deviner.. Libération a été au journalisme ce que les écologistes sont à la politique : ni l’un ni les autres n’ont la culture qui convient. Pourquoi ? D’abord, parce qu’un journal, comme tout ce qui existe dans notre bas monde, doit disposer de moyens de subsistance. Les journalistes de Libération ont, sans jamais le dire clairement ni même peut-être s’en être rendus compte, cru en une conscience morale supérieure (eux qui se gaussaient tant de la spiritualité et de l’éthique des autres), en l’existence d’une divinité tutélaire qui volerait à leur secours en cas de grave accident.. Ils ont cru être investis d’une mission…. Ce ne fut pas le cas. Et le journal paie aujourd’hui le prix de cette terrible méprise.
Chacun se souvient de ce grand capitaine français d’industrie, tenté, un temps, par la nationalité d’un pays proche où l’on paie moins d’impôts. Vous souvenez vous de la une de Libération= Casse toi……… La bienséance m’empêche de rééditer cela en toutes lettres. Et aujourd’hui, vers qui se tournent les journalistes pour renflouer les caisses du journal et tenter de conjurer d’inéluctables crises de trésorerie ? Vers des détenteurs de capitaux qu’on l’on traînait dans la boue, pas plus tard qu’hier……
Toutes les opinions, hormis les messages de haine et de discrimination, sont acceptables et ont le droit de vivre. Mais il faut savoir prendre des risques calculés. A trop ignorer les règles de la vie économique, Libération paie aujourd’hui le prix fort de cette insouciance. Depuis l’époque de Serge July et de quelques autres journalistes, Libération aurait dû s’assagir tout en cultivant sa différence. On peut rétorquer qu’une certaine indépendance, voire de l’insolence, plaisent à un certain public. Mais voilà après les envolées militantes de l’année électorale, le soufflet est retombé et ce qui intéressait hier n’a plus d’intérêt aujourd’hui. Certes, moi aussi je trouvais plutôt inspirées mais pas toujours très heureux certaines unes…… Mais voilà, cela ne suffit pas. Il faut une ligne qui dure, qui se justifie et qui rassemble un lectorat.
Le vent de l’Histoire existe, il souffle dans telle ou telle direction, selon des règles que l’on peut élucider. Mais jamais éluder.