La France et le cas Léonarda
La France dans son ensemble, ou une certaine presse, est en train d’exhiber à la face de toute l’Europe, une de ses inconséquences les plus criantes : un électeur sur cinq au moins, nous dit-on, souhaite que l’immigration cesse, qu’il y ait moins d’étrangers en situation irrégulière en France et voici qu’une expulsion comme il en survient des centaines par semaine met la jeunesse et toute la gauche, ou presque, en émoi.
Que se passe-t-il ? La population découvrirait elle soudain de quoi chaque matin que nous vivons est fait ? Ignore t elle que chaque jour, environ cent ou cent vingt personnes sont reconduites à la frontière, et que cela dure sans discontinuer depuis des années et des années ? Il est temps que tout en éprouvant des sentiments de commisération et de solidarité humaine, nous mettons un frein à l’émotivité pour analyser froidement ce qui se passe.
Moi aussi je suis ému de voir qu’une jeune fille a dû partir, quitter notre pays dont elle sait la langue et aime la socio-culture pour rejoindre son pays natal que ses parents avaient quitté pour vivre sous des cieux plus cléments. Donc, premier élément, il s’agit d’une adolescente. Deuxièmement, l’intervention des forces de l’ordre s’est passée dans un cadre parascolaire, ce dont se servent certains collectifs pour dénoncer ce qu’ils présentent comme une violation de l’univers de l’école et de l’enfance.
Or, ce qu’on oublie de dire, c’est qu’il y a des lois et que la situation actuelle crée un contexte bien particulier. Si l’on se met à remplacer la loi par des réactions émotionnelles chaque fois qu’une certaine presse lance une campagne pour paralyser le gouvernement, où allons nous ? Déjà d’autres lycées se mobilisent pour exiger le retour dans l’Hexagone d’un jeune Arménien expulsé… Mais où allons nous ? Si c’est le cœur et l’émotion qui dictent à la loi ce qu’elle doit être, alors installons les lycéens à l’Assemblée Nationale…
En f ait, je ne suis pas insensible à ce qui se passe ; ce n’est pas un cas d’école, c’est un cas qui a un nom, un regard, une voix et toutes ces caractéristiques nous interpellent. Et si on en parle tant, c’est parce que la presse, en gésine de nouvelles sensationnelles, s’en est emparée. Sinon, cele serait passé inaperçu.
Je m’étonne que l’on ne parle pas tant de bons Français, expulsés de chez eux car ils sont dans l’incapacité de payer leurs loyers ou de rembourser leurs dettes. J’ai entendu des huissiers de justice dire qu’ils cessaient leur activité car ils ne supportaient plus de saisir des objets et des meubles dans des chambres d’enfants dont les parents venaient d’être expulsés… Ces faits se reproduisent dans notre pays tous les jours… Il suffit de regarder autour de soi et de voir le nombre de SDF dormant dans l’embrasure extérieure des magasins des beaux quartiers. Et tous ces gens qui font la quête devant les boulangeries et les bureaux de poste.
Devons nous annuler les dettes, accorder à chacun un abandon de créances, mais alors l’Etat devrait donner l’exemple en suspendant les poursuites et les saisies de ceux qui n’ont pas pu s’acquitter à temps du dernier tiers de l’impôt sur le revenu…
Il faut savoir raison garder, contrôler son émotivité ( on n’est pas dans la reality show) tout en cherchant à combattre les injustices et à alléger les souffrances d’autrui. C’est cela l’humanité civilisée, la solidarité avec ceux qui souffrent. Que ferait on s’il y a dix mille Africains, Syriens, ou Libyens qui venaient frapper à nos portes ? Mais repensez à Lampedusa…
Un mot sur la relation entre la loi, froide et nue, et les valeurs qui tissent des liens invisibles mais forts entre les êtres.
Une ancienne pomme de discorde entre le judaïsme rabbinique et l’église primitive, jadis encore intégralement juive, opposait la loi à la grâce, d’après le terme hébraïque de HESED, rendu par le terme latin gratia… Ex mera gratia, en français par pure grâce. Cela a toujours été ainsi- il y a une tension polaire entre la grâce dispensatrice de bienfaits et la rigueur implacable du jugement. Et dans le cas qui nous occupe, il s’agit, par dessus le marché, d’une enfant. Ce qui ne nous laisse pas de marbre. Mais un pays, une politique ne se conduit pas par des coups de cœur. Je le rappelle : faut-il admettre tout le monde ? Faut-il soigner tout le monde ? Faut il faire grâce à tous le monde ? Alors commençons par les détenus qui sont logés dans des conditions inhuamines qui ont provoqué la condamnation de notre pays par les instances internationales.
Il y a dans la littérature talmudique une anecdote qui résume bien le débat qui nous occupe : un viticulteur embauche des ouvriers qui mettent son vin dans des futs. Lors du transport du champ à l’entrepôt, des ouvriers brisent plusieurs futs. Et le propriétaire refuse de leur verser leurs gages. Ils vont se plaindre devant les juges qui exigent qu’ils soient payés malgré les dégâts qu’ils ont causés. Le propriétaire s’insurge et rappelle au juge la loi qui prévoit exactement le contraire. Le juge répond : nous ne jugeons pas les hommes d’après une loi d’airain, gravée dans le marbre, mais la grâce, le HESED, que Dieu nous commande d’appliquer lorsque nous jugeons. Ces hommes ne vivent que de leur salaire, si vous ne les payez pas, leurs familles pourraient mourir de faim… Je doute, cependant, que cette décision ait pu faire jurisprudence…
L’anecdote est émouvante, elle nous tire des larmes, mais est-elle transposable dans la situation actuelle ?
Au fond chacun est dans son rôle : la jeune fille qui veut revenir en France, les jeunes qui n’écoutent que leur cœur (c’est bien et c’est de leur âge), les associations qui défendent les demandeurs d’asile et Manuel Valls qui fait exécuter les décisions de justice. Mais il y a l’ordre public : si vous cédez sur un point, vous perdez toute crédibilité et ceux qui s’enthousiasment pour ce cas précis aujourd’hui vous reprocheront demain d’avoir cédé : quand on a des convictions, on se mobilise pour le défendre.
A commencer par l’Etat qui a les rênes en main. Alors qu’il les tienne fermement.
On n’entre pas dans la vie le cœur chancelant. Dura lex, sed lex.