Nicolas Sarkozy, les dessous d’un non-lieu
Il n’est nullement question ici de s’en prendre à l’institution judicaire ni même à ceux qui sont chargés de la servir. Il n’est pas question, non plus, de dilapider le reste de confiance et de capital de sérénité que l’on est censé placer dans la justice d’un pays. Mais tout de même, une fois ces deux ligne-frontières bien délimitées, on ne peut pas ne pas se poser des questions sur le comportement de la machine judicaire.
Commençons par le commencement :Nicolas Sarkozy a été haï par un certain nombre de corps constitués qu’il avait voulu moderniser et les membres de ces catégories ont considéré cette action comme une agression délibérée. Ce fut notamment le cas des juges dont l’ancien président ne pensait pas le plus grand bien. Il avait peut-être été excessif, ce que les juges ne lui ont pas pardonné.
Enfin, il y eut les résultats de l’élection présidentielle : malheur aux vaincus disaient les Romains… Et voilà que l’on exhume un certain nombre de dossiers qui commencent à fuiter, comme on dit aujourd’hui, dans la presse. Mais soyons sérieux : voit-on un candidat à la magistrature suprême, s’introduire chez une dame à l’âge canonique pour lui soutirer de l’argent en vue de financer sa campagne électorale ? C’est pourtant le chef d’accusation retenu par les juges. Je ne suis pas juriste, je n’ai pas eu connaissance du dossier, mais outre le fait que cela est très malaisé à prouver, une telle charge, si elle avait été retenue, eût durablement désacralisé la fonction et, surtout, tous les anciens présidents de la République auraient eu à faire face à des juges qui ne sont pas vraiment dans le vif du sujet quand il s’agit d’assumer le pouvoir exécutif.
Que l’on me comprenne bien ou plutôt que l’on ne se méprenne pas sur le sens réel de mes propos : il n’est pas question, je le répète, de s’en prendre aux juges, mais simplement de rappeler que c’est le président de la république qui est le gardien des institutions, ce qui ne le met pas à l’abri des poursuites à la fin de son mandat, si toutefois, les charges étaient avérées. Visiblement, ce ne fut pas le cas et ce sont les mêmes juges instructeurs qui le reconnaissent. La question qui se pose est alors : pourquoi cette mise en examen ? N’a-t-on pas cédé à l’instinct de vengeance mais au moins au désir de revanche ? Durant les mois écoulés, la France entière, voire le monde entier, ont entendu parler de cette accusation (abus de faiblesse !!) particulièrement déshonorante… On veut bien croire en l’expertise et en l’impartialité des juges, mais pourquoi se sont ils soudain ravisés, d’autant que N. Sarkozy est le seul à bénéficier de ce non-lieu qui est une divine surprise pour le principal intéressé… Justice sélective , traitement asymétrique ?
J’avoue ma perplexité de philosophe. Je suis convaincu de l’honorabilité absolue du corps judicaire et les radiations pour malhonnêteté dans ce grand corps de l’Etat sont rarissimes. J’ai entendu des juges à la télévision menacer de poursuites des députés qui s’en prenaient violemment à eux. Mais ce n’est pas ainsi que l’on doit agir : on explique, on raisonne, on cherche à convaincre, à expliciter le mécanisme judiciaire, on ne menace pas les élus de la nation… Il m’a semblé alors que le pouvoir judiciaire cherchait à freiner, voire à prendre le dessus sur le pouvoir législatif et exécutif… Est-ce bien ? Je ne le crois pas. Certes, je ne revendique pas pour les anciens présidents ou pour les anciens ministres une justice spéciale, mais tout de même ! Souvenons nous du calvaire enduré par certains lors de l’affaire du sang contaminé, toutes ces années à traîner ces mises en examen comme un boulet. Je n’oublie pas non plus les souffrances des familles des victimes…
Si on revient au cas de Nicolas Sarkozy, je n’arrive pas à trouver de solution : les juges ont, dans leurs attendus du non lieu, reconnu que les charges et les indices étaient trop ténus pour pouvoir se muer en accusations.. Dont acte. Mais pourquoi avoir mis tout ce temps à l’établir ? Une personnalité du ministère m’avait dit un jour en parlant de ses collègues qu’avant de mettre en examen il fallait réfléchir, et non l’inverse. Certains esprits vont jusqu’à émettre l’hypothèse que les motivations ayant conduit à innocenter l’ancien président sont diverses et variées. Qu’est ce qui se cache derrière une telle formulation ? Je ne dispose d’aucun moyen pour le savoir et il est risqué d’avancer des spéculations.
Je renvoie, par contre, au vieil adage latin fiat justicia, pereat mundus : que la justice soit, le monde dût il en périr. Les philosophes allemands se sont saisis de ce mot et ont émis la réflexion suivante : l’homme, écrivait Aristote dans l’Ethique à Nicomaque, est un animal social, il ne peut vivre que dans le cadre social. Or, pour régler les relations entre les humains, il faut des règles et la justice est là pour cela. Mais la justice ne doit pas perdre de vue que l’idéal social dont chacun rêve , c’est le bonheur, et si cette justice le menace au point de le rendre inatteignable, elle ne joue plus son rôle. La rigueur implacable du jugement n’est concevable que dans la justice divine.
La justice humaine en est très loin. Un ancien premier vice président de la cour de cassation avait dit un jour, dans sa grande sagesse, en s’adressant à ses jeunes collègues : nous devons rendre la justice les mains tremblantes…… Et ce grand humaniste, bien que juriste, ajoutait : la personne assise en face du juge, celle que l’on prétend juger est un autre moi-même………
Emmanuel Levinas ne disait rien d’autre en s’exclamant : mon moi, ce sont les autres… Si tous en tenaient compte, il y aurait moins d’erreurs judiciaires.