De la Syrie à l’Egypte en passant par la Tunisie, la Libye et la Turquie : les soubresauts politiques dans les pays musulmans
Certes, les situations ne sont pas identiques et il faut comparer des grandeurs comparables. Mais comme me le faisait remarquer un ami, si l’on faisait abstraction des troubles dans les pays arabo-musulmans, les journaux perdraient la moitié de leur volume et les plumes des rédacteurs seraient au chômage…
Je sais que nos contemporains ont renoncé depuis bien longtemps à analyser la masse d’informations que l’on déverse sur eux chaque matin que Dieu fait mais un coup d’œil critique ou simplement scrutateur permet de faire ce constat, suivi d’une interrogation de plus en plus angoissante : mais pourquoi tous ces morts, tout ce mécontentement, cette inadéquation au monde qui nous entoure ?
Les sociologues des religions pointent du doigt le carcan imposé à ces pays par un dogme qui se voudrait immuable et se réclame, sans le dire vraiment, d’une sorte d’infaillibilité que l’on croyait être l’apanage exclusif d’une église triomphante qui s’est, grâce au ciel, réformée depuis…
Il semble qu’une séparation plus stricte entre deux mondes, celui de la vie terrestre, d’une part, et celui de la vie éternelle, d’autre part, serait la solution et apporterait un apaisement que chacun appelle de ses vœux et de ses feux. En d’autres termes, il faut séparer la vie religieuse de la vie politique, même si l’action des hommes est toujours sous-tendue par une intention, une idée, une valeur ou même une foi.
J’observais tout à l’heure les manifestants pro-Morsi (comme on les appelle) jurer qu’ils n’abandonneraient jamais la partie et resteraient mobilisés jusqu’au retour de leur président déchu. Ce n’est pas la seule passion politique qui les incite à agir et à parler de la sorte. C’est autre chose dont on ne pourra jamais les convaincre de faire, même momentanément, abstraction.
L’Europe judéo-chrétienne, le monde occidental dans son ensemble a eu son Spinoza, son Pierre Bayle et surtout son Voltaire, ce n’est pas le cas partout ailleurs. Le Traité théologico-politique du polisseur de verres d’Amsterdam entièrement changé la donne ; ses origines marranes et les souffrances subies au sein de sa propre communauté religieuse lui ont enseigné à réfléchir froidement sur le legs religieux des cultures et des civilisations. Ce petit homme, fragile et frêle, mais à la pensée puissante, a bouleversé notre façon de réfléchir, de voir et de penser. Sa critique des traditions religieuses a permis à l’Europe de faire des pas de géant qui manquent sous d’autres cieux. Avec lui, l’Europe est passée de la crise de conscience à la prise de conscience.
Quand je vois que les insurgés syriens sont en train de perdre toutes leurs positions si chèrement acquises et que leurs représentants se disputent et ne parviennent pas à s’entendre, que les Egyptiens s’engagent, hélas, dans la voie périlleuse d’une guerre civile, que le premier ministre turc s’attache à des mesures ridicules au lieu d’aller au-devant d’une jeunesse exigeante et prometteuse, ou encore, en Tunisie par exemple, des gens qui exigent que l’article deux de la future constitution exclut tout arrangement avec Israël, alors que leur propres pays est exsangue, vidé de ses touristes, quand je vois tout ce désolant spectacle, je me demande, oui, je me demande quel événement miraculeux ou bienfaisant pourrait bien leur ouvrir les yeux .
Chaque religion génère ou sécrète une spiritualité dont le sous produit est toujours une éthique. Aucune loi religieuse n’a encore réussi à devenir universelle, seule la loi morale peut, à juste titre, revendiquer une authentique universalité. C’est bien pour cette raison que le Décalogue, charte de l’humanité monothéiste, ne parle ni de circoncision ni d’interdits alimentaires. Même sa mention du respect de la solennité du sabbat a été interprétée comme une réminiscence du sabbat de la création, dont tous les êtres humains peuvent jouir en toute quiétude, que ce soit le vendredi, le samedi ou le dimanche.