La reculade du Président MORSI : le retour de l’armée ?
C’était prévisible et on l’a maintes fois répété ici même : l’actuel président de l’Egypte ne pouvait pas maintenir les mesures qu’il a prises de manière si inconsidérée, et qui montrent combien les Frères musulmans ont du mal à se couler dans des moules démocratiques, pressés qu’ils sont de confisquer le pouvoir et de soumettre à leurs propres choix le reste de la population.
Un mot des suites de cette affaire : le président vient d’annuler le décret infâme par lequel il entendait se placer au-dessus de toutes les lois (alors qu’il est censé les garantir et les faire respecter) et barrer la route à tout recours subséquent : c’est à dire l’inconstitutionnalité absolue ! Aujourd’hui encore, on en est à se demander quel est le juriste qui a bien pu lui mettre pareille idée dans la tête. Ces conseillers ont dû lui dire que la loi de Dieu qu’ils prétendent incarner est au-dessus des lois humaines : c’est le fondement même des dictatures fondamentalistes et du pouvoir religieux sans partage.
Devant une telle façon de bafouer la loi, le peuple égyptien s’est dressé pour dire non et exiger même la démission du dictateur en herbe. J’ai entendu sur Al-Jazeera et Al-Arabiya hier des manifestants dire que les Frères musulmans se comportaient comme un état dans l’Etat (status im statu : dawla dakhl dawla) ; un autre a dit que l’on ne pouvait pas régler en quelques heures une constitution destinée à régir près de 90 millions d’habitants.
Le problème, aujourd’hui, est que M. Morsi est allé trop loin et que personne ne lui fait plus confiance, au point de demander sa démission : on a vu fleurir les mêmes slogans que ceux qui ont visé le président Moubarak : arhal (dégage) al chaab yorid sokout a niddam (le peuple exige la chute du régime)… Bref, par des mesures qui signent son manque de stature de véritable homme d’Etat, cet homme risque de précipiter l’Egypte dans une sorte de guerre civile.
Or c’est justement ce que veut éviter l’armée dont on disait qu’elle était décapitée ou assoupie. Or, c’est elle qui a sifflé la fin de la récréation intimant l’ordre à M. Morsi de retirer son inacceptable décret, ce qu’il a été contraint de faire. Mais le mal est fait et le maintien du référendum à la date prévue annule la mesure d’apaisement.
On se demande aussi pourquoi l’esprit cartésien est la chose du monde la moins bien partagée : en annulant le décret mais en maintenant la date du référendum, M. Morsi fait une chose et son contraire. Le calme serait revenu s’il avait préconisé un report sine die de ce vote. En voulant tout prendre et tout garder, il risque de tout perdre…
Le schéma que nous avions dessiné ici même il y a quelques semaines se concrétise : l’armée a laissé faire, a fait preuve de docilité, connaissant en son sein les travers des Frères musulmans qu’elle a combattus durant 65 ans ! Elle savait qu’ils ne se convertissent à la démocratie que temporairement, une fois qu’ils ont remporté les élections. Après avoir voté dans le bon sens, on ne vote plus…
Le Proche Orient ne peut plus se permettre de telles convulsions épisodiques et l’Egypte est le cœur du monde arabo-musulman. Il faut se ressaisir ou alors rendre le pouvoir à l’armée.