La circoncision, une inacceptable mutilation aux yeux de la justice allemande ?
Une de mes étudiantes allemandes de l’Université de Heidelberg, Elena G. m’a envoyé hier soir un article faisant état de la décision d’un tribunal de Cologne de considérer la pratique de la circoncision comme une mutilation répréhensible par la loi. On imagine le tollé soulevé par une telle décision. Les instances juives de ce pays, notamment le Zentralrat der Juden in Deutschland ont crié au scandale taxant la décision judiciaire d’inouïe et d’une inacceptable immixtion dans les affaires religieuses et donc privées des citoyens. Le tribunal a décidé de ne pas sanctionner le chirurgien au motif qu’il y avait une sorte de vide juridique qui vient d’être désormais comblé…
Si j’ai bien compris l’affaire en lisant très rapidement l’article envoyé par Elena G., c’est le cas d’un petit musulman, circoncis à l’âge de quatre ans qui a mis le feu aux poudres. Le tribunal a considéré que la circoncision causait à un être humain un changement absolument irréparable à un âge où il n’est pas du tout en mesure de juger de la validité de son appartenance à une confession, en l’occurrence l’islam, mais on peut étendre la saisine de ce jugement à la religion juive, qui fut la première religion à inscrire ce rite dans ses pratiques fondamentales. Pour ces juristes d’outre-Rhin, l’enfant devenu adulte pourrait vouloir changer de confession et cette marque appliquée à son corps pourrait constituer un obstacle quasi-insurmontable. De tels attendus me semblent assez discutables.
Voici un bref historique de ce rite qu’est la circoncision qui remonte probablement à un usage beaucoup plus ancien que les attestations bibliques.
Dans la Genèse, censée être le livre le plus ancien du Pentateuque puisqu’il y figure en tête mais qui, en réalité, fut rédigé plus tardivement, on trouve dans la grande geste abrahamique ( du chapitre 12 au chapitre 25) le précepte de la circoncision. Ce rite intervient une fois que Dieu s’est de nouveau révélé à Abraham (ch. 15, ch. 17) et lui offre son alliance. Du coup , on a considéré que la teneur de cette alliance, son objet, tenait en ce commandement de la circoncision. Dans la Bible, ce rite est effectué le huitième jour (u-ba-yom ha-shemini ymmol besar orlato : le huitième jour sera enlevé le prépuce de sa chair, i.e. du membrum virile) mais pour Ismaël, le premier fils d’Abraham, cette opération chirurgicale eut lieu à l’âge de treize ans. Les musulmans poursuivent cette tradition à ce même âge.
Pour être le plus complet possible dans ce bref survol historique, il convient d’évoquer rapidement l’antinomisme prononcé de Saint Paul qui eut à cœur de montrer que D- se révéla à Abraham et lui proposa son alliance AVANT ce rite de la circoncision. C’est là l’une des principales pommes de discorde entre les juifs et les chrétiens : Saint Paul voulait montrer que c’est la foi qui sauve et non les œuvres dont la circoncisions faisait partie. Rappelez vous de la distinction que l’Apôtre opérait entre les circoncis et les prépucés, on le nommait, d’ailleurs, l’Apôtre des prépucés. Et souvenez vous aussi de son algarade avec les Galates qui étaient revenus au rite de la circoncision après l’avoir abandonné. Saint Paul leur dit en substance : vous avez commencé avec l’esprit et maintenant vous commettez une régression en revenant à la chair.. Aux yeux de l’ancien disciple de rabbi Gamaliel, seule la foi sauve. Et pour bien asseoir sa conception il se réfère au merveilleux verset de la Genèse qui stipule qu’Abraham crut en Dieu et celui-ci le lui imputa en justice : wé-héémin ba-Shem wa-yahshévéha lo litsedaka ! Selon l’Apôtre, Dieu ne réclamerait que la foi et rien d’autre.
La tradition juive voit les choses autrement et considère que l’objet de l’alliance tient en la pratique concrète de cette circoncision contre laquelle le tribunal allemand vient de prendre une décision assez étonnante. Le philosophe que je suis peut comprendre les attendus du jugement in abstracto : pouvons nous imposer à des bébés de huit jours ou à des garçons de 13 ans une modification irréversible de leur corps, sans attendre qu’ils aient les moyens de s’auto-déterminer en toute liberté ? C’est l’argument des juristes. Mais on pourrait lui opposer que ceci vaut pour toutes autres décisions que des parents, attentifs et aimants, sont conduits à prendre en lieu et place de leurs enfants… Toutefois, on ne peut pas demander à de simples juristes d’être aussi des hommes de culture philosophique approfondie alors qu’ils ne sont là que pour dire le droit, lequel droit émane en fait du corps législatif. C’est donc de là que viendra la décision ultime.
Un mot peut-être de l’arrière-plan culturel de cette pratique ancestrale : sans tomber dans un freudisme primaire, il faut bien reconnaître que deux impératifs ont présidé à la naissance de ce rite devenu religieux : l’hygiène visant à prévenir des maladies vénériennes graves et l’abstinence, indispensable dans une société structurée au plan éthique. La tradition accorde à ce second point une importance capitale : ce membre viril, siège de notre «animalité» doit être élevé au rang d’associé de Dieu dont nous poursuivons l’œuvre créatrice qui consiste à peupler l’univers. C’est, du reste, le premier précepte positif de la Tora : croissez et multipliez vous !
Il y a la circoncision conçue comme un simple acte chirurgical : voyez la famille royale d’Angleterre dont tous les descendants mâles sont circoncis, sans la moindre connotation religieuse.
Le rite religieux n’est souvent que la codification sacrale d’une pratique soucieuse d’accorder à l’être humain la possibilité de s’épanouir et de se développer dans les meilleures conditions. Les juges allemands devront donc revoir leur copie.