L’ADMIRABLE COURAGE DES SCHOLL, MARTYRS DES NAZIS EN 1943
Voici un livre que j’aurais dû recenser depuis de longs mois mais qu’un surcroît de travail m’a fait remettre à plus tard. Mais comme on dit en allemand, aufgeschoben ist nicht aufgehoben… Ce qui est remis à plus tard n’est pas supprimé purement et simplement.
Le traducteur Pierre Emmanuel Dauzat n’a pas seulement bien rendu les textes allemands des lettres et des journaux intimes, il a aussi rédigé une belle introduction puisant aux meilleures sources dont celles signées par un grand spécialiste, Saül Friedlander.
Comment une frère et une sœur bien intégrés dans ls société allemande de leur temps ont ils pu braver un si terrible danger et et organiser des distributions de tracts dans les rues et à l’université, voire même des envois postaux, pour dénoncer Hitler comme ce qu’il était, à savoir ein Massenmörder, un tueur en masse.
Dans ce recueil de lettres et d’extraits de journaux intimes du frère et de la sœur, guillotinés alors qu’ils n’avaient pas même 25 ans, on sent monter leur inquiétude qui se mue en indignation. Leur pureté, leur innocence, leur ignorance encore du monde des adultes -bien qu’ils fussent des étudiants (Hans se préparait à être médecin tandis que sa sœur Sophie faisait elle aussi des études supérieures- expliquent peut-être un peu leur inconscience : comment avoir osé poser des tracts dans le grand hall de l’université de Munich ? La Gestapo était déjà sur leurs traces car ils avaient envoyé par la poste des centaines de tracts anti-hitlériens qui n’étaient pas parvenus à leurs destinataires, preuve qu’ils avaient été interceptés et que les services de sécurité enquêtaient…
Il y a aussi le rôle bénéfique joué par la culture humaniste allemande avec des figures de proue telles Goethe et Schiller. On rapporte qu’une femme juive déportée et promise à la mort avait écrit avant son supplice «c’est à nous qu’il appartient de sauver Goethe» , c’est-à-dire l’héritage classique du Sage de Weimar, l’incarnation de l’esprit libéral dans l’Allemagne de la fin du XVIIIe et du premier tiers du XIXe siècle.
Le petit réseau de résistance , monté par Hans et Sophie, s’appelait la Rose blanche. Il me semble que le 19 avril 1941 marque un tournant dans la prise de conscience de Hans qui livre ce jour là à son amie Rose le long compte rendu d’un cauchemar où tout se mêle, ses visions, ses craintes, ses prévisions, son propre avenir : il se destine à la médecine, mais dans ce rêve qu’il raconte à Rose, il fait irruptions dans une infirmerie sordide et les malades lui demandent ce qu’il fait là… Il répond qu’il est médecin. Les malades, hilares, se moquent de lui et se demandent ce que peut bien faire un médecin dans un tel lieu… C’est le signe même du désespoir, de la perte de confiance en soi : si même un médecin dans l’Allemagne nazie perd toute crédibilité, toute légitimité, si même des patients décrètent qu’ils n’en veulent pas, que reste-t-il de saint dans cette Allemagne dévoyée ? Plus rien. Ce rêve revêt une importance particulière.
Entre-temps, le jeune homme progresse dans ses études de médecine, accomplit son service militaire, a même maille à partir avec la justice et participe à la guerre. Il se rend à Vienne, désormais sous Anschluss, à Paris et rend hommage à la solidité des infirmières parisiennes qui sont fidèles au poste.
L’autre point tournant dans l’esprit de Hans est marqué par le texte publié dans un forum de discussion en novembre 1941 : il y est question de l’autre rive et de l’impossibilité d’y accéder. La rivière est sombre, profonde et son début est rapide. Donc un cours d’eau dangereux, pas une étoile ne brille, pas de pont, pas de sentier, rien. En fait, c’est le constat d’un blocage complet. Que faire contre le régime ? Sinon l’action de résistance…
Lorsque le frère et la sœur comparaîtront devant leurs juges, le procureur demandera à Sophie si elle avait eu l’intention d’attenter aux jours de Hitler… La jeune fille répondit sans hésiter : oui. Dès lors, le sort des deux accusés était scellé.
C’est entre le 27 juin et le 12 1942 que Hans et Sophie rédigèrent leurs quatre tracts. Les deux jeunes appellent un chat un chat. Ils tentent tout d’abord d’éveiller la conscience humanitaire de certains intellectuels de Munich contactés par voie postale. Le second texte dénonce les atrocités anti-juives des Nazis et condamnent sans appel une telle extermination. Dans le troisième tract, les auteurs dénoncent la tyrannie nazie et appellent au sabotage. Le quatrième tract présente la Rose blanche comme la mauvaise conscience de l’Allemagne.
De Russie où il a été envoyé, Hans invoque Dieu dans son journal : O Dieu d’amour, aide moi à triompher de mes doutes. Oui, je vois la Création qui est ton œuvre et qui est bonne. Mais je vois aussi l’œuvre de l’homme, notre œuvre qui est cruelle, qu’on appelle destruction et désespoir… Pourquoi la souffrance est elle si injustement infligée ?
Hélas, le 22 fevrier 1943 furent exécutés à Munich. La sentence de mort fut exécuté l’après-midi même de leur condamnation. Ce frère et sa sœur sont la conscience morale d’une Allemagne qui en avait été privée par Hitler. Gloire à leur mémoire !