Nous donnons ici un long compte-rendu des œuvres d'un homme qui a beaucoup compté dans l'histoire des idées en France, notamment dans les relations avec le monde arabo-musulman. Le second volume fera l'objet d'une autre ecnesion, un peu plus tard.
LOUIS MASSIGNONS (1883-1962)
ÉCRITS MÉMORABLES.
Sous la direction de Christian JAMBET. Collection Bouquins, Robert Laffont, Paris, 2009. Volume I.
Remarques préliminaires
La publication de ces deux remarquables volumes regroupant les plus importantes études et interventions diverses de ce grand orientaliste et islamologue que fut Louis Massignon est un événement éditorial important. Nous retrouvons tant de textes, jadis dispersés et aujourd’hui réunis en deux volumes, remarquablement faits et très maniables ; un tel florilège permet de bien situer l’homme Massignon en son temps et de montrer qu’il ne fut pas uniquement un éminent savant reclus dans sa tour d’ivoire, mais aussi un militant, un homme engagé (parfois même trop, au gré de certains), avec ses défauts et ses qualités ; une vie en somme, un être en quête de vérité, sa vérité, et aussi, un homme animé d’une passion, celle de «pénétrer» l’islam, de réunir en sa propre personne l’orient et l’occident, d’initier un rapprochement entre l’islam -à l’étude duquel il a voué sa vie- et le catholicisme auquel il adhérait de toutes les fibres de son être. Il ira jusqu’à dire dans une mémorable interview que c’est la prière de l’Islam qui lui permit de réintégrer le giron du catholicisme. Tel me semble être le principe architectonique de ce projet.
Avant de passer en revue les textes les plus marquants de ce premier volume, je ne pense pas me tromper en signalant d’emblée l’événement le plus important de la vie de l’auteur : le jour où, environ dix ans avant sa mort, il fut ordonné prêtre du rite melkite, ce vénérable culte chrétien d’Orient où la messe est dite en langue arabe depuis des siècles. Au fond, même ce qu’il nomme la «visitation de l’étranger», véritable ravissement mystique qui eut un profond retentissement dans son âme, n’en fut que le signe annonciateur. L’aboutissement, c’est l’ordination, au point que je me demande même si Massignon n’eût pas été mieux inspiré d’opter, dès l’origine, pour une vie dans les ordres. Son amour brûlant pour la religion chrétienne et sa passion pour l’islam (il suffit de penser au monument qu’il a érigé à la mémoire d’Al-Hallaj) prouvent que cet homme aurait dû se soumettre formellement à la discipline ecclésiastique et vivre cette unio mystica jusqu’au bout. On pourra consulter dans ce même volume les lettres échangées entre l’orientaliste en herbe et le père Charles de Foucault qui souhaitait en faire un compagnon ermite au Sahara. Massignon n’oubliera jamais le père de Foucault : même lors de la commémoration du centenaire de ce dernier, il se livrera à une évocation émue de sa mémoire et rendra un hommage appuyé (et très mérité) à son œuvre de sociologue et de linguiste.
Qu’on l’apprécie ou qu’on l’accable en raison de ses péchés de jeunesse et de ses prises de position qui peuvent parfois heurter, Massignon fut un homme entier, comme il le dit lui-même dans un de ses tout premiers écrits (vol. I, p 19, supra) : En tout cas, j’envisage les étapes de mon engagement d’homme, dans ma vie, non seulement privée mais publique – d’ailleurs, il me paraît très difficile de les distinguer ; et je ne suis pas de ceux qui pensent que l’authenticité d’un savant se limite au travail du cabinet. Je ne crois pas que la pensée en s’engageant devienne impure…
Lire la suite