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Vu de la place Victor-Hugo - Page 417

  • La campagne des régionales en Ile de France : dérapages verbaux.

     

     

    La campagne des régionales en Ile de France : dérapages verbaux.

    Est ce la publication de sondages le donnant battu qui a conduit le candidat PS aux élections régionales à accuser sa concurrente de tels propos ségrégationnistes ? Je ne sais, mais cela augure mal de la suite des événements et d’une certaine nervosité dans le camp de l’actuel président de l’ Assemblée nationale.

    Les mutations se font toujours ainsi, on commence par lancer des idées, et on attend leur retentissement. Ici, le cas est mal choisi même si son objet est bien réel. La vaste région de l’ïle de France n’est plus homogène depuis fort longtemps, on peut même dire que les populations peuplant les différents territoires sont très différentes quant à leurs origines sociales, ethniques, voire religieuses. Et le département de Seine Saint-Denis, surtout à la suite des sanglants événements récents, est généralement pointé du doigt. Mais ajoutons d’emblée quelque chose afin de ne pas être mal compris : l’écrasante majorité de ces populations ne saurait être taxée d’extrémisme et moins encore de terrorisme.

    D’un point de vue sociologique, on ne peut pas nier que des vastes portions de la population française d’origine ont quitté ces lieux, laissant ces quartiers à une population nouvelle qui y a fait souche. Du coup, cela transforme la physionomie du quartier. Ce constat n’est pas toujours fait avec bonne foi, certaines idéologies développant, par exemple, cette fameuse théorie du grand remplacement. Une théorie que certains salafistes imprudents et provocateurs, proclament qu’elle est la leur, urbi et orbi.

    Il faut analyser objectivement ce qui se passe et ne pas fulminer des anathèmes ni proposer des solutions incantatoires : le problème est réel et la question se pose ; la France est en train de changer, et ce n’est pas le goût de tous. D’où les scores incroyables, dès le premier tour, réalisés par le FN : du jamais vu, c’est inouï. Même un inconnu du FN fait plus de 18% dans la région Île de France…

    Quand vous vous promenez dans certaines villes de Seine Saint Denis, certains accompagnateurs étrangers vous demandent où nous sommes vraiment. Pourquoi ? Parce qu’on a laissé se constituer des ghettos où les gens issus d’un même pays restent entre eux, où leurs commerces spécifiques prolifèrent, leurs lieux de culte etc…

    En tout état de cause, parler des problèmes n’est pas les créer. Certes, la crise économique qui sévit depuis tant d’années n’arrange pas les choses. Mais le parti devrait y réfléchir à deux fois avant de prendre des décisions pour 2017. Il faut tenir compte de la réalité sinon celle se venge.

  • L’étrange plaidoyer de Manuel Valls concernant le FN

     

     

    L’étrange plaidoyer de Manuel Valls concernant le FN

    Manuel Valls ne réalise pas que sa position politique n’est pas vraiment fondé car il  ne répond jamais à la question suivante : en quoi le FN est il moins légitime que LR ou le PS, ce dernier parti gouvernant avec moins de 17% d’opinions favorables. Nicolas Sarkozy a été mieux inspiré tout en étant intéressé : il a dédouané les électeurs de ce parti (près de 30% de l’électorat) tout en disant que leur suffrage n’était pas immoral. Enfin, il a dit ce qui tombe sous le sens : si ce part devait menacer la république, pourquoi ne pas l’avoir interdit depuis trente ou quarante ans ? Et surtout comment se fait il que les Français, sincères, authentiques et patriotes lui accordent leurs suffrages, élection après élection ?

    Le problème est ailleurs, il se niche dans la politique du pouvoir depuis tant d’années, de droite comme de gauche, et à ce sujet, le silence assourdissant de l’actuel président de la république, ne présage rien de bon. Des membres de la famille Le Pen, sans pratiquement aucune expérience politique aux responsabilités, ont renversé des politiciens blanchis sous le harnais et menacent même de leur ravir leurs places. C’est du jamais vu. Au lieu de faire un grand mea culpa, l’actuel Premier Ministre s’en prend à un parti qu’il accuse de tous les maux, ce qui n’empêche pas ce même parti d’avancer.

    Il suffit pourtant d’ouvrir les yeux et les oreilles. Sans même parler du résultat des élections, si vous écoutez ou si vous voyez ce qu’endurent les Fran !ais de souche, vous comprendrez que beaucoup d’entre eux ne se sentent plus chez eux. Je renvoie une nouvelle fois à ce fameux sondage, qui remonte à quelques mois : 61% des Français ne sentent plus chez eux en France. Ce qui explique que des villages à 300km de Paris qui n’ont jamais vu ni un Arabe ni un Africain ni un réfugié, vrai ou faux, ont voté pour le partie de Marine Le Pen aux régionales..

    Les Français vont sûrement renforcer la tendance et Sarkozy n’a pas eu tort de parler de la France de toujours. Les Français ont toujours été accueillants, ils ont accueilli la terre entière et les enfants des immigrés d’hier et d’avant hier étaient reconnaissants envers celle qu’ils considèrent comme la père patrie. Jetez un coup d’œil sur les annuaires du collège de France ou de la Sorbonne. A ce moment là, la France se sentait encore française.

    Si Manuel Valls veut que cela change, il faudrait que la France redevînt française. Ce ne sont pas des vœux personnels, mais une analyse objective de la situation. Redonnez aux Français le sentiment qu’ils sont chez eux en France, que leur pays n’est pas ouvert aux quatre vents, que l’identité française n’est pas synonyme de haine de soi. Et le FN connaîtra un étiage. La France peut être fière de son passé, et aussi croire en son avenir .

    Certains ont cru jouer au plus fin en mettant en avant l’état de guerre, les chefs de guerre, etc… rien n’y fit : pas une voix ne s’est reportée sur le parti au pouvoir aux dernières élections, pas une seule. Et même la COP21 n’y changera rien, c’est dommage car ce pays mérite bien mieux.

    AU risque de me répéter : quand j’ai vu les visages radieux des votants dans les régions où le FN est en pôle position, j’ai enfin compris : de vrais Français qui ne se reconnaissent plus en des partis traditionnels. ET que pensent ils quand ils entendent un Premier Ministre les inciter à voter pour ses propres adversaires politiques d’hier !

    Il faut se ressaisir.

  • Moïse revisité par Thomas Römer

    Moïse revisité par Thomas Römer (Patis, Bayard, 2015)

    Le lecteur profane qui parcourt ces textes de la Genèse et de l’Exode en pensant presque à autre chose ne se rend pas compte des difficultés ni des questions qu’ils soulèvent. C’est pourquoi même les non spécialistes doivent lire doucement ce dernier livre de M. Thomas Römer qui est l’un des meilleurs biblistes français actuels.

    Son sujet principal, central, voire majeur, n’est autre que Moïse, sa naissance, ses origines véritables, son adolescence et la découverte de son «hébréité». Les gens cultivés savent ce que la Bible hébraïque doit à l’Egypte. Mais peu se rendent compte, en passant de la Genèse à l’Exode, que les deux livres divergent fondamentalement quant à leur attitude à l’égard de l’hyper puissance de l’époque ; on passe franchement d’une égyptophilie remarquable à une égyptophobie caractérisée.

    Pourquoi, comment ? L’explication se trouve peut-être chez les hauts fonctionnaires de la cour du roi Josias qui furent chargés de faire œuvre d’historiographes ; ce sont eux, vraisemblablement, qui retouchèrent le portrait de cette figure semi légendaire de Moïse, trouvée dans des sources anciennes, après de successifs remaniements, notamment de la part des sources sacerdotales ou deutéronomistes

    1. Rômer a eu la bonne idée de retraduire lui-même les premiers chapitres du livre de l’Exode. Il dissèque (c’est le mot qui convient) chaque verset, traquant le moindre indice pointant vers une source primitive ou attestant un remaniement de la part de rédacteurs ultérieurs. : là où les vieux scripteurs ont patiemment construit une image, une histoire ou simplement des mythes fondateurs (e.g : la sortie d’Egypte), notre auteur déconstruit tout aussi patiemment à la recherche d’indications fiables sur les milieux producteurs ou une éventuelle datation.

    Certes, certains rapprochements me laissent songeur, mais tous suscitent dans mon esprit de nouvelles idées auxquelles je n’avais jamais pensé auparavant. Par exemple, le compte-rendu, éminemment judéophobe de Manéthon, prêtre égyptien hellénisé du IIIe siècle avant notre ère, qui parle d’un chef lépreux conduisant des nomades sauvages hors d’Egypte : en effet, lorsque Moïse converse avec Dieu, celui-ci lui enseigne deux ou trois miracles à produire devant le Pharaon. Et lorsque Moïse retire son main, elle retrouve sa couleur de peau initiale après avoir été lépreuse quelques instants auparavant. Mais ce fameux chef avait été identifié avec Joseph et non avec Moïse. Est ce suffisant pour dire que l’auteur du passage de l’Exode connaissait cette accusation ?

    Mais il s’agit de détails, les vraies questions portent sur les origines réelles de Moïse, ses relations avec la fille du Pharaon, tous deux anonymes, la rencontre providentielle avec la sœur du nouveau-né et la coïncidence non moins miraculeuse qui fait de sa mère putative la femme qui va l’allaiter. Ensuite, il y a ces versets sibyllins concernant l’évolution du jeune prince qui grandit, qui sort vers ses frères…

    A t il reçu une éducation au palais de son grand père le Pharaon ? ET que veut-on dire en lisant que la fille de ce dernier considérait Moïse comme son fils, ? Est ce une façon de nous dire qu’il l’était vraiment et que toute cette histoire de corbeille sur le Nil n’était qu’une mascarade ?

    Une autre passage retient sérieusement l’attention, il s’agit de deus sages-femmes, aux noms difficiles à identifier et dont l’épisode revêt un caractère crucial : les deux femmes se moquent du monarque auquel elles expliquent que les femmes hébraïques accouchent très vite et seules (ce sont des bêtes, ki hayyot hénna) et on se demande comment elles ont cette crainte de Dieu (Elohim).

    Dans ce même contexte, Th. Römer s’arrête un instant sur le rôle de ces femmes étrangères qui ont joué un grand rôle dans la survie de Moïse et du peuple d’Israël en général. IL rapproche de cela l’incident du début de l’Exode lorsque Dieu veut attenter aux jours de Moïse en personne ! C’est bien Sepphora qui sauve la vie de son mari en procédant à la circoncision et en marquant le cercle de sang qui éloigne le démon ou la divinité ennemie. Ne nous posons pas la question des avoir si une femme, non-juive de surcroît, avait le droit de procéder à cet acte rituel et s’il était effectué dans les conditions requises. Il s’agit probablement, comme dans l’histoire de Joseph (encore un grand «Egyptien»), de montrer que le monde non-hébreu n’est pas nécessairement mauvais, qu’on peut s’en rapprocher et y trouver des éléments pouvant servir la bonne cause.

    L’autre épine dorsale de ce livre concerne évidemment la sortie d’Egypte avec les plaies, le miracle de la Mer rouge, le passage à pied sec des Hébreux et la noyade de l’armée égyptienne dont les chars lourds se sont probablement embourbés dans les marécages… Mais ces explications rationalisant es n’intéressaient pas nos rédacteurs antiques.

    L’institution de la Pâque et la confusion entre deux événements originellement distincts, le sacrifice de l’agneau pascal et la consommation de pain azyme sont examinés avec grande attention. Bömer cite même une fois Martin Buber qui avait repris une explication des spécialistes de son temps : la Pâque, avant d’être orientée vers le Dieu d’Israël, était une fête champêtre entre bergers lesquels partaient de chez eux pour plusieurs jours ou plusieurs semaines… Or, le pain qui se conservait le mieux dans leur besace était l’azyme, un pain non levé.

    Mais le livre de l’Exode précise bien que la veillée pascale est à Dieu, et que le sacrifice pascal est lui aussi à Dieu. Sous entendu, ce n’est plus une orgie païenne où l’on boit et mange pour fêter le retour des beaux jours.

    Tout peuple se crée une série de mythes fondateurs qui finissent par devenir des moments importants dans sa vie. Mais alors ce n’est plus de l’histoire mais une mémoire. Or, celle-ci ne conserve que des traces de ce qui s’est passé.

    Lisez ce livre de Th. Römer, vous y apprendrez beaucoup de choses

     

    Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 8 décembre 2015