Franz Rosenzweig (1925) et Gerschom Scholem[1] (1927) sur la sacralité de la langue hébraïque
L’hébreu, langue sacrée ou langue parlée de tous les jours ?
Du côté de Franz Rosenzweig
Dans ce qui va suivre, on lira l’étude d’un contraste. Contraste entre deux approches opposées, ou presque, émanant de deux juifs allemands, qui ont marqué leur temps et même la postérité : Franz Rosenzweig (1886-1929) et Gershom Scholem (1897-1982). Ils s’opposent[2] sur l’essence de la langue hébraïque, son usage en Palestine mandataire et la conduite à tenir face à sa nature de langue sainte ou sacrée, c’est-à-dire pour Rosenzweig, bien plus pratiquant et plus religieux que Scholem, son usage liturgique.
Il faut dire un mot des relations entre ces deux hommes qui avaient en commun la même appartenance religieuse, leur judaïsme, le même souci de mettre un terme à cette hémorragie par lequel la religion juive perdait les meilleurs de ses fils au profit des confessions chrétiennes, la même volonté de redressement et de rajeunissement, bref la même volonté de s’affirmer en tant que juifs et d’être considérés et respectés comme tels.
Mais ils différaient considérablement eu niveau de leurs caractères et de leurs personnalités. Rosenzweig, né quelques années avant Scholem, provenait de la grande bourgeoisie juive allemande, passablement assimilée mais n’ayant jamais envisagé de franchir la ligne la séparant de la conversion, alors que Scholem émanait, quant à lui, de la petite bourgeoisie juive assimilée de Berlin où son père, propriétaire d’une imprimerie prospère, vaquait tranquillement à ses occupations le jour de Kippour. Cette famille comptait plusieurs fils qui tous, suivirent des voies différentes : Werner, devint le député communiste le plus du Reichstag, l’autre frère votait pour la droite allemande (Deutschnational) tandis que Gershom que se nommait alors Gerhard optait pour le sionisme au plan politique et pour l’étude de la mystique juive, au plan culturel. On comprend que le père, Arthur Scholem, ait eu quelques difficulté à gérer de telles situations… surtout face à des fils qui s’écartaient de manière inquiétante de la voie qu’il leur avait tracée. Le plus rebelle de ces fils fut sans contexte Gerhard qui deviendra Gershom lorsqu’il s’établira en Terre sainte dès 1923 après avoir été chassé par son père du domicile familial.[3] Ces détails biographique touchant à la personnalité propre à Scholem expliquent, en partie, cette rencontre ratée avec le plus grand penseur judéo-allemand des années vingt, Franz Rosenzweig. Leurs rencontres, trois au total, ne furent pas placées sous le signe de la vive cordialité mais plutôt dans un climat de franchise, voire de méfiance caractérisée.