Les essais de philosophie juive d’Esther Starobinski-Safran
Madame Esther Starobinski-Safran (E.S-S) professeur honoraire au département de philosophie de l’université Jean Calvin de Genève, vient de publier aux éditions Albin Michel un remarquable recueil regroupant différentes études de philosophie juive : l’auteur commence par une belle présentation des notions de paix et de guerre chez Philon d’Alexandrie et mène, par la suite, ses pénétrantes analyses jusqu’au XXe siècle avec Franz Rosenzweig, Martin Buber et Emmanuel Levinas.
Lire ou relire certains extraits de l’œuvre Ô combien sublime de Philon, constitue toujours une délectation. Et ceux que l’on retrouve dans cette première étude de E. S-S ne font pas exception à la règle. Philon spiritualise et idéalise tout ce qu’il touche. Toutes son ouvre en est l’illustration, même s’il continue à garder les pieds sur terre. En jetant son dévolu sur ces deux notions opposées, la paix et la guerre, E.S-S montre que le maître alexandrin a su réintroduire sa vision idéaliste dans les récits bibliques et notamment les légendes patriarcales du livre de la Genèse. Les noms de Melchisédék et de Yérusalem sont interprétés dans ce sens : un roi de justice et d’équité pour une ville de paix. Dieu lui-même est présenté comme la seule entité qui connaît la sérénité absolue. Quant aux hommes, et notamment les plus sages d’entre eux, la paix tant interne qu’externe, reste leur objectif premier. Le sabbat est aussi considéré comme un maillon indispensable conduisant à la paix sur terre. Depuis le livre de Job (25 ;1) jusqu’aux grands prophètes d’Israël (notamment Isaïe et Jérémie) Dieu lui-même constate que rien n’est plus profitable à Israël que la paix. Aaron le grand pontife est caractérisé par son amour et sa recherche constante de la paix. Mais la notion de guerre défensive, c’est-à-dire de légitime défense est aussi présente chez Philon. C’est l’idée du combattant pacifique qui se défend pour sauver sa vie et préserver la paix. Quand on réfléchit sur de si beaux textes, on ne peut s’empêcher de s’interroger : que serait devenue la philosophie juive, à quoi aurait elle ressemblé aujourd’hui si Philon et le midrash ne s’étaient pas mutuellement ignorés, ou si l’on n’avait pas attendu Azaria de Rossi pour redécouvrir Philon ? Ce contournement voulu ou accidentel de la pensée philonienne a pu profiter au christianisme primitif qui a absorbé une telle substance, se l’est incorporé et a pu bâtir sur son fondement l’antinomisme paulinien.