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Vu de la place Victor-Hugo - Page 682

  • La Bible et le roman de Thomas Mann, Joseph et ses frères, par MR Hayoun

    CONFÉRENCE MENSUELLE À LA MAIRIE

      DU XVIE  ARRONDISSEMENT DE PARIS

    Le mercredi 22 mai 2013 à 19heures

                      L’histoire de Joseph dans la Bible[1]

             et  sa métamorphose chez Thomas Mann,

                               Joseph et ses frères

     

             Thomas Mann est venu à cette tétralogie presque par hasard. C’est un artiste, vieille connaissance de son épouse, qui lui adressa la demande suivante :  aurait-il la gentillesse d’écrire quelques lignes sur des croquis représentant la vie passionnante de Joseph, selon le récit de la Genèse ? Mann s’y mit dès 1926, détricotant le récit biblique pour en faire une superbe épopée. Le projet, une décennie plus tard, occupa l’espace de quatre volumes couvrant près de 1500 pages. En 1933 le premier tome parut, intitulé les Histoires de Jacob. Le second, le jeune Joseph, parut l’année suivante. Le troisième, bien plus fourni, intitulé Joseph en Egypte fut publié en 1936, trois bonnes années après l’exil de Thomas Mann et après avoir été déchu de sa nationalité allemande par les nazis. Le dernier tome, Joseph, le nourricier, parut en 1943, au beau milieu de la seconde guerre mondiale.

                Même si on laisse provisoirement de côté, les préoccupations politique du moment –et elles étaient très graves- l’auteur a voulu trouver dans la Bible une source d’inspiration. Il a aussi choisi le personnage le moins religieux qui soit, le plus ouvert, celui sut s’adapter à sa nouvelle patrie, l’Egypte pharaonique, y fait souche puisqu’il épousa Asénét, la fille d’un prêtre égyptien dont il eut deux fils… Certes, la tradition biblique a vite de rapatrier cette famille peu orthodoxe dans le giron judaïque strict, puisqu’au chapitre 49 de la Genèse, l’avant-dernier du livre, le patriarche Jacob adopte littéralement les fils de Joseph, issus d’un mariage exogamique, en disant : ces deux là seront pour moi comme Ruben et Simon (les deux premiers fils des douze fils de Jacob.

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  • Ce suicide dans la cathédrale de PAris, hier…

    Ce suicide dans la cathédrale de Paris, hier…

    La nouvelle a fait l’effet d’une bombe : un homme d’une cinquantaine d’années, sain de corps et d’esprit, a mis fin à ses jours hier dans une enceinte sacrée, pour, prévenait-il dans un communiqué lu sur une radio par l’un de ses amis, dénoncer les dérives de notre temps et de ce pays…

    Quelles que puissent être la solidité de tels motifs, on ne peut s’empêcher de dire sa tristesse devant un fait aussi tragique. Sans céder à l’effet d’accumulation, il faut reconnaître qu’on vit à une drôle d’époque : ce n’est d’ailleurs pas la première fois que quelqu’un met publiquement fin à ses jours. Est-ce le caractère troublé de notre époque ? Est ce la crise économique, le chômage, le relâchement des mœurs et la permissivité ambiante qui expliquent tout cela ? Pour répondre honnêtement, je ne sais pas.

    Mais il ne faut pas que nous devenions comme ces pays lointains où les gens désespérés s’imbibent d’essence et craquent une allumette pour quitter ce monde où ils n’ont vécu que la haine, l’incompréhension et la misère.

    Comment interpréter la symbolique d’un tel geste si tragique ? Et d’abord, existe-t-elle vraiment cette symbolique ? Là aussi, je ne sais que répondre. Mais je dois dire, avant toutes choses, que je suis, comme vous tous, affecté par cette nouvelle.

    Comme l’homme a mis fin à ses jours dans un lieu de culte, une église, en l’occurrence, où les thèmes de crucifixion, de sacrifice sacré, sont omniprésents, on pourrait penser que la victime a voulu donner sa vie dans une certaine forme de culte sacrificiel, cherchant à verser son propre sang pour rédimer les péchés commis par d’autres, ne reculant pas, pour ce faire, devant le sacrifice suprême. On pense évidemment au Christ et au chapitre LIII d’Isaïe que les Pères de l’Eglise interprétaient dans ce sens. Mais il y a tout de même une différence de poids : Jésus a été crucifié, il a été pris et mis à profit, il ne s’est pas suicidé alors que le geste dont nous parlons a été volontaire, déterminé, objectivement choisi…

    Notre société doit se réveiller, elle doit ouvrir l’œil sur ce qui se passe dans le terrible anonymat des grandes villes où les gens se croisent sans se voir, se frôlent sans se parler. N’oublions pas la phrase de Hegel, l’homme est homme parmi les autres hommes. Quand je dis JE, je pose nécessairement, eo ipso, l’existence d’un TU. Ce qui signifie que l’autre est indispensable à mon existence et à la construction de mon moi…

    . Relisez Martin Buber et surtout son livre Je et Tu (1923). Ou le Journal métaphysique de Gabriel Marcel.

    Et souvenez vous de cette phrase d’Emmanuel Levinas, tirée d’ailleurs des écrits de Rosenzweig et de Buber, mon moi, ce sont les autres…

  • Georges Steiner et l'identité juive, l'interview du journal Le Monde

    La dernière interview de Georges Steiner dans le journal Le Monde : l’occultation du judaïsme ?

    Ceux qui, comme moi, connaissent et apprécient beaucoup Georges Steiner (nous avions passé quelques jours avec lui à Cluny à l’occasion d’un colloque organisé par la Maison sur le monde de Mazille) et ont lu son interview accordée à Nicolas Weill du journal Le Monde ont été frappés par une absence, une sorte de référence oubliée : le judaïsme et la culture juive.

    Voici un homme, issu d une famille juive viennoise, qui s’est exilé à Paris pour fuir le nazisme, qui fut scolarisé au lycée Janson de Sailly, qui dut, une nouvelle fois fuir aux USA lorsque les hordes hitlériennes occupèrent la France, et qui, malgré tout cela, ne s’est jamais vraiment intéressé au judaïsme, alors que c’est à cause de sa naissance juive que sa vie, sa propre vie, a pris la tournure que l’on sait.

    Ayant longuement discuté avec Steiner et notamment de philosophie juive et de littérature talmudique, je demeure profondément troublé par cette absence, ce désintérêt, voire cette ignorance. Comment peut on être un intellectuel si fin, si polyglotte, si érudit et tout ignorer de sa propre essence, du judaïsme, de son appartenance juive, même non religieuse (de sa judéité, comme on dit aujourd’hui) alors que c’est ce même élément fondateur qui vous a arraché à la patrie de vos parents et vous a contraint à constamment rechercher des cieux plus cléments ? J’avoue ne pas comprendre. Au fond, si Steiner est devenu ce qu’il est devenu et si’l n’est pas resté à Vienne, c’est bien parce que ses origines juives en furent la cause…

    Cet homme connaît plutôt bien toute la culture européenne mais ne dit rien, ne sait rien de l’identité juive, ni de ses textes fondateurs, ni même des textes qui gisent à son fondement. Pourquoi cette désindentification, volontaire ou involontaire, consciente ou inconsciente ? Est ce la volonté d’occulter la racine de tous nos maux ? Est ce une réaction à la Henri Heine qui disait sous forme de boutade que le judaïsme n’est pas une religion, mais une maladie ? Das Judentum ist keine Religion, es ist eine Krankheit… Cette phrase fait partie des déclarations cyniques ou sarcastiques de l’auteur qui en était très friand… Vous en trouvez une liste quasi exhaustive dans le recueil de Hugo Bieber, Heinrich Heine, confessio judaica (1925)

    J’avoue être assez déconcerté par cette attitude : Steiner est polyglotte, il sait l’allemand, l’anglais, le français, le grec et le latin, et probablement bien d’autres langues européennes, mais pas un mot d’hébreu, ni rien de marquant en philosophie juive, alors qu’un homme comme Thomas Mann (qui n’avait rien de juif sinon … une épouse) évoque avec bonheur des mots d’hébreu dans son Joseph et ses frères… En fait, l’auteur de la Montagne magique et de Docteur Faustus a réécrit toute l’histoire biblique de Joseph : des quatorze chapitres de la Genèse, consacrés au fils préféré du patriarche Jacob, (du chapitre 37 à 50, la fin du livre) il a tiré  1150 pages qui se lisent avec délectation… ! Et même dans les Buddenbrook , le déclin d’une famille (1901, qui lui valu en 1929 le prix Nobel de littérature), Thomas Mann dresse un portrait flatteur du rabbin de Lubeck dont il vante l’érudition, dépassant de loin celle de ses collègues protestants (… dessen Gelehrsamkeit die seiner christlichen Kollegen weit übertraf…m

    Si je dresse ce constat, ce n’est pas pour amoindrir les mérites d’un homme qui a beaucoup apporté à la littérature contemporaine. C’est tout simplement pour souligner une attitude que je ne parviens toujours pas à comprendre, en dépit de ma fréquentation assidue des grands auteurs judéo-germaniques (et Steiner en est un) depuis des années..

    Cela me fait penser à Sigmund Freud, autre juif viennois fameux qui occulta complètement sa référence juive au point de prétendre qu’il n’entendait rien au yiddish ni au judéo-allemand alors que nous savons de science sûre que sa chère mère ne maitrisait pas le haut allemand : mais alors dans quelle langue parlait elle à son cher petit ?. Hayyim Yossef Yérushalmi a écrit un excellent ouvrage intitulé Le Moïse de Freud : Judaïsme terminable et interminable… dont j’ai longuement rendu compte ici-même.

    Et puisqu’on parle de yiddish il faut dire que c’est la seule référence de Steiner dans cette interview à la judéité. Il évoque certains cercles yddishophones de New York où l’on aime tant l’autodérision. Est ce que Dieu existe, demandent ces braves gens ? Pas encore, répondent –ils… J’avoue que cela ne me fait pas rire.

    Parfois je rêve, je rêve que ces hommes que j’admire, qui ont tant apporté à la culture universelle, cultivent aussi leur propre terreau, celui qui les a mis au monde et les a nourris. Le sol nourricier, der Nährboden, comme on dit en allemand…… Leur apport serait alors gigantesque, ils transformeraient le judaïsme, en approfondiraient les concepts en renforçant leur valeur universelle et universaliste. Ils sauraient tous l’hébreu et l’araméen, ce qui leur faciliterait l’accès navigation dans la Bible et le Talmud. Et pour finir, ils contribueraient à l’émergence d’une nouvelle identité juive, en paix avec elle-même, admise par le reste de l’humanité, jouant le rôle d’un phare de l’humanité, mission que les prophètes du VIIIe siècle avent Jésus lui avaient assignée…

    Mais je rêve…