En vadrouille à AKKO Saint Jean d’Âcre
Départ pour Saint Jean d’Âcre
J’avoue que la proposition de Danielle de nous rendre à Akko, Saint Jean d’Âcre, ne m’avait pas vraiment enchanté, eu égard à la circulation automobile erratique dans le réseau autoroutier d’Israël. Mais elle a insisté et vous allez voir en lisant la suite qu’elle a bien fait.
Dans certains de mes livres, notamment dans Le Zohar. Aux origines de la mystique juive ‘(Pocket, 2012) je parle d’Isaac d’Akko qui avait quitté sa ville dévastée par les croiades pour tirer au clair l’origine de la Bible de la kabble et rencontrer Moïse de Léon qui faisait tout pour cacher sa paternité littéraire. Mais moi, je n’avais encore jamais mis les pieds dans cette ville qui vit défiler tant d’envahisseurs depuis les Croisés…
Vers 11 heures, nous prenons la direction de Haifa car Akko est à moins de 15 km de la grande cité portuaire du nord, cible du Hezbollah durant la dernière guerre du Liban. L’autoroute était chargée mais nous arrivâmes à bon port assez vite, selon des critères israéliens. Car ce n’est pas vraiment l’autoroute de Deauville.
Le choix de l’hôtel
Danielle avait lu des publicités fort élogieuses concernant une sorte Guest house dans la vieille ville, arabe à 99,99%, sur le front de mer. Grâce à l’entremise d’une dame russe, tenant un magasin de crèmes de la Mer morte, du nom de Martha (et mère de 6 enfants à 53 ans) nous appelons cet hôtel, l’Effendi. On nous propose deux suites à des prix pharaoniques, ce que nous déclinons évidemment. Et en repartant vers la place centrale (je rappelle qu’il est moins de 15 heures et qu’il fait 38° à l’ombre), tout près des murailles de la ville, on voit un hôtel construit carrément dans les murailles et portant le nom d’AKKOTEL. On y entre et l’homme à la réception nous dit qu’il y a peut être une chambre de libre mais que cela coûte tant et tant (en dollars).. Je connais les Israéliens, j’accepte car il est hors de question de chercher moins cher par cette température. L’hôtel n’est pas mal, de style ottoman, la chambre est correcte, meublée à la turque mais la réception me plaît car il y a des voûtes et j’ai l’impression de me trouver à l’époque ottomane, impression qui sera renforcée le lendemain lorsque nous predrons le petit déjeuner dans une magnifique salle en sous sol : n’oublions pas que la richesse de cette ville se trouve dans les sous sols et que les templiers notamment ont fait merveille dans ce domaine.
Visite de la vieille ville
Je n’avais encore jamais visité une ville arabe d’Israël : par cette appellation, j’entends des cités comme Nazareth où toute une partie de la cité, en l’occurrence la vieille ville est complétement arabe, les noms des rues sont en rabe, sans indications hébraïques, voire parfois l’intitulé en hébreu est en dessous de l’arabe.. Détail significatif : la police israélienne, en civil mais omniprésente, porte l’uniforme des garde-frontières. Lorsqu’on s’est assis sur un banc public en plein quartier arabe, j’ai avisé un véhicule banalisé occupé par quatre hommes plutôt jeunes et d’allure athlétique. Lorsque l’un d’entre eux sortit du véhicule fumer une cigarette, j’aperçus son holster à la ceinture avec un revolver de marque autrichienne, Hauck.. Pendant la visite, j’ai demandé mon chemin à des passants qui m’on répondu dans un hébreu sommaire, puis je les questionnais en arabe, ils m’ont aussitôt demandé si j’étais un touriste. J’ai répondu par l’affirmative..
Puis nous avons vu cette belle mosquée qui évoque la grande mosquée de Paris. Le minaret et le dôme existent et le Muezzin a appelé à la prière moins d’une minute. L’affaire m’a l’air très réglementée. Le souk que nous traversons est plutôt désert, les échoppes rénovées, aux portes peintes en bleu, sont vides. C’est alors que Danielle qui voit tout aperçoit cette gracieuse Marthe (dont j’ai parlé plus haut) qui nous vante ses crèmes, ses démaquillants, ses bouteilles de vin blanc et rouge du carmel et qui nous raconte ce qu’est cette galerie marchande : c’est la galerie turque qui vient d’être rénovée mais dont les loyers sont élevés, près de 2000 NIS par mois (environ 400 Euros). Je l’interroge sur les relations de bon voisinage avec ses collègues arabes, elle répond que tout va bien et qu’elle s’entend bien avec tous. Ce que je vérifierai le lendemain autour d’un excellent café turc..
Dans les tunnels des Templiers
Même un philistin de la culture veut voir les vestiges de la présence de cet ordre religieux combattant, véritable milice du Christ (comme ils se nommaient eux-mêmes) avant de quitter la ville . Médiéviste de formation, même si j’ai étendu mon intérêt aux siècles suivants, je trouve l’entrée du tunnel, paie nos billets et pénètre dans les entrailles de la cité. Je signale que pour y accéder nous empruntons les venelles arabes où les maisons les plus pittoresque s’offrent à ma vue. Même en Afrique du Nord je n’avais encore jamais vu cela : des maisons haut perchées, comment font les vieux pour y accéder, des voies d’accès des plus resserrées, en bref même la vieille ville de Jérusalem ne soutiendrait pas la comparaison. Son seul atout, mais qui n’est pas moindre, ce sont les lieux saints que tous se disputent.. Je trouve que les vestiges d’Akko sont plus riches. Et ces murailles, ces remparts qui enserrent la ville jusqu’au bord de mer, cette mer d’un bleu incroyable qui scintille au soleil..
Il faut se pencher et avoir une bonne vue en parcourant les tunnels de ces hommes de Dieu qui pensaient faire œuvre pie en massacrant ceux qui invoquaient le même Dieu, mais de manière différente. Mais quel travail ! Et quelles salles majestueuses en sous sol, sur des centaines de mètres carrés. Si ces templiers n’avaient pas les mains rougies de sang, notamment juif, je pourrais les admirer.
Chemin faisant et toujours sous un soleil de plomb, je vois une magnifique bâtisse appartenant aux Franciscains, avec de magnifiques voitures (des 4 x4 de couleur blance) garées juste devant les boxes, une denrée fort rare dans la ville, et même dans tout Israël.
A l’Effendi guest house
On dit que ce que femme veut, Dieu le veut. Entendez par là que les dames sont très persuasives.. Danielle s’est mis dans la tête d’en savoir plus au sujet de cet établissement de luxe ne comptant que douze chambres. Après maintes péripéties nous découvrons l’oiseau rare, non loin d’une superbe bâtisse des Bahaïs. Nous entrons et une jeune femme veut bien nous servir de guide. Elle nous dit que l’immeuble est une de ces vieilles maisons turques, occupées par les Arabes qui la vendirent à un homme d’affaires israélien qui opére au nom de riches mécènes vivant aux USA. L’hôtel est superbe. Elle nous montre le hammam, les salle des soins, de massage et surtout la cave où l’on peut déguster du vin, manger des tapas et écouter de la musique. Sachant que je suis français, elle m’assure en hébreu qu’elle possède ici les meilleurs cépages d’Israël. Elle nous montre aussi la salle du petit déjeuner : une magnifique table faite à partir d’un bel arbre des USA, d’un seul tenant, juste 24 sièges magnifiques puisqu’il y a 12 chambres.
En sortant, j’explique à Danielle que tout est parfait ici, excepté le prix…
Les calèches en musique dans les rues d’Akko
De retour à l’hôtel, nous voyons des calèches occupées par des familles arabes ayant des événements à fêter. Mais nous croisons aussi de nombreux groupes de juifs religieux, en famille, se promenant dans les venelles ou négociant avec les Arabes des petites promenades en bateau.
Issu d’une famille juive orthodoxe tout en étant éclairée, je ne savais pas que les barbus aimaient les vacances. Je pensais que l’étude de la Tora était leur seule raison d’être et je me souvins d’un folio talmudique qui disait en substance ceci : lorsque le moment vint pour le roi David de quitter ce monde, l’ange de la mort revenait bredouille auprès du Seigneur qui demandait pour quelle raison l’âme du roi David n’avait pas encore rejoint le trône de la gloire divine. A quoi l’ange de la mort répondait : Mais, ses lèvres étudient la Tora jour et nuit et la Tora c’est la vie, comment voulez vous que je tranche le cours de cette vie, vouée exclusivement à l’étude de la Tora.. Un jour, pourtant, cela a fini par arriver.
Dîner au restaurant Abou Christo
A la nuit tombée, nous faisons réserver une table dans un restaurant de poissons qui porte ce nom étrange : Abou Christo le père du Christ ou le Christ père..
Sachant que l’Orient a des pratiques qui lui sont prores, nous avions tout de même fait une reconnaissance dans l’établissement où nous fumes servis par un jeune maître d’hôtel arabe qui vérifia la réservation du soir. La table était adossée à la fenêtre d’où l’on pouvait voir l’eau et sentir les vagues. Le même soir, nous arrivons à 20 heures tapant et le directeur nous salue comme si nous étions de vieilles connaissances. L’Orient est nettement moins stressé que l’Occident.
Je me plonge dans la lecture de la carte et finit par dénicher du loup de mer grillé car je ne mange pas de crustacés. Juste derrière nous une tablée de 10 jeunes Arabes dînent après le jeûne. Je ne leur parle pas car je vois qu’ils sont affamés et ventre affamé n’a pas d’oreille. Et devant nous, deux jeunes prêtres grecs orthodoxes qui soulèvent cérémonieusement leur longue soutane noire avant de s’asseoir.. Ils parlent entre eux en grec mais en arabe avec le jeune maître d’hôtel. Et je puis dire que notre sainte mère l’Eglise s’occupe bien de ceux qui se dévouent pour elle : des entrées au dessert, en passant par du bon vin et de la bonne eau minérale, rien n’a manqué à ces petits prélats. J’aurais bien engagé la conversation avec ces deux jeunes prêtres pour en savoir plus sur l’équilibre confessionnels dans la ville.
La synagogue du célèbre kabbaliste italien Moshé Hayyim Luzzato
Auteur d’un remarquable traité d’éthique en hébreu, Le sentier de rectitude (Messilat yesharim), ce jeune savant, mort à l’âge de 40 ans avait émigré d’Italie vers la terre sainte car il avait créé autour de lui un cénacle de jeunes disciples qui le considéraient comme une sorte de Messie. Echaudés par le cas de Sabbataï Zewi, les rabbins orthodoxes lui rendirent la vie impossible sur place, ce qui lui conduisit vers l’émigration. Il mourut de la peste çà Akko. Mais il fréquentait une belle synagogue qui porta son nom. Ce lieu de culte était si beau qu’il attira l’attention du préfet ottoman de la ville, lequel décida d’en faire une mosquée et de donner aux juifs un lieu moins luxueux.
Le lendemain matin
Le petit déjeuner dans notre hôtel ne fut pas pantagruélique mais on ne peut pas tout avoir. Danielle décida de repartir vers la galerie turque afin de remercier Martha et de faire chez elle quelques emplettes. En passant, je vois un Monsieur d’un certain âge que je prends pour un juif. Il s’affaire dans un nouveau magasin et je me mets à lui poser des questions. Il me répond avec délicatesse, précise qu’il est un arabe d’Israël mais qu’il appelle de ses vœux la paix et la coexistence pacifique. Martha sort de sa boutique et nous recommande le salon de café turc qui est servi par le fils de ce Monsieur.
Je savoure alors un café fraîchement moulu qui se révèle brûlant. Le vieux s’asseoit en face de nous et la conversation s’engage en arabe, cette fois. Je n’ai pas de mal à comprendre ce qu’il me dit mais au début mon arabe a du mal à sortir. Après, il me demande où j’ai pu apprendre sa langue maternelle. Je lui explique que je connais les philosophes médiévaux arabesd’al=Kindi à Ibn Tushd. Le vieil homme est émerveillé, il ne veut pas que je paie les deux cafés. Quand je le quitte, il me prie de transmettre partout où l’irai son message de paix et de fraternité.
Ne soyons pas des esprits chagrins : acceptons en l’augure.
Maurice-Ruben HAYOUN à Saint Jean d’Âcre
Pour la Tribune de Genève du 16 août
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