Ankara vient à résipiscence…
Ce qui ne laisse pas de retenir l’attention avec le gouvernement turc actuel, c’est à la fois sa naïveté et son manque de discernement des nuances. Il s’était jeté de manière irréfléchie dans les bras de l’alliance maléfique syro-iranienne tout en demandant de rejoindre l’Union Européenne. Dans l’esprit des concepteurs de cette curieuses démarche il y avait l’idée suivante : nous allons montrer aux Européens qu’ils ont tout intérêt à nous recevoir et à nous traiter comme l’un des leurs, faute de quoi nous rejoindrons le camp qu’ils combattent et qui les préoccupe tant.
M. Erdogan avait aussi un autre fer au feu, il voulait jouer les grands intermédiaires, un peu comme Otto von Bismarck jadis et s’était même mêlé du nucléaire iranien, dans l’intention de ménégaer aux Iraniens une sortie honorable
. Aujourd’hui, les fronts sont renversés. Un journal iranien, proche des gardiens de la révolution, menace indirectement la Turquie, l’accusant d’ingérence dans la crise syrienne..
Le Premier Ministre turc ne sait plus comment sortir de ce guêpier : avec l’aplomb des matadors, il dit à la télévision qu’il dépêche en Syrie son ministre des affaires étrangères et s’adresse à son voisin comme s’il était encore une province de l’empire ottoman… Résultat, le Syrien publie un communiqué disant qu’il n’a d’ordre à recevoir de personne et que toute autre attitude sera considérée comme une inacceptable ingérence. Il faut dire que M. Erdogan oublie un peu vite ses précédentes démarches : le régime de Damas n’a pas oublié qu’il cherche à rendre respectables les Frères musulmans, honnis et violemment combattus en Syrie…
En gros, la politique étrangère des islamistes d’Ankara ressemble au cours en zigzag de Guillaume II. Un coup à droite, un autre à gauche et ensuite on a visera si cela ne marche pas.
Une telle attitude est regrettable car la Turquie, par son histoire, son emplacement stratégique et ses richesses pourrait jouer un rôle à l’exacte mesure de ses légitimes ambitions. Disons le honnêtement : elle ne fera pas partie de l’Union Européenne avant longtemps, si tant est que l’adhésion puisse un jour se produire. Et puis, sa politique étrangère actuelle (qui déplaît à l’armée) fait peser sur elle bien des soupçons. Reconnaissons aussi, pour être équitable, que ce pays a fourni de gros efforts, même si on est encore assez loin d’une vie démocratique normale. Et je ne parle même pas des problèmes kurde et arménien..
Mais revenons à la crise actuelle syro-turque : le ministre turc a été fraîchement accueilli à Damas. Or la Turquie a fait d’énormes investissements en Syrie et les sociétés turques sont très présentes en Syrie, comme, d’ailleurs, en Irak. C’est cet intérêt économico-commercial qui a aidé M. Erdogan à jouer ses nouveaux amis syro-iraniens contre l’alliance avec Israël. Or, aujourd’hui, cette nouvelle politique butte de manière scandaleuse contre ses limites et le Premier Ministre amorce, à sa manière, un retour vers la case départ. Il sait bien que le régime syrien ne saurait se déjuger ni partir en exil en abandonnant le pays à la révolte et au chaos. Mais il se rend compte que tout au long de sa frontière (plus de 800km) les chars syriens manœuvrent et répriment dans le sang des manifestations..
Et puis, il y a les exigences des USA, un pays sans lquel la Turquie ne pourrait pas fonctionner plus ou moins normalement. Si l’on a dépêché un émissaire turc à Damas, c’est parce que Washington l’a demandé fermement.
M. Erdogan n’avait pas prévu tous ces bouleversements. Mais gouverner, c’est prévoir.
ll fallait réfléchir un petit peu avant de s’en prendre publiquement à Israël à Davos, il fallait réfléchir avant de lancer cette flottille vers Gaza. Bref, pour finir ce billet sur une note à la fois respectueuse et optimiste, citons un passage du prologue du Faust de Goethe : Wer strebend sich bemüht, den werden wir erlösen.