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Vu de la place Victor-Hugo - Page 959

  • Politique religion

    Politique religion

     

    Les représentants de six religions pratiquées en France doivent, nous dit-on, publier une sorte de manifeste afin de mettre en garde contre ce qui leur apparaît comme un danger de stigmatisation d’une confession particulière, laquelle affiche des difficultés avérées à se mouvoir au sein du cadre laïc en vigueur sur le territoire national.

    Ces représentants des cultes sont assurément dans leur rôle lorsqu’ils attirent l’attention sur des dangers potentiels, et notamment lorsqu’ils soulignent qu’un parti politique ne devrait pas assumer seul ce rôle. Cette remarque pose évidemment la question fort disputée cet an-ci entre le religieux et le politique.

    Durant de longs siècles, la France, fille aînée de l’Eglise et solidement ancrée dans le terreau des valeurs chrétiennes, c’est-à-dire vétéro- et néo-testamentaires, a connu une sorte de monogénisme religieux. La religion chrétienne, et notamment le catholicisme, y régnait en maître absolu, protestantisme et judaïsme n’y jouant qu’un rôle périphérique.La décolonisation, la course désordonnée vers l’industrialisation et le regroupement familial, si confusément prônée par Valéry Giscard d’Estaing ont bouleversé ce paysage. En quelques décennies, l’islam est devenu la seconde religion de France.

    Au fond, si cette religion s’était harmonieusement coulée dans le moule français qui est tout sauf rigide, il n y aurait eu aucun problème, la France ne reconnaissant aucun culte mais respectant strictement la liberté de conscience. Le problème, marginal au début et gagnant de l’ampleur au fil du temps, est que l’intégration à la fois sociale et étatique de l’islam a connu des difficultés que l’on n’a pas su résoudre. Car, en réalité, les retards accumulés durant des décennies se révèlent aujourd’hui bien plus complexes. D’où l’idée de débattre de la place de l’islam dans notre société.

    Quelle forme va prendre ce débat ? Sommes nous certains qu’il n y aura pas de dérapage ? Il est évident que la désignation d’une seule religion comme étant celle qui pose problème ressemble un peu, tout de même, à un début de stigmatisation. Mais est ce la faute de l’Etat ou celle du parti majoritaire ?

    Ce serait plutôt imputable à la carence d’une certaine élite musulmane qui a fait défaut et qui n’a pas su, pas pu ou pas voulu, s’organiser comme les catholiques, les protestants et les juifs.

    Lorsque je me suis entretenu, il y a quelques années de cela, avec un important dirigeant musulman de notre pays, il attiré mon attention sur la grande diversités des composantes de l’islam en France, m’expliquant qu’il était très malaisé de le rendre homogène pour en f aire un islam français. C’est juste.

    Je suis en train de lire un livre fort intéressant d’un chercheur américain sur la guerre d’Algérie, Matthew Cinnelly, L’arme secrète du FLN. Comment de Gaulle a perdu la guerre d’Algérie (Payot, 2011).

    Ce livre nous fait tant comprendre tant de choses.

  • Débat sur l’islam ou débat sur la laïcité ?

    Débat sur l’islam ou débat sur la laïcité ?

     

    Décidemment les lendemains de défaite électorale sont douloureux. Jamais, depuis que Nicolas Sarkozy a été élu à la présidence de la République, on n’avait encore assisté à une telle cacophonie. Et je choisis des termes très modérés tant la fronde, la désunion est patente entre le dirigeant du parti majoritaire et le Premier Ministre est patente. Cependant, les ferments de la discorde évoqués jadis par le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre ne sont pas encore à l’œuvre.

    Certes, le parti au pouvoir n’a jamais remporté des élections intermédiaires car la culture politique des Français et leur tempérament naturellement frondeur les conduisent presque toujours à tirer des coups de semonce à l’adresse de leurs gouvernants. Soyons juste : il est vrai que les motifs d’insatisfaction, voire même d’inquiétude, ne manquent pas : chômage, baisse du pouvoir d’achat et insécurité … Mais il faut aussi se dire que n’importe quel autre gouvernement aurait rencontré les mêmes difficultés. Il convient donc de ne pas grossir démesurément le trait, ni surtout de parler déjà d’une grave politique qui menacerait la stabilité au sommet de l’Etat et minerait gravement le parti majoritaire. Et c’est pourtant ce que je viens d’entendre sur différentes chaînes de télévision.

    En revanche, ce qui ne laisse pas d’intriguer, c’est le bouleversement que semble induire un éventuel débat autour de l’islam, de sa place, de ses implications et de la tentative de certains, et la tentative d’en masquer les aspérités en parlant de laïcité au lieu d’appeler un chat un chat. Reconnaissons, cependant, que les deux thèmes coïncident presque parfaitement puisque obtenir le respect strict de la laïcité à la française ( c’est important de la définir ainsi car nos voisins allemands et britanniques regardent ce terme avec un certain étonnement, voire du scepticisme), c’est déjà régler le statut de l’islam en France.

    Une remarque d’ordre philologique et qui pourrait être éclairante dans un débat où certains hommes politique brillent par l’indigence de leur pensée : le terme connotant l’idée de laïcité n’existe en langue arabe que depuis peu. Ce sont des chrétiens arabes, notamment maronites, qui l’ont frappé et donc transmis à leurs voisins musulmans. Mais même ce néologisme (car c’en est un) ne recouvre pas vraiment ce que nous, Européens et Occidentaux, entendons par laïcité. Le terme en question est ‘alamia ou alamaniya, lorsqu’on le re-vocalise de manière différente. Car les langues sémitiques, l’hébreu comme l’arabe, sont des langues consonantiques.

    Mais ce terme signifie simplement mondanité ou chose de ce monde, de l’en-deça, par opposition à l’au-delà, au sacré et donc au divin (illahiya). Partant, l’idée même de laïcité, telle que conçue par ses inventeurs modernes (Ernest Renan et les hommes politiques qui votèrent la loi de séparation) semble «intransférable» à la culture arabo-musulmane. Paul Ricœur aurait parlé (en imitant la langue allemande ) d’«insubstituabilité» (Unaustauschbarkeit).

    Je sais bien que ces remarques peuvent paraître à des années lumière du débat qui se prépare, mais il demeure que celui-ci peut apparaître comme un véritable cheval de Troie : apparemment, et c’est ce que semble craindre le Premier Ministre, nul ne sait ce qui pourrait en sortir.

    Mais gardons présent à l’esprit que ceux qui ont peur d’ouvrir la boîte de Pandore ne resteront pas nécessairement à l’abri d’une violente bourrasque.

    Un débat digne et équilibré sur l’islam peut très bien avoir lieu, les valeurs humanistes de notre culture politiques nous prémunissent contre tout risque de dérapage.

    Mais de grâce ne confondons vigilance et alarmisme.

  • Maimonide était-il un hérétique ?

    Maimonide était-il un hérétique ?

     

    Mon ami, Monsieur Walter HAGG, Ambassadeur d’Autriche à Dublin a bien voulu me faire parvenir un long article paru dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung en date du 23 mars 2011 signée par une de mes anciennes étudiantes à Heidelberg Susanne Klingenstein. J’ai pris connaissance avec intérêt de cet article, sobrement écrit et qui met surtout l’accent sur la biographie de deux hommes Nahum Norbert Glatzer et le célèbre Léo Srtauss. Il s’agit de passer en revue leur amitié nouée à la fin des années vingt et le milieu des années trente. Et aussi leur émigration vers le Royaume Uni et ensuite les USA. Un détail piquant : c’est Carl Schmitt qui intrigua pour que Léo Strauss obtienne une bourse d’études aux USA… Un éminent juriste qui s’éait compromis avec les Nazis permet à un savant juif allemand de sauver sa vie et de fuir l’Allemagne hiltérienne…

    L’idée, révolutionnaire selon Susanne Klingenstein et qu’elle croit révéler au grande public, est que, selon Léo Strauss, grand spécialiste de Thomas Hobbes, du droit naturel, de l’islam philosophique médiéval et de Maimonide, ce dernier tenait pour incompatible toute union du judaïsme et de la philosophie. Partant, l’auteur du Guide des égarés qui se présente lui-même comme un philosophe parachevé n’aurait été en fait qu’un hérétique et un incroyant. Ce qui est un contresens absolu.

    Cette thèse avait déjà été explicitée par Léo Strauss dans différentes études publiées mais aussi dans son introduction à la traduction anglaise du Guide des égarés (Chicago, 1963) par Shlomo Pinès, intitulée How to begin the study of the Guide… Mais déjà en 1952 Strauss avait faire paraître lors de son professorat aux USA une brillante étude intitulée, en traduction française, Persécution et l’art d’écrire.

    Il y expliquait clairement que certains philosophes médiévaux, dont Maimonide et Averroès mais aussi ibn Badja et ibn Tufayl avaient scrupuleusement masqué leurs pensées profondes afin de ne les destiner qu’au public averti et choisi, formé au plan philosophique. C’est d’ailleurs ce que fait Maimonide clairement dans son introduction au Guide… lorsqu’il énumère les sept principes de la contradiction dont le cinquième et le septième sont utilisés dans cette œuvre. Il va jusqu’à mettre en garde quiconque commenterait son Guide par écrit car cela reviendrait à le mettre à la portée de milliers de lecteurs probablement impréparés. Le risque étant pour eux d’en perdre la foi sans, pour autant, être devenus des adeptes de la spéculation philosophique.

    Strauss avait développé ces mêmes idées dans un autre ouvrage, désormais traduit lui aussi en français, intitulé Philosophie et loi : essai d’interprétation de Maimonide et des précurseurs. Dans ce texte, Strauss s’en prenait à l’œuvre maîtresse de Julius Guttmann, Die Philosophie des Judentums (Munich, 1933, traduite chez Gallimard sous le titre Philosophies du judaïsme.

    En fait, ce qu’il y a de sensationnel dans la relation Strauss / Glatzer, c’est l’effet provoqué sur le second par les résultats des recherches du premier. Retirer Maimonide à la théologie juive, était pire que les rumeurs diffusées par les Arabes selon lesquels Maimonide se serait converti à l’islam. Or, Glatzer était issu d’un milieu très orthodoxe et était un savant talmudiste…

    En réalité, ce qu’il y a de pertinent dans toute cette affaire et qui n’amoindrit en rien la croyance en Dieu de Maimonide, c’est la séparation hermétique entre les masses et les élites, deux discours parallèles dont Maimonide a toujours admis l’existence dans ses œuvres.

    Mais grâce à Madame Klingenstein, on saura désormais qui était Léo Strauss, qui était Nahum N. Glatzer et dernier mais non moindre, qui était vraiment Maimonide : un adepte sincère d’un judaïsme philosophique fortement intellectualisé.