Marine Le Pen, les sondages et la radio juive
Fallait-il «désinviter» Marine Le Pen ? Je viens d’écouter Michel Rocard dire sur BFM Tv qu’il n’aurait pas agi ainsi s’il avait été journaliste. Il n’a pas tort. Moi aussi, je n’aime pas la censure et je pense que cette femme, âgée de 42 ans, n’a jamais fait de déclarations antisémites comme d’autres et que son élection va, en tout état de cause, changer la structure (à défaut de la nature) du F.N. ce qui n’implique nullement que ses idéaux se rapprochent des miens. Cela posé, plus d’un Français sur cinq s’intéresse à ce qu’elle dit, sans nécessairement s’identifier à son programme politique ni en reprendre la totalité. Enfin, cette femme se cherche, elle vise à redéployer le parti de son géniteur après avoir pris ses distances avec un legs paternel plutôt embarrassant.
Mais il faut considérer les choses dans l’ordre ; voyons en tout premier lieu le fameux sondage qui, visiblement, n’a pas été présenté avec les précisions requises. Quelles furent les questions précisément posées aux personnes sondées concernant la présidente du FN ? Nous voulons en connaître l’intitulé exact.
Tout parti protestataire, en France comme ailleurs, a le vent en poupe lorsque la situation économique n’est pas bonne et que les autorités politiques du pays se cherchent au lieu de fixer intelligemment le cap. En France, spécifiquement, ce malaise s’accompagne d’un problème qui est loin d’être imaginaire, l’immigration.
En soi, ce flux migratoire n’a rien d’exceptionnel ni de dangereux. Michel Rocard vient de rappeler que ce fut Georges Pompidou qui autorisa, en son temps, la venue globale d’environ 3 millions de travailleurs, jeunes, robustes et célibataires, dont notre industrie avait bien besoin. En ces temps là, la croissance était vigoureuse. L’ancien Premier Ministre a insisté sur les carences de cet appel d’air : aucune mesure d’accompagnement (ni logement, ni structure d’accueil, ni apprentissage de la langue, ni socialisation à la française)…
Ce qui rend ce flux migratoire inquiétant, voire même menaçant aux yeux d’une grande partie de la population, c’est la dissimilitude culturelle, l’absence de valeurs communes et la montée en puissance d’un islamisme, version dévoyée de l’islam originel. Les gens se posent la question suivante : toute religion a au moins deux aspects, le premier, populaire, accessible à tous mais banal, est acceptable et présent dans toutes les confessions. Et le second, empreint de pure spiritualité, et, par là même, réservé à une élite restreinte, comme le préconisaient au Moyen Age des penseurs comme Averroès et Maimonide. Ces deux penseurs avaient mis sur pied ce que l’on pourrait appeler la religion des élites. Et les gens se demandent, de bonne foi, mais où est donc cet aspect normal de la religion musulmane ? Ils ne le trouvent pas et pensent qu’il n’existe pas..
Le problème avec l’islam contemporain, c’est qu’on n’en connaît que l’aspect guerrier, militant, invasif et agressif. Si les gens avaient la possibilité de connaître les complaintes spirituelles de grands maîtres mystiques de l’islam médiéval (al-Ghazzali, Ibn Tufayl, Ibn Arabi), ils les placeraient sur pied d’égalité avec des grandes maîtres de la mystique rhénan (maître Eckhart, Suso et Tauler)
Or, que pensent les petits Français quand ils voient à la télévision des gens priant, agenouillés, dans nos rues et sur nos places du marchés, eux qui sont habitués à associer la prière à la dignité, l’oraison et le décorum des églises romanes ou baroques ? A l’évidence, ils ne considèrent pas cette religion comme les autres…
Et, bien évidemment, le FN et sa nouvelle présidente ne manquent pas de faire leur profit de cette dissimilitude…
Fallait-il rejeter Marine Le Pen ? J’en doute, sincèrement. Dans mon précédent billet, paru hier dans la TDG, j’expliquai que ce projet d’émission n’était pas sans risque pour Marine Le Pen elle-même qui aurait eu à supporter la litanie (et elle est longue) de tous les dérapages verbaux de son père que je n’aurai pas la cruauté de rappeler ici. En outre, on ne sait pas ce qu’elle aurait pu dire, peut-être aurait-elle affirmé solennellement que son parti tournerait définitivement le dos à la xénophobie, au rejet de l’autre, etc… Peut-être aurait-elle parlé d’Israël, de sa sécurité, de sa légitimité etc… Mais je rêve, peut-être, moi aussi.
Cependant, le danger pour la radio juive et même bien au-delà, eût été l’accusation d’une alliance objective entre cette communauté juive française et le FN, ligués contre un ennemi commun (réel ou imaginaire) l’islamisation de la France.. Une telle représentation ne repose sur rien de solide mais chacun connaît les méthodes d’une certaine presse.
Je pense que la faiblesse des solutions préconisées par le FN est la meilleure arme dont dispose un régime authentiquement démocratique pour les récuser. Mais les questions, elles, demeurent, même si elles sont mal posées. Et pour une majorité de nos compatriotes, elles ont au moins le mérite d’être posées.