Maître Michel HALPERIN in memoriam
Dans cet hommage rendu à un homme que j’admire, je dois d’emblée dire que je n’ai pas eu la chance de le connaître et de le fréquenter depuis très longtemps. Pourtant, nous étions devenus des amis et la nouvelle de sa disparition soudaine m’a surpris car, tout en le sachant souffrant, je ne m’attendais guère à terrible nouvelle.
En mobilisant mes souvenirs, j’ai tenté de découvrir à quel moment j’ai pour le première fois entendu parler de Maître Michel Halperin. Et le résultat ne tarda pas à s’imposer à moi : ce fut à Genève chez ma sœur aînée Annie Abihssira qui me montra des photographies prises lors d’une soirée de gala… Accompagné des commentaires de ma sœur qui tressait des couronnes Michel pour ses qualités d’orateur, je pus le découvrir : un homme au regard perçant mais bienveillant, souriant, visiblement sûr de lui tout en étant attentif aux autres… Bref, un homme dont je découvris sans surprise qu’il était avocat, l’un des meilleurs, sinon le meilleur de tout Genève où Dieu sait que cette profession est largement représentée…
Nommé professeur à l’Uni de Genève, aux côtés de mon éminent collègue et ami Alain de Libera, dès 2003, pour y enseigner la philosophie juive, ses sources gréco-arabes et ses prolongement judéo-allemands (de Moïse Mendelssohn à Martin Buber en passant par Franz Rosenzweig), le nom de Maître Michel Halperin revenait souvent dans les conversations de mes élèves les plus anciens, des expatriés français, d’anciens PDG ou hommes d’affaires à la retraite. Ils avaient dû recourir aux services d’un grand juriste doublé d’un fin politique respecté de tous.
Lorsque j’eux moi aussi besoin d’une information précise dans un dossier, le nom de Michel Halpérin s’imposa à moi. Je lui téléphonai donc depuis Paris et laissai un message, désespérant d’avoir de ses nouvelles. Quelle ne fut ma surprise lorsqu’il m’appela, en cette même journée, à peine quelques heures après que je m’étais manifesté. Et après avoir répondu à mes questions, il eut l’élégance de me dire qu’il regrettait bien que sa trop grande charge de travail l’empêchait d’assister à mes conférences hebdomadaires… Dès lors, je décidai de lui faire parvenir à Genève tous les livres que je publiais. Il en était toujours très heureux et ne manquais jamais d’en accuser réception en me disant sa joie de lire et d’apprendre… On sentait chez lui attachement profond et sincère à cette tradition ancestrale qu’il connaissait bien et à laquelle il adhérait de toutes les fibres de son être, tout en étant très ouvert à d’autres conceptions du monde. Si je voulais résumer sur ce point précis l’attitude de ce grand Monsieur, je dirais qu’à ses yeux, la compatibilité entre l’identité juive et la culture européenne était parfaite. N’oublions pas qu’il fut l’élève du grand rabbin Alexandre Safran (ZaL)
Après maints échanges par lettre, téléphone et mel, ce fut ma remise des insignes de chevalier de la Légion d’Honneur au professeur Charles Mela qui nous permit de nous voir et de passer un moment ensemble. C’est aussi à cette occasion que ma femme et moi eûmes la joie rencontrer sa chère épouse, Madame Esther Halperin. Dès lors nous devînmes des amis. Michel me félicitait pour mes livres, pour mes passages à la télévision dans l’émission Genève à chaud de notre ami Pascal Décaillet ou encore pour les émissions tôt le lundi matin à Radio-Cité.
On le voit, la divine Providence avait, semble-t-il, confié à d’humaines mains le soin de nous rapprocher. J’ajouterai un autre élément qui resserra nos liens, sans que nous ne le sachions nous-mêmes. Je veux parler du rôle joué par la sœur et le frère de Michel, et surtout par leur oncle, le professeur Jean Halperin que je connaissais depuis longtemps en raison de son éminent rôle dans la préparation des colloques des intellectuels Juifs français à Paris. Le regretté Jean Halperin était venu m’écouter chez le rabbin François Garaï lorsque je fis au GIL une conférence sur la philosophie d’Emmanuel Levinas qu’il connaissait à la perfection. Malgré son grand âge, le professeur Halperin fut le premier à intervenir et à enrichir mon propos. Mais toujours à la façon de cette grande famille, avec distinction et élégance. Et c’était sa nièce, donc la sœur de Michel et de Daniel qui se chargeait de régler les questions d’intendance.
Je puis donc dire que par maints fils, je connaissais bien Michel. Car notre dernière rencontre à Genève nous fut offerte par son frère le Dr Daniel Halperin qui m’invita à venir parler du livre de l’Ecclésiaste lors d’un dîner-débat dans le cadre d’un association communautaire qu’il préside. Michel n’avait pas pu se libérer pour y assister mais deux jours plus tard alors que ma femme et moi rentrions par avion à Paris, nous le rencontrâmes à l’aéroport car il faisait le même trajet. Une fois sur place, Michel nous proposa son taxi pour quitter l’aéroport. Arrivé à Passy, Danielle lui proposa de boire un café à la maison. Il accepta volontiers et nous restâmes une bonne heure ensemble. Je profitais de l’opportunité pour lui offrir l’un de mes derniers Que sais-je ?. Il m’en demanda un second exemplaire pour son frère Daniel, que je lui remis avec plaisir. Ce qui prouve de manière éclatante son amour fraternel. Au cours du trajet, il appela sa fille au téléphone et ici aussi on sentait vibrer l’intensité de l’amour d’un père pour sa fille.
Ce fut notre dernière rencontre. Il avait pourtant l’air remis de sa maladie et ce fut une affreuse surprise pour ma femme et moi d’apprendre sa mort. Un homme de cette qualité ne disparaît pas entièrement en quittant cette terre. Ses œuvres témoignent pour lui. Et pour longtemps.
Je voudrais citer ici deux références tirées de deux traditions différentes mais non opposées : la première nous est enseignée par tradition juive et veut que les œuvres d’un disparu plaident pour lui, comme le disait le prophète Isaïe dès le VIIIe siècle avant notre ère : Voici sa salaire est avec lui et son œuvre le précède… La seconde provient d’Ernest Renan, le grand philosophe-historien du XIXe siècle aux duquel la définition de la résurrection est la suivante : continuer de vivre dans le cœur de ceux qui vous ont aimé.
Et pour Michel on peut dire, sans crainte d’être contredit, qu’ils furent et sont toujours très nombreux.