Que reste t il des «printemps arabes» ? Egypte, Tunisie, Libye, etc…
Oui, que reste t il de ces événements qui ne furent que des soulèvements sociaux et auxquels la paresse conceptuelle des journalistes occidentaux (prenant leurs désirs pour la réalité) ont accolé un qualificatif prestigieux, le printemps de Prague, qui lui, en était un et produisit de magnifiques fruits. J’en parle aujourd’hui car tout le monde ne parle plus que de la nouvelle constitution tunisienne dont les douleurs d’enfantement ont duré pas moins de deux ans et demi…
Il serait injuste de dire que, dans ce cas précis, la montagne a accouché d’une souris, on n’ira pas jusque là, mais un examen attentif de ce texte montre qu’il est la résultante d’innombrables compromis laborieux. Il y a de prime abord ces annonces redondantes qui vont de soi, tant elles sont évidentes mais que les Arabes éprouvent toujours le besoin de poser alors qu’elles relèvent de l’évidence. Que la Tunisie soit musulmane et que l’islam soit sa religion, tout le monde le sait. Quel besoin de le répéter ? Personne n’a jamais songé à nier ces données de base ni à déislamiser ce pays. De telles répétitions attestent une certaine faiblesse et un manque de confiance en soi. En revanche, la question qui se pose est la suivante : l’islam est il, doit il être la religion de tous les Tunisiens ? La question se pose depuis l’époque de Habib Bourguiba, ce despote éclairé qui fit plus de bien que de mal à son pays mais qui, comme tous les gouvernants arabes s’était cru indispensable, jusqu’au jour où son homme de confiance, un général, le destitua sans peine et régna sans partage sur le pays jusqu’au jour où il fut contraint à fuir , à la suite à un soulèvement populaire.
Il y a donc des caractères inhérents à cette réalité politique, culturelle et religieuse que sont ces pays qui ne réalisent toujours pas que pour avoir une vie sociale harmonieuse, la religion doit être une affaire privée, séparée hermétiquement de la politique. C’est l’une des clés du décollage de tous ces pays où la socio-culture est imprégnée, voire imbibée de notions théologiques et religieuses.
La Tunisie a tout de même une grande valeur paradigmatique : le sang n’y a pratiquement pas coulé, comparé à ce qui se passe en Egypte ou, pire encore, en Libye. Sans même parler de la Syrie où rien n’est réglé ou où le dictateur sanguinaire semble, hélas, avoir encore de beaux jours devant lui, grâce à la très coupable bienveillance de Vladimir Poutine.
Le parti islamiste Annhda a échoué et il m’étonnerait fort qu’il puisse revenir en force au parlement au terme d’élections législatives qui ne manqueront pas de nous étonner. Certes, comparés aux autres forces politiques naissantes dans le pays depuis la chute du président Ben Ali, ces islamistes étaient mieux organisés car soit ils étaient dans la clandestinité, soit ils vivaient en exil, d’où ils pouvaient organiser la lutte. S’ils ont été choisis par la population, c’est parce que celle-ci aspirait à tourner la page de la dictature au plus vite, tout en ignorant qu’elle passait de Charybde en Scylla : les islamistes n’avaient aucune idée de ce que signifie diriger un pays : au début on sert de l’idéologie creuse mais au bout de peu de temps, le peuple réclame à boire et à manger, du travail, un avenir, quoi, un futur qui sourit. Impossible avec ces messieurs qui rêvent d’enfermer les femmes, de renforcer la main mise religieuse sur la vie politique du pays, de noyauter la société et de faire la guerre à l’impérialisme mondial, et, dernier mais non moindre, à Israël.. Il suffit de se reporter aux épures précédentes de la constitution pour s’en convaincre.
Aujourd’hui, toutes ces étourderies sont passées et si la nouvelle constitution est si longue, c’est parce qu’elle dit un peu tout et son contraire : parler de liberté de conscience et revendiquer le bras armé de l’Etat pour défendre le sacré ! Les rédacteurs auraient dû consulter de bons constitutionnalistes avant de décider. De même, j’ai l’impression, en tant que non juriste, que les constitutionnels tunisiens ont allégrement confondu constitution et code civil. Rendez vous compte : près de 200 articles !! Pourtant, ce pays a un président qui a une formation scientifique de premier ordre, c’est un ophtalmologiste reconnu, qui a même formé en France d’excellents étudiants. C’est dire que ce sympathique petit pays a des potentialités qu’il tarde à mettre à profit. Car le problème est là : il faut remettre la Tunisie au travail. Or on a perdu toutes ces années au cours desquelles les investisseurs ont déserté ce beau pays ensoleillé : savez vous combien de touristes sont allés en Grèce, en Espagne et en Italie au lieu de se rendre en Tunisie ou en Egypte ? Des millions !! Et précédemment, ils se rendaient pourtant à Hammamet. Al-fahem yafhem. A méditer. (Ha-mévin yavin)
Et l’Egypte ? Elle s’en sort moins bien que sa petite sœur tunisienne puisqu’on ne dénombre plus les victimes d’attentats chaque jour. Hier, les télévisions ont montré un spectacle attristant : le président déchu M. Morsi marchant dans sa cage (oui, une cage !!) dans le tribunal qui doit le juger. Quel retournement de situation ! Il y a quelque temps, c’était le président Hosni Moubarak qui était alité dans cette même cage. Quand je pense que le verdict pourrait être la peine capitale, je frémis littéralement d’horreur.
Dans ce contexte au moins, à part de condamnables assassinats dans l’ancienne Carthage, le sang n’a pas coulé en Tunisie. L’Egypte, c’est autre chose, c’est le plus grand pays du monde arabe avec sa population de plus de quatre-vingt millions d’habitants. Et on se rend compte que le passage d’un civil élu démocratiquement n’aura été qu’une parenthèse : l’armée, seule force organisée du pays, reprend les choses en main. Le général Abdoul Fattah al Sissi vient d’être promu maréchal (al-Mouchir) et se prépare à devenir le président de la république.
Est ce un mal ? Pas nécessairement car ce pays a lui aussi besoin de stabilité pour retrouver une vigueur économique. Et puis, reconnaissons que les islamistes ont offert à l’armée une occasion rêvée de revenir au pouvoir. Toujours cette absence de formation politique, cette volonté de renforcer la main mise de la religion sur la vie politique et sociale du pays. Et tant d’autres choses d’un autre temps et d’une autre époque.
L’avenir n’est écrit nulle part. Ce sont les hommes qui le façonnent avec l’aide de D-, qu’ils soient croyants ou pas. Il est grand temps que le monde arabo-musulman regarde la réalité en face et cesse de confondre les discours enflammés avec d’authentiques réformes. L’idéologie n’a jamais nourri personne, exceptés ceux qui en vivent au dépens de leur compatriotes. Ce monde arabo-musulman, héritier d’une grande civilisation et d’une grande culture, ce monde dont les Lumières ont éclairé des siècles d’obscurantisme et de barbarie médiévale, cet islam des Lumières (Islam al-Anwar), devrait resurgir, s’assagir et reprendre la place d’honneur qui fut la sienne. Je rappelle qu’un médecin-philosophe musulman, du XIIe siècle, Ibn Badja, l’Avempace des Latins, fut le premier à parler de la critique philosophiques des traditions religieuses et de la Révélation. Il fut suivi quelques décennies par le célèbre médecin-philosophe ibn Tufayl et sa magnifique épître Hayy ibn Yaqzan.
Le monde judéo-chrétien a dû attendre quelques siècles pour accéder à ce niveau
Il n’est pas trop tard.