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Vu de la place Victor-Hugo - Page 707

  • Vers un affaiblissement prolongé de la France?

    Vers un affaiblissement prolongé de la France ?

    Les problèmes, aimait à dire Jacques Chirac, volent en escadrille. Ce qui signifie en termes plus mesurés qu’un malheur n’arrive jamais seul. Les zones de turbulence se multiplient pour le pays : plans sociaux à la chaîne, enlèvement de Français en Afrique noire, victimes militaires au Mali, remise en cause violente de notre système social par le patron de Titan qui refuse de reprendre Goodyear, impossibilité de respecter les 3% requis par l’Union Européenne… Et ce n’est pas tout, puisque chaque jour qui passe apporte son lot de dissentiments et d’insatisfactions.

     

    Cette avalanche de mauvaises nouvelles ne fera pas douter de leur mission les hommes qui sont à la barre et qui savent naviguer même par gros temps. Mais il ne faut pas manquer d’en tirer les enseignements. Commençons par la lettre du patron de Titan : je reconnais qu’elle contient des propos vexants, voire insultants pour le pays, sa mentalité et ses classes laborieuses. Mais elle invite à une réflexion : il faut en finir avec cette idée selon laquelle la France, ce si beau pays où l’on mange bien, où les femmes sont belles et accueillantes, le vin comparable à un nectar et les pays bucoliques… Il faut comprendre que l’étranger qui regarde la France débattre de la retraite à 60 ans n’en croit pas ses yeux, alors que se pose le problème du maintien des retraits tout court… L’étranger ne comprend pas non plus la pause déjeuner accordée du haut et jusqu’en bas de l’échelle sociale: vous avez vu dans les séries américaines que tous les employés mangent devant leur ordinateur dans leur bureau… un monde sépare ces deux univers…

     

    La France a-t-elle vieilli ? A-t-elle manqué ses rendez vous avec le monde de demain ? Quand sera-t-elle enfin de retour ? Quand il était ministre dans le gouvernement de Michel Rocard, Roger Fauroux, un homme que je connais personnellement et admire, avait déjà dénoncé le nombrilisme franco-français. Comme on vivait jadis encore dans l’insouciance dans ce pays, la remarque n’avait pas plu, elle n’avait même provoqué une discussion salutaire, un retour sur soi, ce que les Allemands nomment Selbstbesinnung, un examen de conscience.

     

    Et aujourd’hui, la France intervient courageusement au Mali. Ses troupes victorieuses ont bouté hors des villes les islamistes et les pourchassent jusque dans leurs derniers retranchements afin de les neutraliser complétement. Même le rapt d’une famille avec des enfants en bas âge (quelle mentalité, quelle inhumanité, quelle cruauté !) ne fera pas reculer la France qui a affiché sa détermination. Mais cela ne suffit pas à montrer à tous ceux qui défient ce pays qu’il est encore en mesure de se faire respecter.

     

    Il faut dire que la crise économique qui étend son ombre menaçante depuis des années a tout détruit et on n’en voit toujours pas la fin. Le gouvernement actuel (et je me demande si un autre aurait mieux fait) est à la recherche de plusieurs milliards, il a dû revoir son indice de croissance à la baisse (de 0,8 à 0,3-2) probablement, et le chômage croît de jour en jour… Le premier président de la cour des comptes a même proposé de fiscaliser les allocations familiales.

     

    Les mesures sociales, voilà le nœud du problème mais l’écrasante majorité des Français ne veut pas en entendre parler. C’est un sentiment humain et parfaitement compréhensible. Mais peut-on continuer à vivre dans la crise comme on vivait avant la crise ?

     

    N’oublions pas qu’en Allemagne ce fut un gouvernement socialiste de Gerhard Schröder qui a impose les lois Harz 1 à 4, rendant possible le redressement spectaculaire du pays. Mais voilà, il ne fut pas réélu…  Et la France n’est pas l’Allemagne !

     

    A méditer. Si l’on veut pouvoir dire un jour qu’on espère prochain : la France est de retour…

     

    Maurice-Ruben HAYOUN

    In Tribune de Genève du 20 février 2013

  • La société duale et la paupérisation de nos pays

    La société duale ou la paupérisation de nos pays

     

    La vision qui fut celle de Valérie Giscard d’Estaing se confirme : nous allons vers une société duale. Si vous écoutez les informations, on ne parle que de crise, de stagnation, de croissance nulle et de paupérisation, relative, pour le moment mais qui est devenue quasi absolue en Grèce.

    Ce matin, un signe qui ne trompe pas sur le changement de monde que nous vivons : la SNCF qui est attentive au plan commercial au marché et au comportement des clients vient d’aménager un train low cost, à 25 € le voyage en direction de Marseille, mais à des conditions assez incroyables : vous allez jusqu’à Marne la Vallée, à 45 minutes de Paris, classe unique et un seul bagage par personne et pas de voiture bar. Bientôt, on fera même payer l’usage des cabinets de toilettes…

    Si cela continue on fera comme à Bombay ou à Calcutta, on voyagera sur les toits des trains, dans les couloirs ou sur les fenêtres. C’est absolument incroyable.

    Qui fustigera l’incurie de nos prévisionnistes et l’insouciance de nos politiques, plus enclins à se faire réélire qu’à dire la vérité sur la situation économique de leurs pays respectifs…

    Je ne sais si vous l’avez déjà remarqué mais la pauvreté s’installe même dans les supermarchés où les conditionnements des produits changent progressivement : on vend de l’essuie-tout à taille réduite, on vend des packs de bière ou de limonade à trois bouteilles au lieu de six, des mouchoirs en papier en nombre réduit afin de demander des prix moindres, etc…

    Comment faire ? Comment nier la réalité ? Les ministres de tous les pays d’Europe n’ont plus qu’un mot à la bouche : la rigueur ou l’austérité. On parle même de fiscaliser les allocations familiales. Mais où donc nous  arrêter ?

    Certains, situés à un point déterminé du spectre politique, prétendent que les dépenses de santé et de justice sont dues à une population non française qui profite indûment de l’argent du pays et de ses allocations chômage, maladie, familiales etc… Ce serait terrible mais cela risque d’arriver si l’on n y prend garde : il faut simplement stopper l’immigration et renvoyer chez eux, mais de manière humaine, ceux qui n’ont rien à faire en Europe.

    La situation sera réexaminée en cas de retour à meilleure fortune.

  • La doxa ou comment se fabrique l'opinion publique…

    La doxa ou comment se fabrique l’opinion publique…

     

    Cette petite réflexion m’a été inspirée ce matin par un bref, très bref, commentaire d’une grande chaîne de télévision au sujet du rôle joué par la presse en général, et notamment celle de la petite lucarne. Son effet est immense, qu’il soit dévastateur ou bénéfique, ce dernier cas étant nettement plus rare. Evidemment, les journalistes, à l’affût des nouvelles les plus fraîches et aux aguets de tout scoop, ont expédié l’affaire en dix seconde, évoquant à grande vitesse le cas du père divorcé de Nantes juché sur sa grue et les trois immolations qui se sont hélas déroulées dans le pays la semaine passée.

    Si la télévision n’en avait pas parlé, on n’en aurait rien su. Parfois, le paradoxe est très grand entre l’entrefilet paru dans la presse dite sérieuse et le long reportage diffusé à la télévision et qui, de ce fait même, atteint des millions de personnes…

    J’ai utilisé le terme paradoxe où figure justement le mot grec DOXA qui veut opinion généralement admise, préjugé communément accepté par une large partie de la population…  C’est un mot que l’on retrouve en français dans d’autres expression, par exemple : orthodoxe (conforme à la doxa), hétérodoxe (étranger ou opposé à la doxa) et aussi dans doxographe (esprit de second ordre qui se contente de classer les opinions des uns et des autres sans apporter la moindre idée originale.) La pire injure pour un philosophe est d’être traité de doxographe, un peu comme si Fr. Nietzsche parlait d’eunuque du savoir ou d’âne chargé de livres…

    Tout ceci pour dire que nous sommes nettement influencés par les compte-rendus d’une presse qui vole d’un sujet à l’autre, recourt à une terminologie peu appropriée (voyez l’hésitation entre démission du pape, ce qui est absurde et plus raisonnablement la renonciation, plus appropriée), bref toute cette fluidité terminologique qui peuple nos jours et nos veilles et obscurcit  notre perception du monde qui nous entoure.

    Reprenons le thème de la tromperie alimentaire : si la presse n’avait pas  opportunément sursaturé l’opinion de tant de détails, le fait serait passé inaperçu. Voyez le drame de ce sportif sud africain qui a tué son amie, on en parle tous les jours, alors qu’il ne s’agit que d’un fait divers… Je n’ose revenir sur le cas de DSK (auquel j’ai consacré tant d’articles par le passé) car cela ouvrirait sous nos pieds un gouffre dans lequel je ne souhaite plus m’aventurer.

    Tous ces faits, hâtivement traités et jetés en pâture à l’opinion, constituent notre opinio, l’opinion publique, parfois même l’opinion publique internationale.

    Pourtant la DOXA a eu une sœur jumelle l’épistémè (le savoir scientifique vérifiable)  qu’elle a laissée loin derrière elle dans cette course éperdue pour former l’esprit humain et sa vision de l’univers (Weltanschauung). Avoir une opinion, se faire une opinion, n’est pas connaître la vérité. L’un de mes collègues à l’Uni de Genève me disait récemment en allemand Information ist kein Wissen : l’information n’a pas le label de la science ni du savoir.

    Et pourtant, nous dépendons tous de la doxa et ne connaissons rien à l’épistémè. Chacun d’entre nous est, chaque matin que Dieu fait, submergé par une foule d’informations relayés par des hommes et des femmes de presse qui sont généralement très pressés et qui n’ont guère le temps d’approfondir. La plupart du temps ils utilisent une terminologie peu rigoureuse et rangent les nouvelles selon leur degré sensationnel.

    Oui,  c’est bien la doxa qui  nous gouverne et c’est elle qui nous dicte nos opinions. D’où cette notion d’opinion publique nationale ou mondiale autour desquelles se nouent des millions de malentendus.

    Quand je dis : je pense, je crois, cela ne veut rien dire.

    Freud avait raison : le Je n’est pas maître chez lui…

     

    Maurice-Ruben Hayoun

    In Tribune de Genève du 18 février 2012