Vers un affaiblissement prolongé de la France ?
Les problèmes, aimait à dire Jacques Chirac, volent en escadrille. Ce qui signifie en termes plus mesurés qu’un malheur n’arrive jamais seul. Les zones de turbulence se multiplient pour le pays : plans sociaux à la chaîne, enlèvement de Français en Afrique noire, victimes militaires au Mali, remise en cause violente de notre système social par le patron de Titan qui refuse de reprendre Goodyear, impossibilité de respecter les 3% requis par l’Union Européenne… Et ce n’est pas tout, puisque chaque jour qui passe apporte son lot de dissentiments et d’insatisfactions.
Cette avalanche de mauvaises nouvelles ne fera pas douter de leur mission les hommes qui sont à la barre et qui savent naviguer même par gros temps. Mais il ne faut pas manquer d’en tirer les enseignements. Commençons par la lettre du patron de Titan : je reconnais qu’elle contient des propos vexants, voire insultants pour le pays, sa mentalité et ses classes laborieuses. Mais elle invite à une réflexion : il faut en finir avec cette idée selon laquelle la France, ce si beau pays où l’on mange bien, où les femmes sont belles et accueillantes, le vin comparable à un nectar et les pays bucoliques… Il faut comprendre que l’étranger qui regarde la France débattre de la retraite à 60 ans n’en croit pas ses yeux, alors que se pose le problème du maintien des retraits tout court… L’étranger ne comprend pas non plus la pause déjeuner accordée du haut et jusqu’en bas de l’échelle sociale: vous avez vu dans les séries américaines que tous les employés mangent devant leur ordinateur dans leur bureau… un monde sépare ces deux univers…
La France a-t-elle vieilli ? A-t-elle manqué ses rendez vous avec le monde de demain ? Quand sera-t-elle enfin de retour ? Quand il était ministre dans le gouvernement de Michel Rocard, Roger Fauroux, un homme que je connais personnellement et admire, avait déjà dénoncé le nombrilisme franco-français. Comme on vivait jadis encore dans l’insouciance dans ce pays, la remarque n’avait pas plu, elle n’avait même provoqué une discussion salutaire, un retour sur soi, ce que les Allemands nomment Selbstbesinnung, un examen de conscience.
Et aujourd’hui, la France intervient courageusement au Mali. Ses troupes victorieuses ont bouté hors des villes les islamistes et les pourchassent jusque dans leurs derniers retranchements afin de les neutraliser complétement. Même le rapt d’une famille avec des enfants en bas âge (quelle mentalité, quelle inhumanité, quelle cruauté !) ne fera pas reculer la France qui a affiché sa détermination. Mais cela ne suffit pas à montrer à tous ceux qui défient ce pays qu’il est encore en mesure de se faire respecter.
Il faut dire que la crise économique qui étend son ombre menaçante depuis des années a tout détruit et on n’en voit toujours pas la fin. Le gouvernement actuel (et je me demande si un autre aurait mieux fait) est à la recherche de plusieurs milliards, il a dû revoir son indice de croissance à la baisse (de 0,8 à 0,3-2) probablement, et le chômage croît de jour en jour… Le premier président de la cour des comptes a même proposé de fiscaliser les allocations familiales.
Les mesures sociales, voilà le nœud du problème mais l’écrasante majorité des Français ne veut pas en entendre parler. C’est un sentiment humain et parfaitement compréhensible. Mais peut-on continuer à vivre dans la crise comme on vivait avant la crise ?
N’oublions pas qu’en Allemagne ce fut un gouvernement socialiste de Gerhard Schröder qui a impose les lois Harz 1 à 4, rendant possible le redressement spectaculaire du pays. Mais voilà, il ne fut pas réélu… Et la France n’est pas l’Allemagne !
A méditer. Si l’on veut pouvoir dire un jour qu’on espère prochain : la France est de retour…
Maurice-Ruben HAYOUN
In Tribune de Genève du 20 février 2013