Qui doit être astreint au service militaire en Israël ?
La situation en Israël rendait cette réforme nécessaire tant du point de vue de l’égalité entre les citoyens que du point de vue éthique. De quoi s’agit-il ? Il y a dans cette société un peu spéciale au moins deux catégories, certes de poids et de nature radicalement différents, qui bénéficient depuis 1948 d’une sorte de traitement de faveur ou de discrimination positive : le groupe ultra-orthodoxe, d’une part, et les Arabes israéliens, d’autre part. Pour éviter tout malentendu, je précise immédiatement que je ne mets pas ces deux groupes sur un pied d’égalité. Les uns fortifient l’âme juive et enracinent l’étude de la Tora dans le cœur de leurs concitoyens juifs alors que les autres, tout aussi citoyens à part entière que les précédents, se considèrent comme des «Palestiniens de l’intérieur» et sont encore en gésine d’intégration.
Les ultra-orthodoxes n’étaient pas très nombreux en 1948 lorsque David Ben Gourion, dans sa sagesse et sa perspicacité politiques a décidé de les intégrer en leur accordant quelques privilèges. Il avait compris qu’ils étaient (et continuent d’être) une composante incontournable de la nation juive et que leur dévouement à l’étude de la Tora ne pouvait qu’être bénéfique à l’édification du pays. En réalité, le grand homme d’Etat juif qui ne mettait jamais les pieds dans une synagogue, (à une exception près, le jour de la proclamation de l’indépendance d’Israël), avait compris que les ultra-orthodoxes étaient moins nuisibles à l’intérieur qu’à l’extérieur. Ajoutons qu’à leurs yeux, le culte de la Tora est formateur d’opinion et fondateur d’identité, deux thèmes essentiels pour l’émergence d’un nouveau portrait du juif contemporain, notamment israélien.
Mais au moment où Ben Gourion prit cette décision d’exempter les ultra-orthodoxes de l’armée et de leur accorder moult exonérations d’impôts, ils n’étaient qu’une poignée, alors qu’aujourd’hui ils sont près de 10% de la population et n’hésitent plus à jouer les partis-charnières au point de faire chuter les gouvernements et de priver tel ou tel gouvernement d’une majorité à la Kenését. La situation ayant changé, il fallait changer de système, d’autant que la cour suprême donne au gouvernement jusqu’au 1er août pour légiférer.
Tsahal est une armée juive où l’on mange cacher et où l’on peut respecter les lois juives concernant le repos et la solennité du chabbat. Mais, même dans de telles conditions, ce n’est pas toujours facile pour les ultra-orthodoxes aux yeux desquels la présence de jeunes filles dans les casernes et les exercices de défense effectués le chabbat sont inacceptables. La question qui se pose est alors la suivante= est ce que les autres, l’écrasante majorité de la population, doit se sacrifier pour que des poignées de religieux (qui ne sont pas tous très sincères et qui instrumentalisent la religion) puissent vivre conformément à leurs souhaits et à leurs croyances ? Au regard du droit et de l’éthique, voilà une inégalité de traitement qui ne saurait perdurer. Et comme le sujet est assez sensible, je ne m’étendrai pas sur d’autres aspects qui sont tout aussi inacceptables.
Afin de ne pas transformer cette dualité en dualisme au sein de la société israélienne qui a déjà bien des difficultés à assurer sa cohésion, le premier ministre Benjamin Netanyahou avance prudemment et propose que les ultra-orthodoxes soient affectés à des travaux d’intérêt général. Ceux-ci protestent car ils décèlent dans ces mesures la volonté cachée de briser cette autarcie spirituelle dans laquelle ils se complaisent mais qui assurent leur pérennité. C’est donc un vaste débat qui touche aux fondements mêmes de la société israélienne qui se prépare.
Avant de passer aux Arabes israéliens, remarquons que l’Etat éprouve des difficultés à intégrer deux catégories fondamentalement opposées mais qui lui posent les mêmes problèmes mais avec des origines absolument différentes : les Arabes ne veulent pas servir un Etat juif qu’ils jugent illégitimes et spoliateur, les ultra-orthodoxes trouvent que cet Etat n’est pas assez juif ni assez orthodoxe à leurs yeux.
Les Arabes israéliens posent problème, non pas qu’il faille réduire leurs droits ni leur imposer la moindre discrimination qui soit, mais le fait que l’Etat où ils sont nés et dont ils portent la nationalité soit en guerre avec leurs frères en religion met un frein puissant à leur intégration.
Ce matin encore, j’entendais sur France 24 un jeune Arabe israélien dire vertement qu’il n’entendait pas servir «un Etat qui tue ses frères, colonise leurs terres et terrorise Gaza» (sic). Si pardonnables que soient les excès verbaux de jeunes âmes, il faut tout de même reconnaître que cet adolescent peut faire des déclarations offensantes pour l’Etat où il vit, sans être inquiété. Mais cette liberté d’opinion qui n’a jamais existé dans les pays arabes ne résout pas le problème.
Fidèle aux principes de l’éthique juive qui commande de ne prendre que des mesures humanitaires, le gouvernement israélien envisage de confier à ses citoyens arabes, non point de porter les armes mais d’accomplir pendant une durée déterminée des missions d’intérêt collectif dans leurs propres hôpitaux et organismes communautaires. Ce qui ne devrait pas poser de difficultés insurmontables et faciliter aussi une meilleure intégration.
Il est tout de même symptomatique que Arabes israéliens d’une part et juifs ultra-orthodoxes, d’autre part, se retrouvent, à leur corps défendant, d’un même côté de la barrière. Quelle ironie de l’histoire !
Maurice-Ruben HAYOUN
In Tribune de Genève du 17 juillet 2012