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Vu de la place Victor-Hugo - Page 773

  • Questions syriennes…

    Questions syriennes…

     

    Les récents développements en Syrie suscitent bien des interrogations dont nous attendons les réponses. Et le développement le plus sillant et le plus extraordinaire est effectivement l’attentat perpétré contre les hommes clés du système sécuritaire du régime d’el Assad.

     

    Comment, donc, des membres de corps francs, en guenilles, mal équipés et mal commandés, ignorant tout de l discipline militaire, ont-ils pu pénétrer le cœur d’un régime policier parmi les mieux protégés au monde ? La réponse ne fait pas le moindre doute : ils ont bénéficié de l’aide stratégique de services de renseignements, arabes et occidentaux. Une telle action d’éclat n’aurait jamais pu être réalisée sans cette aide, à la fois fine,, aboutie et très bien pensée. Les insurgés, à eux seuls, auraient agi à la manière d’al-Quaida : on sélectionne un candidat prêt au suicide qu’on place au volant d’un camion chargé d’explosifs et qu’on lance à toute vitesse contre le bâtiment visé. Ce fut le modus operandi à Bagdad et ailleurs. Le résultat obtenu eut été aléatoire, c’est la différence qui sépare le sniper, le tireur d’élite de celui qui tire dans le tas. Or, cela ne fait pas encore partie de la culture des insurgés syriens… Mais il ne fait pas écarter un hypothèse voisine, le ralliement de certains membres des services sécuritaires syriens qui lâchent un régime en perte de vitesse. Le plus étonnant est que Bachar en personne eût pu figurer parmi les victimes…

     

    L’autre sujet d’étonnement et qui signe la présence indéniable d’experts étrangers aux côtés des insurgés, c’est l’apparition, soudaine, ces derniers jours, d’actions stratégiques coordonnées, ordonnées, suivant scrupuleusement un plan préétabli. Certes, on peut attribuer ces performances à la prise en main des opérations par des généraux qui ont fait défection et communiquent à leurs nouvelles troupes les points faibles du système sécuritaire. Ce n’est pas à exclure. Mais, je le répète, la bataille de Damas, est un pas décisif et assez risqué qui témoigne d’un changement totale. Cette hypothèse est renforcée par l’insurrection qui secoue Alep, la seconde ville du pays. Enfin, le troisième point qui devrait sérieusement inquiéter ce qui restent des troupes loyalistes, c’est le grignotage, le mordançage des extrémités du pays : les frontières. En prenant le contrôle de plusieurs postes frontières avec l’Irak et la Turquie, les insurgés libèrent des portions du territoire national qui leur permettent d’accueillir des experts étrangers mais aussi des armes et des munitions.

     

    On se rapproche donc de la fin. Comment de temps durera la contre offensive de Bachar ? Ses troupes sont épuisées par plus de 18 mois de répression. A moins de 100 km de Damas, veillent, sur le Golan, l’artillerie lourde et les canons à longue portée des Israéliens… Le risque de démembrement de la Syrie existe, il est bien réel. Je ne vois pas Bachar et son clan quitter avec armes et bagages la Syrie qu’ils ont toujours considérée comme leur propriété personnelle. Le clan alaouite se barricadera sûrement dans la région de Lattaquié où ils créeront une entité politique nouvelle. A l’abri des canons russes de la base navale de cette cité.

     

    Bachar ne réussira pas à reconquérir Damas qu’l quittera pour Lattaquié. Mais il ne quittera pas la Syrie.

  • Bon mois de Ramadan, joyeuses fêtes aux Musulmans

    Bon mois de Ramadan, joyeuses fêtes aux Musulmans

     

    Le mois de Ramadan est un mois sacré pour les musulmans. Ils ajoutent toujours en évoquant ce mois, les épithètes de prédilection et de sacralité ( shahr al fadil wal moubarak). Durant ce mois de prières et de repentance, l’adepte de l’islam amende sa présence au monde (maslahah), ses relations avec ses voisins, une sorte de jour des propitiations (yom kippour) qui lui, dure un mois, trente fois plus.. N’oublions pas aussi les veillées de prières des Américains et le jour de repentance et de prières des Allemands, Bet- und Bußtag

     

    On a souvent parlé de la notion de djihad pour s’en méfier et s’en préserver. Mais on oublie presque toujours que cette racine a aussi donné le terme ijdihad qui signifie : se confronter au texte sacré pour en extraire une exégèse appropriée. Alors que la Tora ne revendique que soixante dix facettes, le texte sacré des musulmans ont revendique, lui, soixante-dix mille…

     

    D’où cette mise en garde du Coran qui recommande de ne pas s’engager dans des controverses religieuses avec des adeptes d’autres religions du Livre (la Bible : ahl al-Kitab). En fait, on apprend au bon croyant de remporter des victoires pacifiques sur lui-même, d’aller au bout de ses possibilités psychologiques, de se pénétrer de la sacralité du texte révélé et d’aimer son prochain.. C’est donc un vibrant appel à grandir et à se grandir en grandissant la gloire de Dieu (ad majorem gloriam Dei) qui est lancé durant ce mois ci.

     

    Assurément, il y a, hélas, loin de la coupe aux lèvres et nombre de mes lecteurs pourraient penser que je vis dans un autre univers, irénique, idéel, voire irréel. C’est vrai. L’islam et le discours sur l’islam ne se recoupent pas toujours parfaitement. Pourtant il existe à la fois un islam spirituel, celui d’Ibn Arabi (ob. 1240), et un islam libéral, comme il existe un judaïsme libéral ou un christianisme social (sozialchristentum), c’est-à-dire des mouvements qui prennent naissance dans un creuset religieux mais qui finissent par le dépasser et transformer.

     

    Un être humain qui jeûne tout un mois, récite cinq fois par jour ses prières, ne devrait pas nourrir la moindre once de haine dans son cœur. C’est la remarque faite par les vieux prophètes hébreux du VIIIe siècle avant notre ère, Isaïe notamment, qui critiquaient ceux qui jeunaient, priaient, offraient des sacrifices tout en se conduisant très mal dans leur vie quotidienne.

     

    Je pense, venant de l’extérieur de l’islam, que le jeûne et la prière peuvent avoir une dimension cachée, supérieure, laquelle est nécessairement d’essence spirituelle. Au fond, toutes les religions, toutes les spiritualités se rejoignent sur ce point : l’homme tente de s’affranchir de sa nature charnelle pour jeter à des moments précis de son existence des clins dans un univers étranger, celui d’où provient son âme. En ce sens, nous nous ressemblons tous tout en tenant fermement à nos traditions religieuses respectives.

     

    Je me souviens d’une phrase de Théodore Monod, rencontré lors d’un séminaire protestant au Bois Tiffrais, berceau vendéen du protestantisme. Nous parlions des spiritualités et des religions révélées. Monod me raconta alors l’histoire suivante : un jour, alors qu’il effectuait des recherches dans un désert d’Afrique, il fit une halte pour la nuit dans un campement dirigé par un marabout parlant français. Le saint homme invita notre génial explorateur sous sa tente et lui offrit un verre de thé. Il lui tint ensuite le discours suivant, à peu de choses près : Monsieur Monod, vous êtes un grand homme de science, donc un homme de Dieu puisque vous cherchez la vérité. Pourquoi donc ne vous convertissez vous pas à l’islam qui est la vraie religion ? Théodore Monod lui répond : Mon cher collègue, quand on monte, on finit toujours par se rejoindre. Quel que soit le versant de la montagne qu’on escalade, le sommet atteint est le même pour tous…

     

    L’histoire ne dit pas si le marabout a compris cette allégorie digne des discours paraboliques de Jésus dans l’Evangile.…

    Bonne fête de Ramadan.

     

    In TDG du 21 juillet 2012-07-20 Maurice-Ruben HAYOUN

  • Jacques-Pierre GOUGEON/ France Allemagne : une union menacée ?*

    Jacques-Pierre GOUGEON/ France Allemagne : une union menacée ?*

    Voici un livre qui arrive, pour ainsi dire, à point nommé : d’abord pour son auteur, devenu entre temps, le conseiller spécial du Premier Ministre français Jean-Marc Ayrault, et pour le sujet lui-même qui continuer de jouir d’une actualité brûlante. Le lien franco-allemand, ce couple, ce moteur qui sert de locomotive à l’Europe, est-il menacé ? C’est le sous titre de cet ouvrage très stimulant ,qui fourmille d’aperçus judicieux et témoigne d’un une minutieuse connaissance du sujet par l’auteur.

     

    Quiconque se plonge dans la lecture de ce livre, rédigé dans un style élégant et sobre, a l’impression de lire l’étude d’un contraste, tant l’auteur pose les vrais problèmes qui voilent un peu le beau ciel bleu franco-allemand. Pas de langue de bois, pas de clins d’œil, juste des faits, des comparaisons bienvenues, dépourvues de toute complaisance : on se félicite que le livre ait été écrit avant l’entrée en fonctions de son auteur…

     

    Le premier chapitre est d’une lecture assez rude pour un Français, fût-il un germaniste aguerri et un germanophile avéré. Ce n’est pas le style qui est en cause, mais simplement l’image que se font de la politique française certains éditorialistes et publicistes allemands, une image qui pourrait choquer, tant les thèmes du déclin et du décrochage de la France sont omniprésents dans la presse d’outre-Rhin. JPG se demande donc, tout à fait légitimement, s’il faut opposer une France affaiblie à une Allemagne en pleine croissance, affichant une prospérité presque insolente. Je ne peux pas reprendre par le menu la démarche ni le raisonnement de l’auteur qui étaie parfaitement son propos. On chercherait vainement ailleurs un tel maillage, tant la liste des articles et livres cités est impressionnante.

     

    Mais les prises de position ou les appréciations, plus ou moins subjectives de tel publiciste ou de tel autre peuvent se discuter, les faits historiques, la mémoire de ces deux peuples que sont la France et l’Allemagne ne manquent pas de réserver des surprises lorsqu’on se penche sur leurs visions du passé. Dans les toutes premières années de la République fédérale, on parlait beaucoup de Vergangenheitsüberwältigung (maîtrise du passé) : c’est l’objet du second chapitre de ce livre, probablement le plus riche et le plus abouti.

     

    J’avoue avoir été assez abasourdi en lisant les faits mentionnés par JPG, notamment concernant la seconde guerre mondiale et ce qu’il faut bien nommer la guerre d’Algérie, et non plus, comme l’écrivait jadis si pudiquement l’Echo d’Oran, «les événements»… L’auteur pointe le caractère artificiel de cette mémoire artificielle, fabriquée par des hommes politiques et des historiens présentant une France entièrement acquise aux idéaux de la Résistance et ayant refusé, dans son écrasante majorité, de collaborer avec l’occupant nazi. Nous sommes des millions à croire que le fameux mur de l’Atlantique, censé empêcher toute tentative de débarquement, avait été érigé par les Allemands. Il n’en fut rien, il le fut, certes, sous leurs ordres mais par des milliers d’ouvriers et d’entreprises bien tricolores… On lit ici aussi que certains Français dont on taira charitablement le nom en raison de leur passage à l’éternité, avaient librement répondu aux demandes allemandes de main d’œuvre lesquelles n’avaient rien à voir avec le STO (service du travail obligatoire), au motif que l’offre était alléchante. On relève aussi que même en 1951 un important cardinal de notre pays faisait applaudir le nom du maréchal Philippe Pétain dont la tombe sera fleurie bien des années après… Que l’on me comprenne bien : il n’y a là aucun esprit vindicatif ( les Allemands disent : Rache bis ins Grab !) : loin de moi, pareille idée. Mais le réhabilitation, même biaisée, même indirecte de Vichy, est particulièrement malvenue. Pourtant, la démarche a été tentée…

     

    Dieu sait que les défauts de Jacques Chirac sont plutôt nombreux, tant sur le plan personnel que sur le plan politique. Mais l’Histoire, la grande, celle qui marque, retiendra qu’il fut le premier à dénoncer comme il convenait, la rafle du Vel d’hiv : ce jour là, la France a commis l’irréparable… Il fallait oser, il l’a fait.

     

    Un autre grand chapitre de l’histoire française récente, presque une autre plaie béante qui refuse de cicatriser, l’Algérie : La torture, pourtant dénoncée par des ministres de l’époque, reconnue par des généraux en charge du maintien de l’ordre, mais surtout l’abandon à leur très triste sort des harkis, massacrés, martyrisés, eux et leur familles par les nouveaux maîtres de l’Algérie qui s’étaient pourtant engagés par écrit à ne pas tenir compte de ce qui s’était produit avant la signature des accords d ‘Evian.

     

    Toujours, ce passé qui ne passe pas (p 76), cette mémoire encombrante, partagée ou non, meurtrie, enfouie, édulcorée, partisane, mais jamais, ou pas encore, apaisée et assumée. Le général de Gaulle, qui ose, (alors qu’il avait personnellement connu la défaite, l’exil, l’ingratitude et l’abandon) distinguer entre les rapatriés (les Européens, les Pieds noirs, les Français d’Algérie) et les réfugiés que seraient, selon son raisonnement, les harkis dont la France ne serait pas la mère alors qu’ils sont morts pour elle…

    Et JPG a raison de conclure son propos par une phrase plutôt tranchée (p 83) : on le voit, la France peine à regarder son passé récent avec lucidité…

    Quid de notre voisine, l’Allemagne ? Les choses se présentent de façon radicalement différente, le pays ayant été divisé à la suite de la défait nazie et l’émergence de deux Etats allemand admis à l’ONU a fait le reste. Pendant quatre décennies, l’Allemagne en tant que telle n’existait pas et les conflits mémoriels étaient puissants, la RDA rejetant sur sa voisine la RFA l’héritage de la politique Bismarcko-hitlérienne et s’accordant à elle seule une noble et irréprochable tradition antifasciste. La réunification du pays a donc constitué un énorme défi à la fois pour les contemporains, obligés de revoir tous leurs raisonnements précédents, mais aussi pour ceux, nés après 1990, qui ne disposent que d’une connaissance livresque de l’histoire récente. On se souvient, dans un tout autre contexte, de la phrase un peu maladroite du père de l’unité allemande, Helmut Kohl parlant de la grâce d’une naissance tardive, le soustrayant à toute question embarrassante sur ce qu’il aurait pu faire du temps du régime national-socialiste.

     

    L’historiographie est un art à la fois difficile et risqué, je pense à un ouvrage très fin et bien écrit de Stefan Heym sur le roi David, ce dernier ne servant que de prête-nom pour décrire une situation à laquelle l’écrivain était confronté dans son pays, la RDA. Voici le cadre fictif de cette affaire : Le roi Salomon sélectionne un comité de sages pour rédiger une chronique à la gloire de son père, le roi David. Mais le comité ne suit pas vraiment. Alors le roi Salomon réécrit le rapport du comité sur son père tel qu’il le souhaite, un peu comme le comité central du parti des paysans et des travailleurs imposait sa loi et sa vision des choses. De l’histoire nous passons à l’hagiographie et à la légende, un peu comme le firent les deux livres de Samuel en retraçant la saga du roi David.

     

    L’histoire de nos deux pays présente des différences considérables, la France n’ayant pas subi ce que ses voisins d’outre-Rhin ont eu à subir en raison du régime hitlérien. La question de l’identité est très présente en Allemagne, elle l’est beaucoup moins de ce côté ci de la frontière., C’est un peu comme si les Allemands passaient une bonne partie de leur temps à s’interroger sur eux-mêmes…

    Et je comprends mieux, dès lors, ces deux expressions assez récurrentes dans le grand hebdomadaire de Hambourg (Die Zeit) : meinungsbildend und identitätsstiftend… (formateur d’opinion et fondatrice d’identité)

    Voici un livre qui fera date par la solidité de sa documentation et la finesse de ses analyses. Je ne ferai qu’un tout petit reproche (qui ne compte pas vraiment) de germaniste à germaniste : certaines phrases sont trop longues, un peu à la Thomas Mann… Mais cela n’enlève rien aux grandes qualités de cet ouvrage.

     

    Maurice-Ruben HAYOUN

    In Tribune de Genève du 20 juillet 2012

    *Paris, Armand Colin.