Quand Alexandre Adler nous ouvre son cœur et nous livre sa vision de l’avenir…,
Lorsque vous prendrez ce livre en main, si ce n’est pas déjà fait, vous ne le lâcherez plus, vous en lirez le contenu d’une seule traite et avec avidité. Dès l’ouverture qui fait officie de préface, vous vous sentirez puissamment entraîné par un Alexandre Adler qui mêle avec une éblouissante dextérité sujets d’actualité (crise iranienne, inquiétude israélienne) et exégèse traditionnelle de la Bible (talmud, midrash, Rashi)
. Même pour les lecteurs qui connaissent un peu l’auteur, c’est une découverte.
Tant d’années de militantisme d’extrême gauche ne sont pas venues à bout d’une âme juive qui a su préserver son identité et son essence. Il faut reconnaître, toutefois, qu’Alexandre Adler ne s’est jamais rendu coupable de la moindre bassesse qu’il aurait à se faire pardonner aujourd’hui. Toutefois, à le lire, on se rend bien compte qu’il revient de loin.
Les premières pages sont une captivante présentation de la spiritualité juive, avec pour point central les deux moments kabbalistiques, celui de l’ancienne kabbale espagnole et enfin, celui du renouveau de Safed à partir du XVIe siècle. C’est un peu comme si Alexandre Adler jugeait cette expression intellectuelle plus légitime et plus authentique que la philosophie maïmonidienne dont l’auteur ne serait qu’une sorte de représentant juif de la pensée grecque…
L’auteur se réapproprie deux mille d’histoire hébraïque et juive, remonte même à la monarchie davidique, voire plus haut encore, puisqu’il parle de la mort du roi Saül sur le mont Guilboé, évoque la destruction des deux temples de Jérusalem en -586 et en 70 par Titus, et laisse poindre son inquiétude à l’idée que les nouveaux maîtres de la perse moderne, les Mollahs, puissent perpétrer une nouvelle Shoah. Ces quelques pages sont traversées par une authentique émotion qui ne dégénère jamais en fébrilité.
Ces quelques lignes écrites d’une plume ferme nous apprennent tout sur l’auteur : d’où il vient, ce qu’il cherche, les longs détours que la vie ou le hasard lui ont imposés, comment il a fini par se ressaisir et se retrouver tel qu’en lui-même, un fils d’Israël, de cette tradition juive trimillénaire qui a connu un renouveau sur la terre ancestrale après une si longue absence. Tout ceci, Alexandre le vit intensément et nous le fait partager
Le lecteur ébahi voit défiler devant lui toute une galerie de grands hommes qui furent eux aussi égarés par les muses trompeuses des siècles, qui initièrent des révolutions sans vraiment connaître l’apaisement ni la sérénité : Marx, Einstein, Freud, Wittgenstein ( j’ai des réserves sur ce dernier nom), Arthur Schnitzler et tant d‘autres qui n’eurent pas l’heur de se présenter vraiment tels qu’ils furent en eux-mêmes.
Il y a chez Alexandre quelque chose de jubilatoire dans cette redécouverte d’une tradition qui est sienne et dont il scrute les richesses avec une joie profonde, en se laissant guider par les maîtres qu’elle a produits au fil des siècles. L’auteur n’est pas attiré par une pratique juive bornée et mécanique, débouchant sur un ritualisme fossilisé ; ce qui l’intéresse, c’est un judaïsme jeune et dynamique, vivifiant, qui n’abdique pas devant les idéologies ni l’air du temps, un judaïsme digne de son histoire, porteur d’un projet d’avenir et animé d’une vision, comme au temps des prophètes.
On lit ensuite une intéressante digression, sémillante d ‘intelligence, sur le féminin et le féminisme, notamment à travers les grandes figures bibliques, depuis Sarah jusqu’à la reine Esther dont le rouleau est examiné avec tant de soin par l’auteur : ce texte incorporé au canon biblique ne contient aucune référence explicite au Dieu d’Israël, ni à la terre d’Israël ni à la rédemption finale (gué’ulla) d’Israël. En fait, les spécialistes de la critique biblique rapprochent l’idéologie de ce texte de celle de l’histoire de Joseph en Egypte : le message est clair : on peut vivre heureux et en juif fidèle à la tradition ancestarle, même à l’extérieur des frontières de l’Etat juif. Esther y est devenue reine et Joseph vice-roi… Et les deux ont contracté une union maritale avec des conjoints… non-juifs !
Dans ce même chapitre, l’auteur en vient à la place de l’étude dans la vie d’une famille juive traditionnelle. Le juif apprend la Tora chaque jour que Dieu fait, il la réinvente constamment comme l’incite à le faire cette phrase des sages du talmud : remue la, remue la dans tous les sens, tout y est , tout s’y trouve.
Mais l’auteur n’oublie pas qu’l n’est pas seulement un normalien agrégé d’histoire, c’est aussi un chroniqueur inspiré dont les papiers sont attendus et lus dans els journaux ou écoutés sur les ondes. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec la critique, modérée et intelligente qu’il fait du sionisme car je la trouve imprégnée d’une trop forte dose d’idéalisme, en revanche, j’ai lu avec ravissement les alliances, les connivences, voire les complicités qu’il suggère à Israël de nouer avec la Chine, l’Inde et même les pays arabo-musulmans. Sur ce dernier point, il me semble qu’il a parfaitement raison, Israël devrait devenir un modèle pour les Arabes, si ces derniers n’étaient pas aveuglés par une haine aussi tenace qu’injustifiée. Dans un récent discours de Nicolas Sarkozy, sa plume Henri Guaino a eu cette belle formule : Israël, ce miracle de la volonté et de la démocratie… Nul ne restera insensible à ce si bel hommage à la persévérance et l’ingéniosité pluriséculaires du peuple juif.
Peu de gens ont relevé que le «printemps arabe» survint à un moment où la cause palestinienne ne bouche plus entièrement l’horizon des peuples islamiques, une cause derrière laquelle tous les tyrans, tous les potentats d’Orient et d’ailleurs, s’abritaient pour opprimer leurs peuples, leur refuser les libertés fondamentales et se maintenir ainsi indéfiniment au pouvoir.
Ce livre est à maints égards une réévaluation originale et intelligente du destin d’Israël et de son avenir. L’auteur montre que le jeune Etat juif n’appartient pas vraiment à son environnement régional, plongé dans l’obscurantisme moyenâgeux. Si la raison reprenait le pouvoir, Israël serait un phrase pour tous ses voisins.
Avec ce livre, qu’il faut absolument lire, Alexandre Adler a gagné son triple A
Maurice-Ruben HAYOUN
Alexnadre Adler, le peuple-monde. Destins d’Israël. Albin Michel, 2011