DE L’ANTISARKOZYSME…
Le président de la République a eu raison de dire que cette campagne présidentielle n’était comparable à aucune autre et qu’elle était la première d’une ère nouvelle. Cette remarque est juste et appropriée mais elle ne rend pas vraiment compte de la singularité absolue ni de l’altérité intégrale de cette consultation électorale. C’est un sondage, un seul, qui a retenu toute mon attention des derniers jours et qui me fait penser que ce n’est ni le programme, ni la conjoncture générale du pays qui sont décisivement déterminants (pour parler comme Renan) …
, Dans la mesure où de telles photographies instantanées sont fiables et ont une valeur prédictive pour l’avenir, Ce sondage nous apprend, que 75% (je dis bien soixante-quinze pour cent, en toutes lettres) des personnes sondées expliquent qu’ils voteront pour François Hollande dans le but exclusif d’écarter Nicolas Sarkozy de la présidence. C’est l’archétype, la racine même de ce que les commentateurs ont nommé l’anti-sarkozysme.
Ce fait est à la fois préoccupant et incompressible : comment donc les Français, vieux peuple doté d’une grande expérience, nourrie d’événements marquants, même à l’échelle planétaire (Révolution française, charte des Droits de l’homme, etc) peuvent ils jouer ainsi leur avenir et apporter leurs suffrages pour les cinq prochaines années à un candidat uniquement parce qu’ils rejettent non point le programme mais la personnalité du candidat sortant ? Enfin, ce rejet est incompréhensible car on ne parvient pas à en saisir la nature profonde: Nicolas Sarkozy a, comme nous tous, des défauts, mais n’a-t-il pas aussi les qualités de ses défauts, à savoir une inépuisable énergie, une inlassable combativité, du courage et de la détermination ?
Que reprochent les Français au président actuel ? Essayons de résumer ces griefs, réels ou prétendus, de la manière la plus objective possible :
N.S. a rompu ( et de quelle manière !) avec la léthargie et le régime soporifique de son prédécesseur. Il a réveillé la France qui se laissait doucement aller, un peu comme la belle au bois dormant… Il a rendu les Français conscients d’eux-mêmes et de leur situation. En fait, il a réveillé la France en sursaut : or, une telle attitude est impardonnable dans un pays qui était profondément assoupi, sérieusement arc-bouté sur ses privilèges et ses rentes de situation et qui rêve (aujourd’hui encore) de la retraite à soixante ans alors que tous nos voisins empruntent le chemin inverse.
Mais ce sont les débuts du quinquennat qui ont puissamment nourri ce rejet de la personnalité du chef de l’Etat dont l’action, tant à l’intérieur quà l’extérieur, je le répète, mérite un traitement plus équitable : l’hyper présidence, les sempiternelles apparitions à la télévision, l’asphyxie du Premier Ministre (un homme compétent, dévoué, fidèle et très bien secondé), la désacralisation de la fonction présidentielle, bref une sorte d’ivresse du pouvoir qui n’a pris fin qu’après l’enracinement de ce rejet au sein de l’opinion.
Mais tout ceci ne parvient pas à justifier ni même simplement à motiver ce rejet de la personne. Au fond, N.S. s’est voulu toujours plus proche des Français, il a rompu avec ce côté impérial de ces prédécesseurs, il a mis fin à cette pompe artificielle, à cette solennité d’un autre âge, pour saisir le taureau par ls cornes. Ses adversaires politiques se sont sentis violemment attaqués, remis en cause par ce style et cette énergie, qui tranchaient par rapport aux situations précédentes, à ce consensus mou qui caractérisait la vie politique française.
Tels sont, selon moi, les principaux ingrédients de ce phénomène troublant que l’on appelle l’anti-sarkozysme. Etrange, car même François Mitterrand, pourtant honni par un grand nombre de Français, n’a pas été victime d’un tel rejet. La presse a joué ici un rôle qui ne plaide pas nécessairement en faveur de son objectivité. Comme on n’aime pas en France les gens qui réussissent, elle a inventé cette image d’un président bling bling, et le principal intéressé l’y a imprudemment aidé. Mais il faut être juste : l’homme, car c’en est aussi un, a traversé de grandes épreuves au moment même où il accédait à la magistrature suprême et si ses larmes coulaient, alors c’était en silence en sans témoin…
Que va-t-il se passer, à présent ? Est-ce que ces 75% de nos compatriotes (qui ont le droit incontestable de voter pour qui ils veulent) ne vont pas chercher à motiver autrement leur mentalité ? Oublient-ils que NS a prouvé ses capacité d’homme d’Etat en résistant avec une pugnacité peu commune à toutes les crises ? Et D- sait qu’il y en a eu…
Les semaines à venir s’annoncent décisives, on sent un recentrage dans l’opinion, NS repasse en tête. S’agit-il d’un frémissement sans grande portée ? Je ne le crois pas, je pense, au contraire, que NS a enfin trouvé le bon angle d’attaque et que les retouches apportées à sa personnalité (j’insiste plus sur cet aspect que sur le programme proprement dit, lequel me paraît réaliste et adapté à la situation) modifieront en profondeur la perception qu’en auront les Français le jour du vote.
Maurice-Ruben HAYOUN
In Tribune de Genève du 18 mars 2012