De l ’innocence absolue des enfants dans la tradition juive…
Aux enfants juifs tués à Toulouse , in memoriam
Comment répondre à l’abjection la plus achevée, à la bestialité la plus totale qui défigure si gravement les traits de l’humain ? Depuis que les prophètes d’Israël ont proclamé (Isaïe au VIIIe siècle avent notre ère) la suprématie absolue de l’esprit de D- par rapport à la force et à la violence, la tradition religieuse juive s’en est tenue à ce postulat : l’esprit, impérissable par nature, invincible et invaincu jusqu’à ce jour, finira par l’emporter quel que soit le prix à payer. Aucun événement dramatique n’est parvenu à changer cette attitude : ni les deux destructions du Temple de Jérusalem, ni l’exil et la déportation, ni même la Shoah avec son cortège de morts sans sépulture…
Les lignes suivantes ne dérogeront pas à cette règle presque trimillénaire.
Durant ma prime enfance, alors que je n’avais pas encore dix ans, mes parents surveillaient strictement mon éducation, notamment religieuse ; au lieu de jouer aux billes avec mes camardes, je devais rester à la maison écouter les leçons d’hébreu biblique et de talmud que me prodiguaient différents précepteurs privés. Et l’enfant que j’étais fut particulièrement attentif à certains passages de la tradition concernant l’innocence des enfants, le pouvoir de leurs chants et de leurs prières auprès de D- ; je trouvais alors cette responsabilité écrasante pour les frêles épaules de si jeunes créatures.
Je me souviens du commencement des études, marquées par le livre du Lévitique, le troisième livre de Moïse qui brille par son aridité et son sérieux tout judaïque, pour reprendre une expression de Renan… Le Lévitique parle presque exclusivement du culte sacrificiel et des différents modes de purification de nos péchés. Et je me demandai alors pour quelle raison on imposait aux enfants une telle lecture au lieu de nous raconter de belles histoires…
Je découvris bien plus tard que le talmud répondait de lui-même à cette interrogation : les enfants sont purs et innocents, or les sacrifices permettent justement d’acquérir la pureté et l’innocence. Que les purs et les innocents s’occupent donc, en priorité, de pureté et d’innocence. Cela ne m’avait guère convaincu jadis, mais aujourd’hui, à la lumière lugubre des derniers événements de la ville rose, je vois plus clair…
Le second passage talmudique qui m’avait, enfant, ému aux larmes, s’en réfère textuellement aux enfants de l’école de Rabbane (célèbre érudit des Ecritures) qui n’ont jamais commis de péché (tinokot shel beyt rabbane shé lo hat’ou) et dont les prières sont toujours exaucées par l’Eternel. Les sources juives anciennes ont beaucoup brodé autour de cette référence talmudique, expliquant que même lorsque Titus assiégeait la ville de Jérusalem, les légionnaires romains ne parvenaient pas à effectuer une percée car les enfants ne cessaient pas de prier et d’implorer la grâce et la pardon divin. Mais un jour, ils furent contraints de s’arrêter… C’est alors que la catastrophe fondit sur la ville sainte.
Mais qui étaient ces enfants et quel âge pouvaient ils bien avoir ? Les circonstances ne me permettent pas de faire ici un cours de philologie hébraïque, je m’en tiendrai au strict minimum : ce terme hébraïque utilisé ici est tinok qui vient de la racine allaiter, donner le sein. Aujourd’hui, en hébreu moderne, il signifie bébé ou nourrisson. Mais dans la littérature talmudique les enfants que l’on désignait ainsi devaient avoir entre 5 et 13 ans, âge de la majorité religieuse.
C’est un très beau symbole que de faire des enfants la quintessence de l’innocence, le modèle de la pureté. Tout juste entrés dans la vie, ils n’ont pas encore eu le temps matériel de s’avilir par des ambitions voraces ou des compromissions repoussantes. Le souffle de leurs lèvres, quand ils récitent les prières et notamment les Psaumes de David, le culte intérieur, celui du cœur, qu’ils offrent à D- font d’eux les meilleurs messagers de l’humanité en quête de rémission de ses péchés, et ce, quelle que soit la religion dans laquelle ces enfants sont nés.
Pour les juifs, cette religiosité s’exprime le plus fortement dans les Psaumes attribués à David., un homme qui commença par être un aventurier, un redoutable chef de bande avant de devenir le roi mythique et sacré d’Israël. Et le talmud en fit un roi-prêtre, un roi-lévite. David qui figure même dans le jeu de cartes (le roi de pique) est devenu le modèle du bon roi chrétien car il fut le premier à être un monarque de droit divin.
Pour illustrer son repentir et son inébranlable foi en D-, on lui a attribué l’écrasante majorité des cent-cinquante Psaumes (un de plus dans les Bibles chrétiennes : 151). C’est pour cette raison que chaque veillée funéraire comporte une émouvante récitation des Psaumes où les endeuillés proclament, en dépit du malheur qui les frappe, leur foi en la justice divine.
J’ai tout particulièrement une pensée pour cette petite fille de huit ans, je devine l’expression terrifiée de son regard lorsque son assassin lui a ôté la vie d’une balle en pleine tête.
El malé rahamim, Dieu de bonté et de miséricorde…