Le nouveau procès d‘intention fait à Claude Guéant…
Le tintamarre médiatique artificiel provoqué par des affirmations prétendument scandaleuses, du ministre français de l’intérieur, M. Claude Guéant, nous ont tenus en haleine depuis ce week end, sans raison valable. Le discours que l’on peut lire dans son intégralité ( un peu moins de trente mille signes) a été tronqué par des esprits peu objectifs qui s’en prennent à ce ministre chaque fois qu’ils veulent atteindre, sans succès, le chef de l’Etat en personne.
Arracher une ou deux phrases à leur contexte originel est peu glorieux et porte un nom: solliciter un texte. En parlant des civilisations ou des cultures, Cl. Guéant était bien dans le sujet qu’il entendait traiter et qu’il annonçait d’emblée : la France, ses valeurs et sa civilisation. Il ajoute que la prochaine élection présidentielle n’est pas une consultation électorale anodine mais déterminera même le choix de la France que nous voulons. Il se place, ce qui est son bon droit, aux côtés du futur candidat Nicolas Sarkozy : est-ce si étonnant puisqu’il œuvre à ses côtés sans le moindre incident depuis plus de dix ans : Place Beauvau, Bercy, l’Elysée et de nouveau Place Beauvau.
Est-il surprenant qu’un si intègre serviteur de l’Etat, animé par des convictions spirituelles profondes et tellement proche de Nicolas Sarkozy, avance, étendard déployé, clamant ses convictions et son soutien à un homme qu’il a toujours secondé et accompagné dans ses plus grands combats politiques ?
Si l’on veut bien me permettre une brève appréciation personnelle, le ton du discours est gaullien et m’a bien plu: son auteur trouve que la France dont il exalte à juste titre la grandeur, non seulement passée mais actuelle, n’est pas suffisamment mise en avant. Partout dans le monde, rappelle-t-il, les nations parlent de leur passé, de leur culture, de l’avenir de leur mode de vie. Sauf en France, curieuse version de l’exception française ! Claude Guéant est un homme qui ressent comme un honneur son appartenance à la nation française et à ses valeurs. Qui pourrait le lui reprocher ?
Il stigmatise, sans la nommer ainsi, cette haine de soi qui affecte insidieusement le pays et ses habitants, les frappe soudain de langueur lorsqu’il s’agit de se confronter à son passé qui est loin d’être déshonorant et d’évoquer son avenir qui ne sera pas moins radieux que celui de ses voisins.
Dans le même paragraphe, le ministre de l’intérieur français définit sa vraie conception de la patrie française, accueillante, n’exigeant pas de ses filles et de ses fils de sortir d’un même moule, leur laissant leurs convictions spirituelles et religieuses, sans tenir compte de la race ni du sang, leur demandant simplement d’adhérer à ses valeurs humanistes. Il n’y a là rien de scandaleux, quand on pense qu’en Amérique, un patriotisme sans faille est exigé de tous les nouveaux venus, tenus de se fondre dans le melting-pot national. La civilisation, ou plutôt la culture française (ces deux termes sont parfois interchangeables dans certaine langues européennes, notamment en allemand) est l’une des plus universalistes au monde. Elle fut la première lors de son acte fondateur de 1789 à insister sur la notion d’humanité universelle, d’égalité entre tous, octroyant à tout un chacun les mêmes droits et les mêmes devoirs. Devons nous en rougir ? Il faudrait une forte dose de cette fameuse haine de soi pour le faire…
La sociologie de la France a beaucoup changé ces dernières années. Cette mutation a commencé depuis au moins trois décennies et l’on fait mine de la découvrir seulement aujourd’hui. Une immigration massive non européenne, livrée à elle-même, victime d’une politique de la ville sans discernement mais attirée par des industriels parfois peu scrupuleux, a fortement nourri un sentiment de frustration et d’abandon au sein des deuxième et troisième générations de ces hommes, venus chercher dans notre pays les clefs d’un avenir meilleur. Pour eux-mêmes et pour leurs descendants.
Mais la France de ces années là était profondément divisée et envahie par ce sentiment de haine de soi qui la conduisait à renier son passé et à douter de son avenir. Quiconque manifestait alors le moindre sentiment patriotique était curieusement regardé, et se voyait taxé de nationalisme, quiconque en appelait à la grandeur de ce pays était considéré comme un demeuré. C’est contre toutes ces attitudes que Cl. Guéant s’insurge à juste titre : est-ce un crime ou une faute que de croire en son pays, en sa grandeur et en son avenir, ou de chanter la Marseillaise ?
L’épine dorsale de la France a, depuis la Révolution, consisté en la séparation entre ce qui relève de Dieu, d’une part, et de César, d’autre part. C’est ainsi que ce pays a permis à des gens d’origines différentes de vivre ensemble et d’édifier une nation à la fois solide et solidaire. Dois-je rappeler que si Johann Gottlieb Fichte a rédigé ses célèbres Discours a la nation allemande afin de résister à Napoléon, plus pacifiquement, Ernest Renan s’est lui aussi interrogé sur l’essence de la nation, environ une décennie après la défaite de la France en 1870. Dans cette brillante conférence prononcée en Sorbonne devant un auditoire nombreux et attentif, le célèbre professeur d’hébreu et d’araméen du Collège de France, le collègue de Victor Hugo à l’Académie française, a évoqué ce lien spirituel, invisible mais Ô combien présent, qui relie certains hommes les uns aux autres et leur donne l’envie de vivre ensemble dans la liberté et l’harmonie. Ce fameux lien spirituel n’est autre que cet ensemble de valeurs dans lesquelles nous nous reconnaissons tous.
Une nation, cl. Guéant le rappelle en termes simples mais clairs, n’est pas une étoffe bigarrée, faite de bric et de broc, sans lien entre ses différentes fibres, c’est un tout qui s’adapte, s’intègre et enfin s’assimile. Le ministre l’avait déjà écrit dans un bel article paru dans le journal Le Monde, il y a quelques mois. Le problème est que des nouveaux-venus habitent la France tout en refusant au fond d’eux-mêmes d’y vivre ou de s’identifier à son histoire. Or, il y a une différence fondamentale entre vivre dans un pays et y habiter, autant de différence qu’il y a entre l’intégration volontaire et harmonieuse, d’une part, et l’encapsulement, l’isolement, d’autre part. Je précise que le ministre a souligné que cette intégration ne saurait se faire au prix de ses croyances religieuses ou de ses convictions spirituelles.
Mais chacun doit savoir qu’il est impossible de constituer ce que les Romains nommaient un status im statu (un Etat dans l’Etat) … Et c’est toujours cette même haine de soi, de sa propre culture et de ses propres origines, qui est à l’œuvre quand certains compatriotes refusent catégoriquement de défendre leurs valeurs, comme s’ils en avaient honte… Ce qui les incite à admettre ces comportements indignes que sont l’exclusivisme religieux, la mise sous tutelle de la femme, la privation de ses droits, le refus qu’elle soit examinée , enceinte ou malade par un médecin homme… Et de dire que cela est admissible dans certaines cultures ou civilisations…
C’est alors qu’intervient la fameuse phrase qui fait débat : qui oserait soutenir que les talibans afghans (pour ne citer qu’eux) qui brûlent des jeunes filles, leur coupent les doigts car elles ont verni leur ongles, exécutent dans des stades pleins à craquer des femmes soupçonnées d’adultère, ont la même conception de la vie et de la dignité humaines que nous ? Il est évident que notre culture, la culture occidentale, notre civilisation, au sens le plus large du terme, tranche avantageusement par rapport à ce qui s’apparente à de la barbarie. Est-il interdit d’en parler ?
Cela semble bien être le cas puisque quiconque ose le dire se voit accuser de xénophobie, voire de racisme…
Quand on a des valeurs, on se mobilise pour les défendre. Et les valeurs républicaines et laïques de la France lui font honneur depuis au moins deux bons siècles.
Quel mal y’a-t-il à le rappeler ?
Maurice-Ruben HAYOUN
In Tribune de Genève du 7 février 2012