Pouvons nous encore parler d’un couple franco-allemand ?
La crise de l’Euro, mais pas uniquement elle, a servi de révélateur de la disparité existant entre les deux locomotives supposées de la zone monétaire et de la construction européennes : la France et l’Allemagne, ou plutôt devrais-je inverser l’ordre tant l’apparente supériorité (politique, militaire) de la France ne fait plus illusion.
Depuis près d’une semaine, on ne parle que de cela : les puissances européennes, les deux plus importantes, ne se quittent plus tant la profondeur de la crise n’a d’égale que celle de leurs divergences. Et dans cette lutte d’influence, mon cœur penche du côté allemand car nos voisins d’outre-Rhin -dont je connais bien la culture étant germaniste et ayant enseigné près de vingt-cinq à l’université de Heidelberg- ont vécu des drames historiques en raison, précisément, de crises économiques mémorables, dont la toute dernière avait provoqué l’arrivée au pouvoir du national-socialisme. Ils ont su tirer les leçons de l’Histoire.
Je me souviens d’un fait qui m’avait marqué au début des années quatre-vingt: jeune professeur associé à la FU (Freie Universität) de Berlin, des années avant la chute du mur, les autorités avaient décrété un train de mesures d’économie pour quelques années. La décision fut si impitoyablement appliquée que le décanat nous fit savoir, en moins d’un an, qu’il fallait revenir à la normale, que les économies avaient été nettement supérieures à ce qui avait été prévu et qu’il fallait désormais revenir à la situation précédente, la situation ayant été assainie. Bref, tous les objectifs avaient été atteints. Pour le Français que je suis, c’était inimaginable. Un tel fait est resté gravé dans ma mémoire. Par ma naissance j’appartiens à ce côté ci du Rhin mais par ma culture et ma formation intellectuelle, je fais partie de l’autre côté
Aujourd’hui, on ne peut plus parler de l’Allemagne comme d’un nain politique (politischer Zwerg) et d’un géant économique jouissant d’un miracle (deutsches Wirtschaftswunder). Désormais, l’Allemagne occupe toute la place qui lui revient, et tout ce que je souhaite c’est que ce ne soit pas au détriment de la France dont la crédibilité commence à s’effriter outre-Rhin… Ce matin, j’ai entendu sur France 24 une charmante députée du Bundestag dire, dans un excellent français, que l’attitude des Français lors des négociations sur la stabilité financière du continent, faisait planer des doutes sérieux sur notre fiabilité en tant que partenaire… On peut difficilement aller plus loin en termes diplomatiques !
Alors, ce fameux couple franco-allemand existe-t-il encore ? Pouvons nous encore parler du moteur franco-allemand dans la construction européenne ? J’aimerais y croire. Qui se souvient aujourd’hui que cette disparité avait déjà été pointée du doigt par les autorités allemandes, dès l’élection de Georges Pompidou à l’Elysée : un gestionnaire, disaient-elles alors, a enfin succédé à un visionnaire… En termes plus directs, on voulait dire que la France revenait enfin sur terre et qu’elle prenait ses vraies dimensions. En somme, elle faisait enfin preuve de réalisme.
Mais nous avons changé d’époque, la guerre froide a disparu, le bloc soviétique n’est qu’un mauvais souvenir et plus aucune menace ne pèse directement sur l’Allemagne, notamment depuis sa réunification. Mais les Français, eux, ne sont pas réveillés et ont continué à vivre comme auparavant, comme si rien n’avait changé autour d’eux… Pendant ce temps là, même un chancelier fédéral socialiste, Gerhard Schröder, réforma la sécurité sociale de son pays, équilibra les comptes publiques et réussit, par une série de mesures impopulaires mais tout de même acceptées, à assainir la situation économique. Certes, la dette allemande (Staatsschulden) est sensiblement équivalente à la nôtre, à cette différence près que nous, nous avons de graves déficits que nos voisins ont pu juguler. Et c’est là toute la différence qui nous a mis dans la situation que nous connaissons.
Je me permets d’insister : l’Allemagne a raison d’exiger l’indépendance totale de la BCE, toute autre solution donnerait lieu à un laxisme que des politiciens ne manqueraient pas de mettre à profit par pur électoralisme.
Il y a dans le livre du Deutéronome un certain nombre de lois dont une, en particulier, m’a toujours ému car elle revêt un indéniable caractère éthique : il est interdit de former un attelage à l’aide de deux bêtes de force très inégale, par exemple un bœuf et un ânon. Ce serait inhumain car cela exigerait un trop gros effort pour l’une de ces deux bêtes de somme. Cette image se passe de commentaire.
Tout n’est pas perdu, si nos compatriotes acceptaient enfin de se remettre au travail, de cesser de vivre au-dessus de leurs moyens et de regarder l’avenir en face. Les Allemands appellent cela : fest in die Zukunft hineinblicken… Nous devrions en faire autant.
Maurice-Ruben HAYOUN in
TDG du 26 octobre 2011