Cette histoire du ghetto de Venise, traduite de l'italien en français et introduite par Elie Wiesel, se lit comme un roman d'aventure; mais il s'agit, en fait, d'une belle fresque historique et culturelle, bien documentée et rédigée dans un style à la fois élégant et sobre.
L'auteur y brosse tout d'abord les prémices du ghetto (qui viendrait d'un terme signifaint les fonderies) vers 1516, date à laquelle les autorités de la Sérénissime décident d'octroyer chichement un droit de cité aux juifs désireux de s'établir dans le térritoire de la République vénitienne.
En vertu de sa position jadis dominante, souvenons nous qu'elle avait des avant-postes jusqu'en mer Egée, la Sérénissime devint un carrefour pour les juifs issus à la fois du Levant, de la péninsule ibérique après l'expulsion et d'Europe de l'est. Ce fut donc un véritable creuset (un melting pot) où fusionnèrent tous les partis de la culture et de la religion juives. Ce fut aussi, Calimani le rappelle, un grand centre d'impression de livres hébraïques et de diffusion de la culture juive.
L'auteur est loin de négliger l'aspect intellectuel de cette histoire du ghetto: on voit défiler les figures vivement évoquées d'Isaac Abrabanel, le familier des rois et des reines d'Esapgne, qui erra dans de ports méditerranéens avant d'être accueilli dans ce havre de paix où il rédigea quqleus importants ouvrages. N'est-ce pas lui qui compara la constitution de la Sérénissime aux lois édictées par Moïse? On entrevoit aussi longuement ce rabbin-joueur de cartes que fut Léon de Modène qui nous rappelle dans son auobiographie (Hayyé Yehouda) toutes les vicissitudes de sa triste existence… Et n'oublions pas le cas tragique de ce rabbin-kabbaliste Moshé Hayyim Luzzato (ramhal)(1707-1746), en butte à l'incompréhension d'autres rabbins et qui se rendit en Terre sainte où il mourut, avec toute sa famille, victime d'une épidémie de peste.
Ces épidémies étaient monnaie courante en ce temps là, allant jusqu'a tuer le tiers de la population… Ce qui explique que les médecins, même juifs, jouissaient d'une liberté de circulation inhabituelle. Cette pratique n'était pas bien vue des gens d'eglise qui voulaient mettre un terme à toute présence juive dans la ville lagunaire.
Mais en dépit de toutes les barrières, les juifs parvinrent à se rendre indispensables en raison de leur influence déterminante dans le secteur bancaire; ils firent une concurrence jugée déloyale aux Monts-de-piété, suscitant la haine du franciscain Bernardino da Feltre qui attisa contre eux la haine de la populace.
Les juifs apparaissaient aussi dans le domaine de la politique étrangère de la Sérénissime qui ne tarda pas (comme on le notait plus haut) à entre en compétition, voire en confrontation armée, avec la Sublime Porte. Mais toutes ces suspicions, toutes ces brimades et toutes ces ségrégations disparurent un beau 7 juillet 1792 lorsque les armées françaises conduites par Napoléon pénétrèrent en Vénétie et proclamèrent ce qui suit: afin qu'il ne subsiste plus aucune division apparente entre les citoyens de cette ville, nous ordonnons que soient démolies ces portes qui, par le passé, fermaient le ghetto…
Les juifs se virent alors octroyées les mêmes droits civiques que leurs concitoyens chrétiens. Mais leur joie fut de courte durée puisque les Autrichiens revinrent sur ces avancées civiques, sans toutefois relever les murs du ghetto.
Ainsi se lit cette histoire du ghetto venitien, admirablement racontée par R. Calimani. Aujourd'hui, malgré la dure saignée de la persécution nazie. Un peu moins de mille âmes juives vivent encore à Venise car personne ne peut résister longtemps au mythe ni à la tentation de Venise.
Riccardo Calimani, Histoire du ghetto de Venise. Préface d'Elie Wiesel. Editions Tallandier, Texto, 2007.