L’ENFANT ET LE GENOCIDE : TEMOIGNAGES SUR L’ENFANCE PENDANT LA SHOAH. Textes choisis et présentés par Catherine Coquio et Aurélia Kalisky. Paris, Bouqins, Robert Laffont, 2007, 1264 pages.
Avant même d’en venir au contenu de ce livre, il faut saluer sa parution, en féliciter les éditeurs-présentateurs et se demander comment on a pu vivre jusqu’ici, sans parler de manière aussi exhortative de tous ces enfants, plus d’un million, sacrifiés par la haine raciale et l’horrible inhumanité des Nazis.Il faut lire cet ouvrage, malgré sa longueur et surtout malgré les détails insupportables qu’il décrit. Ou au moins, surmonter l’indicible et lire jusqu’au bout le long avant-propos, si minutieux, si instructif sur ce que fut la vie (ou plutôt la mort lente, l’agonie) de plus d’un million d’âmes justes et innocentes dans les ghetto, les camps, les caches et les transports vers les lieux d’etermination les lieux d’extermination.
Je ne savais pas, en ouvrant ce livre imposant, que ce serait si dur. L’enfant dans l’univers concentrationnaire et génocidaire : comment fut-ce possible ? Que reprendre dans ce petit compte-rendu ? Tous les cris, tous les appels, les dessins, les scènes, les opéra pour enfants, les poèmes, oui, tout est important. Tout ce qu’on y lit est important.
Particulièrement insupportables sont les développements sur la nature véritable du jeu des enfants dans cet univers d’où toute providence divine a été absente, ces enfants qui font, dit-on, semblant de jouer, ces enfants mourant de faim et d’absence de soins qui en voient d’autres déjà morts ou en train de mourir ; ces enfants jouant avec des cadavres, dans l’espoir, peut-être, que l’un d’eux se réveillera pour dire que tout ceci n’était qu’une affreuse, une horrible mise en scène. Ces enfants que les tortionnaires SS, hommes ou femmes, rassemblent devant les chambres à gaz ou les fosses communes, en battant des mains, comme le font généralement, dans notre monde civilisé, les institutrices, les maîtresses d’école, les monitrices, bref tous les pédagogues du monde entier. Ces enfants qui font des dessins ou des jeux qui ne sont pas ceux d’enfants ; ou encore ces enfants que les tortionnaires choyaient (si l’on peut dire) quelques jours ou simplement quelques heures, avant leur exécution.
On lit aussi dans cet avant-propos que certains commandants de camp (oh, pas beaucoup !) se sont plaints à leur hiérarchie de la difficulté pour les SS, surtout les jeunes parmi eux, d’abattre des enfants, certains allant même jusqu’à dire qu’ils revoyaient à travers les traits des jeunes victimes, l’image ou le visage de leur propre progéniture. Si mes notes ne sont pas erronées, un soldat de la Wehrmacht serait allé jusqu’à dire à deux petites filles pourchassées et arrêtées : vous êtes innocentes… Mais rien n’y fit, lorsque le Reichsführer H. Himmler se rendit dans l’est pour superviser son entreprise d’extermination, il ne put tenir plus d’une heure de fusillade. Le commandant SS qui lui faisait les honneurs du camp lui fit remarquer que les soldats n’en pouvaient plus, eux qui fusillaient sans discontinuer jour et nuit… La réponse fut sans équivoque :il faut continuer… Mais on passa aux chambres à gaz.
Certains rescapés de cet enfer s’étonnent que nous nous demandions pourquoi les bourreaux n’ont-ils pas refusé de poursuivre leur sinistre besogne… Sont-ils fondés à dire que la question ne se pose pas ? Peut-être. Je l’ignore, au fond. Mais tout de même : seuls les monstres peuvent assister à un défilé d’enfants bien mis, sagement alignés, se tenant la main devant un édifice où le cours de leur vie va connaître un terme brutal.
Mais d’autres enfants ont pu survivre, en nombre infime, hélas, grâce à leur instinct, à leur débrouillardise ou à la tendresse qu’ils suscitaient dans le cœur soit de leurs bourreaux, soit des habitants des villes et villages environnants ; certains enfants, isolés dans des baraquements réservés, s’organisaient en une sorte de «république» où chacun était tenu d’obéir à des règles précises. Ceci se passait notamment à Théresienstadt, la ville-vitrine que les Nazis présentaient sous son meilleur jour, lors de visites officielles de la Croix Rouge ou d’autres commissions internationales. Malheureusement , les visiteurs étaient toujours dupes des manœuvres d’embellissement des Nazis qui, ces jours, fournissaient la ville en appareils électriques flambant neufs, doublaient voire triplaient les rations quotidiennes et priaient les détenus de rev^tir leurs plus beaux vêtements. Mais la réalité se trouvait mieux dépeinte dans un poème comme celui du jeune Hanus Hachenburg, intitulé TEREZIN : je fus jadis un enfant/ voilà tantôt trois ans/ ma candeur rêvait d’autres mondes/ elles est passée l’enfance/ j’ai vu les flammes, je suis mûr à présent : et j’ai connu la peur. Les mots sanglants, les jours assassinés/ où sont les croquemitaines d’antan ?/ ( p 93) On décrit aussi le drame insoutenable, parfois, le suicide même, comme à Varsovie, où un jeune éducateur ne put se résoudre à livrer les enfants dont il avait la charge, sachant pertinemment qu’ils étaient promis à une mort certaine. Pouvait-il survivre à une telle abomination ? Non, assurément. Il mit donc fin à ses jours en avalant une capsule de cyanure.
Un autre poème, intitulé chanson du ghetto, dépeint avec une émotion intense, les souffrances des parents, impuissants devant la détresse et l’agonie de leurs enfants : Etoiles des chemins/ éclairez la route de ton père/ la lune est sa seule fortune/ en sa suite nocturne/ sommeillou (sic) mon enfant/, bisous sur les yeux d’ombre/ sur les ruines en pleurs, / s’envole une colombe/ tu est toi, cette colombe/ ses blanches ailes, tes petites mains, maman ne quittera pas ton berceau pleurant la faim. (p 143).
Comment finir ce bref compte-rendu ? En appeler à l’humanité, réciter un gigantesque kaddish pour ce million d’enfants, invoquer la justice divine ? Oui, probablement : inkom ha-Shem nikmat dam ha-yeladim ha-qedoshim we-ha-tehorim ha-shafukh
Maurice-Ruben Hayoun