Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 11

  • Conférence du 7 fébrier 2008 à la Mairie du XVIe arrondissement de Paris sur

     

     JOB OU LE DRAME DE L'HOMME MODERNE

       

                      JOB OU LE DRAME DE L’HOMME MODERNE.

              CONFÉRENCEA LA MAIRIE DU XVIE ARRONDISSEMENT
                                     Le jeudi 7 février 2008 à 20h 15

    Les récentes déclarations du président de la République française ont re-donné une certaine actualité à la place de D- et de la religion dans nos sociétés modernes. Nous vivons, en Europe occidentale, dans un environnement judéo-chrétien, ce qui signifie que nos valeurs sont entièrement centrées autour de la Bible hébraïque et des Evangiles, avec pour pièce maîtresse, le Décalogue, les Dix Commandements. C’est la charte éthique de l’humanité ciivilisée. Mais la Bible n’est pas uniquement un document religieux, elle contient aussi une éthique, une doctrine morale qui se confronte aux aléas de l’existence, à l’origine du mal, aux mystères de la rétribution divine et à l’exercice d’une providence. Dans ce contexte ci, le livre de Job joue un rôle crucial. Il fait partie de ce que l’on nomme la littérature sapientiale de la Bible, celle qui traite de la sagesse et donne une philosophie de vie.
    Le livre de Job est l’expression de la conscience morale blessée, victime d’un désarroi provoqué par le drame incompréhensible du Juste souffrant. Mais ce thème n’est pas traité dans une optique juive ou chrétienne (cela viendra après avec les interprétations dites typologiques), la question est posée, ou plutôt mise en scène, sous forme d’entretiens entre plusieurs personnes, dits les compagnons de Job.

    Datation et origine :
    On s’est beaucoup interrogé sur l’origine exacte de ce livre, sur ses acteurs principaux et sa problématique. Le lieu est situé hors de la Palestine ( entre l’Idumée et l’Arabie, citée en Lam 4 ;21, le pays de Outs), le nom du héros principal est unique et n’apparaît plus jamais dans la littérature biblique ou post-biblique, pas plus, d’ailleurs, que ceux de ces compagnons. Enfin, au plan théologique, cette discussion entre le Dieu du livre de Job et Satan est fort étrange dans un cadre strictement monothéiste…
    Plusieurs questions se posent : pourquoi donc Satan parcourt-il l’univers à la recherche de personnes qu’il pourrait précipiter dans le malheur ?  Et pourquoi donc Dieu prête-t-il l’oreille à une telle provocation au lieu de chasser tout simplement cet apôtre du mal et de la souffrance gratuite ? Enfin, pour quelles raisons, accepte-t-il, sans rechigner, de «jouer au poker» la vie de Job et de sa famille ?
    Le terme Satan dont même l’étymologie biblique n’est pas certaine et fait penser à une étymologie populaire, connaît vingt-cinq occurrences dans la littérature biblique. Les occurrences les plus importantes, au plan théologique, sont prtécédées de l’article défini (ha-Satan). On en dénombre 16 occurrences, deux dans le livre de Zacharie et quatorze dans le livre de Job, notamment le premier et le deuxième chapitre. Et après, plus du tout. Sans article défini, Satan connaît  cinq autres occurrences : quatre dans le premier livre des Rois (aux chapitres 5 et 11) et une dans le premier livre des Chroniques  (chapitre 21). Enfin, précédé de la conjonction finale Le (pour, afin de, en vue de) le-Satan, ce terme apparaît quatre fois et connote l’idée de nuisance, de malfaisance : deux fois dans le livre des Nombres à propos de l’épisode de Biléam et du roi Balaq et deux fois dans le livre de Samuel. Ce n’est pas le lieu d’étudier ici la signification de chaque occurrence ni de lui assigner une importance théologique, cela nous mènerait trop loin et ferait éclater lez cadre restreint de cette conférence.
    On peut dire, en restant dans notre cadre précis, que Satan se présente comme l’incarnation du mal ou de la hiérarchie des forces démoniaques agissant dans notre monde. Pourquoi et comment ces principes négatifs ont-il droit droit de cité (c’est le cas de le dire) dans notre univers humain) ? Encore une question restée sans réponse, même après les suppliques de Job adressées à Dieu autour du chapitre 38 de ce livre. Même dans l’épilogue, le chapitre 42, verset 6 on ne comprend pas très bien pourquoi Job fait cet aveu, qui est le point tournant du livre : jusqu’à ce jour je te connaissais par ouï-dire, mais maintenant mon œil t’a vu… 
    Cette déclaration donnerait à penser que Job a tout compris : il a compris pourquoi le juste innocent a souffert… Mais nous, nous n’avons pas compris. On peut assurément proposer, comme Maimonide et Nahmanide ou d’autres, des interprétations philosophiques ou mystiques. Mais de telles solutions restent des essais d’interprétation et non pas la réponse naturelle aux questions posées par le livre de Job.
    Maimonide a fait du livre de Job une allégorie des différentes théories de la providence divine ; le sujet est si complexe qu’il prend soin de distinguer entre ses propres conceptions et celles de la Tora. Laquelle est d’avis que la vertu est récompensée et l’inquité châtiée ; or, un simple regard sur la réalité du monde prouve qu’il n’en est rien. D’où la thématique du talmudique qui évoque  le cas du juste souffrant (tsaddiq we-ra’ lo) et du méchant qui jouit du bonheur (rasha’ we-tov lo). Grand maître à la sensibilité mystique, Nahmanide n’a pas développé une théorie aussi intellectualiste ; voulant préserver à la fois la justice divine, d’une part, et le libre arbitre humain, d’autre part, il introduit subrepticement la notion de transmigration des âmes (gilgoul) à laquelle, précise-t-il, Job se refusait à croire. Mais, pour l’auteur, une autre âme, pécheresse celle-là, souffrait en Job et attendait la fin de sa période de purification… Ainsi interprète-t-il les dures épreuves traversées par Job. Dans ce cas, les principes sont saufs : Dieu est juste et Job ne souffrait pas vraiment…

    Quand nous parlons du drame de l’homme moderne qui serait comparable aux souffrances de Job, figure emblématique ou archétypale de l’homme qui souffre sans raison, nous pensons à ceux qui, soudain, perdent leur emploi, leur santé, leur famille, voire leur vie dans un accident ou des circonstances dramatiques (erreur médicale, catastrophe naturelle, aérienne, inondation, noyades, enlèvement etc…)
    Mais le livre de Job a été pétri, pour ainsi dire, par des mains monothéistes et se finit par un happy end : en Dieu bon et miséricordieux (on a du mal à croire que c’est le même Dieu), le Dieu du livre de Job rétablit sa victime dans sa dignité première et lui restitue, au centuple, pourrions nous dire, le bonheur et les richesses qu’il avait avant le drame. Mais peut-on remplacer une précédente famille, une femme aimée et des enfants adorés ? Demandez donc aux rescapés des camps de concentration, aux survivants qui ont fondé une nouvelle famille après la Shoah, s’ils ont oublié l’ancienne…
    Il y a donc un hiatus entre la conscience morale humaine et la théodicée, la justice divine. Si Dieu est juste et rend la justice mais que nous, les principaux intéressés, ne la comprenons pas, à quoi bon ? C’est peut-être ce que Albert Camus nomme, relever le défi de l’absurde… Donner un sens à ce qui n’en a peut-être pas ou qui en a et que nous n’aurions pas compris.

    Dans la Bible, le personnage de Job est cité deux fois dans le livre d’Ezéchiel. Que le livre d’Ezéchiel cite en son chapitre 14, (versets 14 et 21) le personnage de Job aux côtés de Noé et de Dan’el, ne signifie pas que l’on parle du livre même, mais de la légende, du personnage légendaire, parangon avec les deux autres, de la vertu et de l’équité…  Même si le livre de Job représente nécessairement une élaboration ultérieure d’un thème légendaire connu par des versions orales plus anciennes, il est douteux que le prophète Ezéchiel ait eu connaissance d’une version littéraire précise… Le fait même de citer ce personnage mythique aux côtés de deux autres personnages anciens que Noé et Dan’el ( s’agit-il de notre Daniel biblique ?) renforce le caractère légendaire de cette citation.

    Le livre de Job : plan et structure :
    On ignore la date de composition précise de cette œuvre : le fut-elle d’un seul tenant, ou, comme c’est plus probable, a-t-elle subi des remaniements ultérieur ? C’est ce que montre le raccord assez grossier du discours d’Elihu qui marque un point tournant dans l’idéologie même du texte. Quelques remarques préliminaires : pas une fois il n’est fait référence à une législation mosaïque ni à un quelconque rite juif. On parle de l’Orient dont Job était l’un des grands fils. Les désignations de la divinité sont fort anciennes, mais dans le prologue et l’épilogue, on lit le nom tétragrammate.. Le style et surtout le vocabulaire laissent pressentir une influence étrangère, voire même la traduction hébraïque d’une source bien plus ancienne, tant le style est ciselé et le vocabulaire recherché. Dans son livre, L’histoire commence à Sumer, le grand assyriologue Noah Kramer cite des passages qui accusent une ressemblance frappante avec notre version hébraïque du livre de Job.
    Il y a les noms des protagonistes, leurs pays d’origine et aussi les paysages, la faune et la flore présents dans l’ouvrage.  En Terre sainte, il n’y a ni mine d’or, ni mine d’argent (ch. 28), ni crocodile, ni hippopotame… Or, le livre de Job se livre à de longues descriptions de ces choses absolument  invisibles en Terre sainte. 

    La trdaition juive n’est pas restée insensible à ces interrogations sur les origines du livre de Job. Si nous laissons de côté le Testament de Job qui ressortit au genre des Apocryphes et se grise de détails inconnus du récit biblique (e.g. les dernières volontés de Job dictées à ses enfants, le prénom de l’épouse, la vente des cheveux à Satan, son blasphème et disparition), la littérature post-biblique, notamment talmudique, prête à Job des rôles à la fois imaginaires et légendaires : par exemple, il aurait fait partie des conseillers du Pharaon et se serait abstenu lors de la discussion concernant la mise à mort des premiers nés hébreux ; selon Baba Batra 15a-16b, Job aurait vécu au temps des patriarches. Fidèle à sa grande indépendance d’esprit, le sage talmudique Resh Lakish décide qu’il s’agit d’une figure allégorique, dépourvue de toute crédibilité historique. 
    Certains passages talmudiques insistent sur la richesse considérable de Job, d’autres, enfin, soulignent qu’avec le roi David et le prophète Ezéchiel  ce personnage biblique décrivit une Tora sans fin, sans terme.

    Le livre de Job se laisse découper de la façon suivante :

    a) une brève présentation du personnage, du prologue au ciel entre D et Satan.
    B) des chapitres 3 à 37, ce sont les discours des trois amis de Job et les réponses de ce    dernier. Y compris de 32 à 37 le discours d’Elihou qui, rappelons le, recentre le livre.
    c) et, pour finir, l’oracle divin et la confession de Job.
    d) le début du chapitre 42 contient le discours d’humilité de Job
    e) et enfin, l’épilogue où D rétablit Job dans sa dignité première.

    Maintes interprétations confessionnelles ont été proposées du livre de Job, notamment des interprétations christiques qui voient dans la figure centrale de ce livre biblique une préfiguration de l’amour du Christ pour les gentils, contrairement aux Juifs, adeptes de loi et soi-disant refusant d’élargir le sein d’Abraham.  On y voit aussi, par la typologie, les douleurs du serviteur souffrant, et donc, du Christ lui-même.
    Comme Maimonide, Thomas d’Aquin (1225-1274) a interprété le livre de Job comme  une allégorie de la providence. Le dialogue du prologue montre, selon lui, que D- se préoccupe bien du sort de ses créatures puisqu’il cite nommément Job et connaît sa vie… Le monde est donc régi par la divine providence et non fortuitement.

    De son côté, le Coran évoque parfois la figure de Job (Ayoub)  Coran 21 ; 83  38 ; 40   38 ; 41  38 ; 44.

    Idées théologiques du livre de Job :
    Le mal et le malheur peuvent être entièrement déconnectés l’un de l’autre. Lorsque D guérit Job et le rétablit dans sa dignité première, il ne s’explique nullement sur cette parenthèse diabolique qu’il lui a fait endurer…
    Mais, comme on le disait plus haut, ce drame du juste souffrant était connu à Sumer, même au troisième millénaire avant JC. L’homme, fidèle serviteur de son D, s’étonne des malheurs qui fondent sur lui et cherche à comprendre. Même dans le cadre monothéiste, la question qui se pose est la suivante/ D- sait-il que le malheur fond sans raison sur l’homme ou l’ignore-t)-il ?  Pour les prophètes hébreux (voir Amos 3 ;6) (VIIIe siècle avant JC) : arrive-t-il un malheur dans une ville sans que D en soit l’auteur ?
    Est-ce qu’un dessein divin gît au fondement même de la souffrance humaine ? La Bible hébraïque hésite mais elle cherche à donner un sens à ces souffrances.
    Le malheur peut servir à  (notions de issuré de-ahava : maux infligés par amour)
    a)    la purification (Ps ? 17 ; 3)
    b)    l’instruction  (Dt 8 ;2)
    c)    Appel à la conversion, à la repentance (Ps. 119 ; 67)
    d)    En vue de l’intercession et du rachat

    Il n’en demeure pas moins que le mal et le malheur, ensemble ou séparément, restent une énigme. Mais une chose ne manque pas de nous frapper :  l’interprétation du malheur en tant que châtiment ne vient pas de D. mais des amis de Job. C’est donc une interprétation secondaire, accidentelle, arbitraire. Sur ce point, D se tient coi, il ne dit rien. Le résultat est que Job ne sait toujours pas pour quelles raisons il a enduré tant de souffrances.
        Mais le discours d’Elihu (ch. 36 ;10) apporte tout de même quelque chose de nouveau : il insinue que le malheur  ouvre l’oreille du poécheur… ; l’homme accueille alors le malheur comme un avertissement et une semonce de D.
        Dans le dessein de D, le malheur peut avoir une valeur instrumentale : il lui ouvre la voie du salut.
    Il est probable qu’un auteur hébraïque, vers le Ve siècle, a repris un récit bien plus vieux dont il a gardé le début et la fin (le prologue et l’épilogue et qu’il a ensuite rehaussé de plusieurs de centaines de chapitres lui permettant d’exposer les vues des trois premiers compagnons de Job, du quatrième Elihu (dont le nom est un nom parlant : mon D- il est : Eli hu), et du long discours de D, du chapitre 37/8 au chapitre 41. D’ailleurs, la définition même de la fonction de Satan (meshottet ba-aréts u-mehallékh bah) pourrait justifier la traduction française de  rôdeur, à l’affût de mauvaises actions.
    En fait, dans l’univers divin, tout est clair pour D mais pas pour nous. Dans notre univers, celui de la liberté et de la responsabilités de l’homme, les choses sont compliquées et nous échappent aussi en partie : ici-bas, le malheur est imprévisible et peut être totalement immérité.
    Mais les justes eux mêmes sont parfois appelés à souffrir pour être préservés de l’orgueil (ch. 32  et suivants)

    Mais, à la fin, la régénération de Job semble être le fait (incompréhensible) de Dieu et relever d’un pur miracle : pour bien montrer que Job est désormais rentré en grâce, D dit quatre fois mon serviteur Job…

    Je sais que tu peux tout et qu’aucune idée n’est irréalisable pour toi ; mais j’ai annoncé –et je ne comprenais pas- des merveilles qui me dépassent- et je ne savais pas. Par ouï-dire, j’avais entendu parler de toi, mais à présent mon œil t’a vu, c’est pourquoi je m’abîme et me repens sur la poussière et la cendre… (Job (42 ; 1-6)


    Le livre de Job, vu par Ernest Renan

    Nous en arrivons au livre de Job et à sa traduction commentée par Renan (Paris, 1858 ; réédité par Arléa en 1996). Parlant de ce livre, de l’Ecclésiaste et des Proverbes, l’auteur note que cette littérature n’est pas, à proprement parler, religieuse, mais simplement morale. Dans L’avenir de la science (1848), œuvre d’extrême jeunesse qui ne sera publiée que quarante ans plus tard, Renan  trace le programme de son œuvre future de savant et de philosophe. Il lui paraît inconcevable que celle-ci ne soit pas entièrement centrée autour de la Bible car, écrit-il, la Bible se situe au cœur même de l’histoire humaine qu’il prétend embrasser…  En bon hégélien qu’il était alors, Renan souligne que l’œuvre  qu’il se prépare (en 1848) à écrire, et à laquelle la Bible doit fournir les principaux matériaux, a un but philosophique très précis : ce sera une contribution à l’histoire de l’esprit humain, c’est-à-dire à la science de ce même esprit humain, car la vraie science de ce qui est en perpétuel devenir ne peut être que la connaissance de son devenir. Or, les faits incontestables, ceux auxquels le philologue doit accorder l’essentiel de son attention, sont les monuments du passé, les manuscrits, les inscriptions… La Bible, qui les renferme, sera donc abordée avec tout le sérieux et la froideur de la saine érudition, répudiant toute idee de révélation, tout propos édifiant et ne visant qu’une seule chose : l’explication philologique du texte.. Mais cette explication se veut la plus large possible. Dans ce même ouvrage, L’avenir de la science, Renan, si souvent taxé (à tort) de positivisme, adresse un reproche à peine voilé au coryphée de l’orientalisme de son temps, Silvestre de Sacy, en ces termes : à quoi bon savoir l’hébreu, l’arabe, le syriaque, si l’on n’est pas arrivé à l’idée de l’humanité, prise dans son acception la plus globale  ? 
    Rédigée à un âge encore tendre (trente-cinq ans !), cette traduction commentée du livre de Job n’aurait pas vu le jour ni connaître les honneurs de l’impression sans l’apport décisif de la critique allemande. Renan écrivait alors que le travail de l’exégèse biblique, construit pierre à pierre avec une suite merveilleuse et une incomparable ténacité de méthode, est sans contredit le chef-d’œuvre du génie allemand et le plus parfait modèle qu’on puisse proposer aux autres branches de la philologie.
        Comme on le verra longuement infra, le livre de Job n’est pas une œuvre hébraïque à l’origine, mais plonge plutôt ses racines dans la sagesse de l’Orient ancien. Le prénom qui a donné son titre au livre, Iyyob en hébreu, ne connaît strictement aucune occurrence dans un autre livre du canon biblique ni dans la littérature hébraïque ultérieure. Le Talmud lui-même, (Baba Batra 15a et 17b ; Sota, 31a et Berachot 17a) n’a pas de point de vue vraiment arrêté sur la personnalité et la valeur morale de Job. Ce problème de la théodicée et du juste souffrant est aussi présent dans les Psaumes 22, 37 et 73 qui expriment les plaintes du juste qui observe l’insolente fortune des méchants. Mais c’est bien dans le livre de Job qu’il connaît son traitement le plus exhaustif (42 chapitres !)
    Pour se figurer combien cette préoccupation a hanté les esprits juifs, on signalera que beaucoup plus tard, un penseur aussi profond que Maimonide (voir supra) interprétera dans son Guide des égarés, le livre de Job comme une allégorie de la providence divine : au fond, la nature mortelle de l’homme l’expose aux aléas de l’existence. Ce ne sont ni la providence ni la justice de Dieu qui sont en cause mais bien les accidents liés à la nature matérielle de l’homme.  Toutefois, cela, nous dit Maimonide, Job, homme intègre mais simple, dépourvu de formation philosophique, l’ignorait. L’auteur souligne le fait que la Tora ne dit pas de Job qu’il était intelligent ou cultivé ; il en déduit qu’il ne connaissait Dieu que par tradition, ce que l’intéressé, assis sur son fumier, finit par reconnaître au milieu de l’ultime chapitre 42 ; 5 : par ouï-dire, j’avais entendu parler de toi, mais à présent mon œil t’ a vu. Il s’agit de l’œil spirituel qui lui dicte enfin une meilleure intelligence des maux qui ont fondu sur lui : c’est pourquoi je m’abîme et me repens, sur la poussière et la cendre.
        La traduction d’un tel livre comprenant des termes extrêmement rares (hapax) et des tournures compliquées n’a pas constitué pour le jeune hébraïsant d’alors un obstacle insurmontable. Il s’est aidé des études de ses devanciers allemands comme, par exemple, Albert Schultens, commentateur du livre de Job. Il renvoie lui-même à ses nombreuses sources allemandes (p 11)  : qu’on lise, dit-il,  les travaux de Schultens, de Resike, de Rosenmûller, de Schaerer, d’Umbreit, de Stickel, d’Ewald, d’Arnheim, de Hirzel, de Hahn et de Schlottmann. Deux français sont tout de même cités, Samuel Cahen dont Renan appréciait tant l’édition de la Bible, et  l’abbé Le Hir dont il fut le disciple reconnaissant. Mais comment faire pour rendre en français des tournures de phrase et d’esprit si différentes ? Il est indispensable de prendre connaissance des idées de Renan sur ce point crucial qu’est la traduction :  On croit conserver la couleur de l’original  en conservant des tours opposés  au génie de la langue dans laquelle on traduit : on ne songe pas qu’une langue ne doit jamais être parlée ou écrite à demi. il n’y a pas de raison pour s’arrêter dans une telle voie et, si l’on se permet, sous prétexte de fidélité, tel idiotisme qui ne se comprend qu’à l’aide d’un commentaire, pourquoi n’en pas venir franchement à ce système de calque où le traducteur, se bornant à superposer le mot sur le mot, s’inquiète peu que sa version soit aussi obscure que l’original et laisse au lecteur le soin d’y trouver un sens ? De telles licences sont permises en allemand, je le sais.  Mais c’est là une facilité que j’envie le moins à nos amis d’outre-Rhin. La langue française est puritaine, on ne fait pas de conditions avec elle.…Toute traduction est nécessairement imparfaite puisqu’elle est le résultat d’un compromis entre deux obligations contraires : d’une part, l’obligation d’être aussi littéral qu’il se peut, de l’autre, l’obligation d’être français. mais de ces deux obligations il en est une qui n’admet pas de moyen terme ; c’est la seconde. Le devoir du traducteur n’est rempli que quand il a ramené la pensée de son original à une phrase française parfaitement correcte.   Pour longue qu’elle soit, cette déclaration n’en est pas moins claire : la langue française n’admet pas de compromissions avec son génie propre, une traduction n’en est pas une lorsqu’elle se veut, d’emblée, un calque laborieux.
       
    Les traces sumériennes, babyloniennes, voire égyptiennes présentes dans la version biblique du livre de Job ont été maintes fois analysées au cours du vingtième siècle. Hannan Finkelstein s’y est essayé avec succès dans une brève étude hébraïque parue dans une revue israélienne.  Il distingue d’emblée, entre deux conceptions assez différentes l’une de l’autre : le Job égyptien et le Job sumérien. Le premier croit à la vie future et le second n’y croit pas, c’est pourquoi il recommande le suicide. Or, si l’on scrute bien le bref dialogue entre Job et sa femme, cette dernière lui suggère de maudire Dieu et de se laisser mourir, c’est-à-dire de se suicider (2 ; 9 : maudis Elohim et meurs) . Or, ceci est parfaitement interdit par la tradition juive. C’est pourquoi Job rabroue sévèrement son épouse. Finkelstein établit cinq principes qui gisent au fondement même de la version hébraïque de Job et qui témoignent de son caractère composite :

     a) la souffrance n’est pas la conséquence nécessaire du péché. Cette opinion est d’ailleurs étayée par le curieux dialogue  de Satan avec Dieu. Et ceci se retrouve dans tous les échanges de Job et de ses amis.
    b) il n’y a pas de réciprocité entre Dieu et l’homme, ce qui est contraire au monothéisme éthique de la Bible hébraïque.
    c) il existe malgré tout une providence divine individuelle puisque Job est intentionnellement et spécifiquement visé.
    Au fondement de tous les actes de Dieu on trouve l’équité, mais Dieu est si grand que l’homme ne peut jamais aller au fond de ses intentions.

    Certaines similitudes du traitement de cette question du juste souffrant et de la théodicée ont aussi intrigué un autre orientaliste qui se livre à une étude comparée des différentes présentations du personnage de Job dont la formulation hébraïque n’est qu’une version parmi  d’autres.  Tant dans l’Egyypte ancienne que dans les civilisations babyloniennes (Sumer) on trouve maintes attestations de la foi en un ordre voulu par la divinité, aussi bien au plan naturel qu’au plan social.  Le terme Ma’at de l’Egypte ancienne équivaudrait  aux vocables hébraïques  tsédéq  et mishpat.  Job cite souvent les preuves du pouvoir de Dieu sur terre (38 ; 4-7), sur mer ( (38 ; 8-11), et aussi concernant le règne animal : (ch. 39) la liberté de l’âne sauvage, la nature indomptée du bœuf sauvage, la rapidité de l’autruche etc… De tels éléments pourraient bien provenir des classifications de Sumer, de Babylonie et de l’Israël ancien.  On y lit soit des monologues en prose ou en vers, soit des dialogues entre l’homme et son âme.  L’idée d’un ordre équitable est donc admise puisqu’on établit une relation de cause à effet entre la conduite humaine et la destinée de chacun. mais les malheurs de la vie, le divorce existant entre la vertu et le bonheur, ont conduit les sages  à s’interroger gravement sur le thème du Juste souffrant.  Sous une forme populaire ou plus élaborée, ces thèmes peuvent remonter jusqu’au milieu du IIIe millénaire avant l’ère chrétienne.
    Jean Nougayrol a justement étudié l’une des versions les plus anciennes de ce Juste souffrant.  Le problème du mal a été posé par les Babyloniens comme dans le Job de la Bible : voici un homme juste et comblé par un bonheur largement mérité. En un court  laps de temps et sans qu’il n’ait rien perdu de ses belles vertus, il se retrouve dépouillé de tout ce qui lui est cher.  Pourquoi ? Ce scandale éternel, la littérature babylonienne le présente de deux façons : elle en fait un monologue du juste, ou plus exactement, ce que nous nommerions un monologue dramatique. Elle en fait aussi un dialogue philosophant, sinon philosophique entre le juste et son ami ; un dialogue entre le juste et son ami sur la condition humaine que la Bible devait reprendre et magnifier. Nougayrol est d’avis que le scandale moral du mal n‘a pu s’imposer à la conscience des Babyloniens qu’à partir de la seconde moitié du II millénaire.
    Pour bien saisir les éventuels parallélismes entre les versions babylonienne et hébraïque, prenons connaissance de la réponse de la divinité au juste et à son avocat :  ta démarche est digne d’un homme. Ton cœur est innocent ! Les années sont accomplies, les jours ont racheté la peine. Si tu n’avais pas été appelé à vivre, comment aurais tu pu aller jusqu’au bout de cette grave maladie ? Tu as connu les angoisses, la peur dans toute son étendue ; jusqu’au bout tu as supporté son lourd fardeau. La voie était obstruée, elle t’est ouverte, le chemin t’est aplani, la grâce t’est accordée! Mais à l’avenir, n’oublieras-tu pas ton dieu, ton créateur, quand tu auras recouvré la santé, toi ? Et ton dieu, ton créateur, est ton appui. Elle porte loin, ma malédiction, mais forte est ma bénédiction. Le champ je le lui délimite, c’est l’homme qui le laboure.
    On compte trois versions babyloniennes  qui couvrent le spectre littéraire habituel : le récit, le monologue et le dialogue. La trame est la même dans les trois cas : la félicité, autant que les tribulations et les épreuves sont aussi fortuitement échues à l’être humain. La seule consolation de la victime est que, si les souffrances d’un innocent sont un scandale, celui-ci sera de courte durée.  Et la réparation est si totale, si éclatante que la toute-puissance divine en ressort magnifiée. L’homme, enfin sauvé, en vient presque à oublier les épreuves qu’il a dû traverser. C’est, à peu de détails près, le cas du Job hébraïque… Mais la question demeure posée : avons nous affaire à un thème commun, diversement traité selon les cultures et les civilisations, ou, devons-nous, admettre, au contraire, une source unique gisant au fondement des différentes versions : égyptienne, babylonienne et hébraïque ?  Il est difficile de trancher.
     
    Différents textes babyloniens méritent d’être cités ici (tirées de l’article de Nougayrol) en raison de leur rareté et de leur proximité à la version hébraïque : J’aimerais tant connaître ces choses qui sont agréables à dieu! Mais ce qui nous convient peut offenser dieu et inversement ce qui nous semble condamnable peut être agréable à dieu. Mais qui connaît la volonté des dieux au ciel ?Et qui a connaissance des plans des divinités souterraines ? Mais où donc les mortels ont-ils appris à connaître la voie de dieu ?
    Un autre passage tiré de Job (19 ; 13-17) pourrait avoir eu pour source les versets mésopotamiens suivants : La ville où je suis me regarde comme un ennemi; vraiment, mon pays me témoigne rancune et hostilité, mes amis sont devenus mes ennemis, mon compagnon est devenu un diable dans son courroux, mon ami me dénonce constamment, mes associés fourbissent leurs armes, mon ami intime met ma vie en danger . J’ai essuyé l’injure publique de mon esclave devant toute une assemblée, ma maison (        ), la foule m’a diffamé, quand un familier me croise il change de côté et poursuit son chemin,ma famille me traite comme un étranger.
    Voici le passage de Job 19 ; 13-17 :
    Mes frères, il les a éloignés de moi et mes connaissances ne font que se détourner de moi
    ils ont disparu, mes proches et mes familiers, ils m’ont oublié, les hôtes de ma maison.
    et mes servantes me considèrent comme un étranger,
    je suis un barbare à leurs yeux.
    j’appelle mon serviteur et il ne répond pas
    quand de ma propre bouche je l’implore.
    mon haleine répugne à ma femme
    et je suis devenu fétide aux fils de mes entrailles

    Les affinités thématiques entre les différentes versions sont incontestables. Mais des différences de taille subsistent.  Le Job hébraïque ne reçoit pas de réponses satisfaisantes aux questions posées, mais au moins il en obtient. Dieu ne se détourne pas entièrement de lui. Selon Nougayrol, le texte cité sur le Juste souffrant nous fait remonter jusqu’au XVIe siècle avant Jésus-Christ. Et il existe même un texte sumérien qui remonterait au début du IIIe millénaire.  Comme dans le Job hébraïque, le Juste souffrant met l’accent sur son innocence. Le texte se conclut par l’exaucement du dieu qui rétablit l’innocent dans sa dignité première. Ceci donnerait à penser que l’auteur hébraïque a repris, sans les retravailler, le prologue et l’épilogue des sources plus anciennes. Nous trouvons un autre texte qui permet une comparaison entre notre Job hébraïque et un texte antique : je loue l’œuvre de mon dieu qui est en colère, je loue l’œuvre de ma divinité courroucée, c’est Mardouk et j’obéis à ses ordres. C’est lui qui m’a frappé et m’a rendu malade, mais à présent il m’a relevé et redressé. Il m’avait fendu et déchiré, il m’a mis en pièces et m’a déchiré, il m’avait jeté au loin, mais a fini par me rapprocher, il m’avait abandonné mais a fini par me reprendre. Au chapitre 36 ;24 Job s’écrie :  souviens toi de magnifier ses œuvres que tant d’hommes ont chanté.

        Renan ne disposait pas pour son travail d’exégète et de traducteur de tous ces éléments comparatistes. Mais il était adossé, comme on l’a noté supra, à la science allemande de son temps, et reconnaît volontiers sa dette vers le commentaire de Hirzel. Curieusement, alors qu’il attachait une certaine importance à la question de la datation du Cantique des Cantiques, ce problème est rapidement expédié par Renan qui opte pour la période pré-exilique avec des interpolations ultérieures et un auteur unique. A ses yeux, l’important se situe ailleurs : Pour bien comprendre le poème de Job il ne suffit pas de le placer à sa date ; il faut encore  le restituer par la pensée à la race qui l’a créé et dont il est la plus parfaite expression. Nulle part la sécheresse, l’austérité, la grandeur qui caractérisent  les œuvres originales de la race sémitique  ne se montrent plus à nu.
    Dans le livre de Job, si pétri d’esprit sémitique, pas le moindre trace d’une quelconque causalité naturelle, tout ou presque est regardé comme un miracle : nulle part on ne sent plus vivement qu’ici la diversité du génie aryen et du génie sémitique ; le premier, tant prédestiné, par sa conception primitive de la nature et par la forme même de son langage, au prophétisme ; l’autre, condamné à ne jamais sortir de l’aride et grandiose simplicité du monothéisme. Pour Renan, le Job hébraïque constitue la forme achevée du poème épique ; les personnages qui y figurent ne sont pas juifs tandis que le lieu de la scène est situé hors des frontières de la Palestine. Le culte qui y est  pratiqué est celui de l’époque  patriarcale : Job est le prêtre de sa famille, il a des rites à lui qui ne se rattachent à aucun des usages de la religion d’Israël. Le livre ne contient pas la moindre allusion aux usages de la religion juive ni au culte mosaïque.
    Certains détails, notamment stylistiques permettent de dater l’ouvrage : une expression hébraïque aussi ciselée ne peut pas provenir d’une époque plus basse que le VIIe siècle. Et quand l’auteur parle il use du Tétragramme mais quand il fait parler les Iduméens, il évoque une autre terminologie propre au livre de la Genèse : Eloah et Shaddaî. Renan note qu’on s’étonne de ne pas trouver dans le livre de job la moindre prescription mosaïque ; mais, répond-il, on n’en trouve pas davantage dans le livre des Proverbes, ni dans celui des Juges, ni dans le premier livre des Rois, ni, en général, chez les écrivains antérieurs à la période du royaume de Juda. Mais de ce que le livre de Job ignore tout des prescriptions mosaïques on ne saurait conclure qu’il remonte à un époque antérieure à ce corpus législatif. Renan souligne qu’une branche entière de la littérature hébraïque se trouve dans le même cas :  la philosophie morale du livre des Proverbes et un grand nombre de Psaumes. Groupée autour de Salomon, cette littérature n’est pas intrinsèquement juive. , elle est, comme le livre de Job, purement sémitique. 
    Le livre de job appartient, selon Renan, à cette grande école de philosophie parabolique où figure un grand nombre de légendes mythologiques ou astronomiques qui ne se retrouvent pas chez les Hébreux ; on y sent une grande proximité  du polythéisme syrien et babylonien Dans ses parties essentielles, le livre de job est antérieur à la captivité ; les ouvrages postérieurs à cette période ont un tout autre caractère.. Renan affirme son désaccord avec Herder qui attribuait au livre de Job une origine arabe primitive. Il existait, certes, à l’époque de Salomon, une «fraternité philosophique» d’Israël avec les peuples voisins ; celle-ci s’est poursuivie sous Salomon jusqu’au moment où l’influence des prophètes et des rois piétistes conduisit Israël à s’enfoncer définitivement dans ses propres voies et à tourner le dos aux peuples voisins . Ezéchiel, citant des exemples d’hommes saints, mentionne Noé, Daniel et Job. Or, il a commencé de prophétiser vers –595 : est-ce à dire que le texte de Job était déjà ? C’est plutôt la légende qui, sous une forme orale, a précédé cette composition philosophique. Il faut bien admettre que la légende de Job est bien plus ancienne que le livre lui-même, qui est une dissertation philosophique, préparée, stylisée… En revanche, il est sûr que les passages suivants de Jérémie (20 ; 14-18) ont été pris chez job : Maudit soit le jour où je suis né ! que le jour où ma mère m’enfanta ne soit pas béni. Maudit soit l’homme qui porta la nouvelle à mon père en lui disant un mâle est né et le remplit ainsi de joie. Que cet homme là soit comme les villes que Dieu a renversées sans retour ; que le matin il entende les cris d’alarme et à l’heure du midi des clameurs tumultueuses. Parce qu’il ne m’a pas tué dès le sein de ma mère, de telle sorte que ses entrailles fussent mon tombeau et qu’elle m’y portât à jamais. Pourquoi suis-je sorti du sein de ma mère, pour voir la peine et la douleur et pour que mes jours se consument dans l’opprobre. La comparaison avec les passages suivants de Job ne laisse pas d’être instructive : Job 3 ;3ss et 10 ;18)
    Revenant sur le problème de la datation du livre, Renan note qu’aucun hébraïsant sérieux n’opte pour une période plus basse que 700. Ce qui correspond au niveau de  la langue du livre : un style  hébraïque limpide, serré et des plus classiques. On y trouve, ajoute le philosophe-historien, toutes les qualités du style ancien : la concision, la tendance à l’énigme, un tour énergique et comme frappé au marteau, cette largeur de sens éloignée de toute sécheresse,  qui laisse à notre esprit quelque chose à deviner, ce timbre charmant qui semble celui d’un métal ferme et pur. 
    Comme tous les autres livres du canon hébraïque, le livre de Job a dû connaître des remaniements, des ajouts et des interpolations. On y parle des rapines des Chaldéens. Or, c’est vers 770 qu’ils apparaissent ainsi (Amos, Osée et Isaîe). Même  le livre des Proverbes fut compilé sur l’ordre du roi Ezéchias (725-696). On peut en conclure que c’est au cours du VIIIe siècle avant notre ère que ces livres connurent leur rédaction quasi-définitive.
    Dans son analyse de la structure littéraire du livre de Job, Renan note que quatre morceaux de ce poème ont excité les soupçons de la critique :

     1/ le prologue et l’épilogue
    2/ le passage qui va du chapitre 27 v. 7 à la fin du chapitre 28
    3/ la description du crocodile (ch. 40) et de l’hippopotame (ch. 41 à la fin du discours de Dieu
    4/ le discours d’Elihou dans son intégralité..

    En effet, on discerne une certaine tension idéologique : alors que dans l’épilogue (ch. 42,7) Dieu donne pleinement raison à Job, dans le corps même du poème il le rabroue et le taxe de légèreté. Par ailleurs, Renan considère comme certain que le discours d’Elihou a été interpolé postérieurement à l’époque où le livre  de Job est arrivé à la forme que nous lui connaissons ; il est, cependant, impossible de déterminer avec précision la date précise de cette interpolation.  Comme il s’agissait de présenter un modèle de sagesse et de vertu, il fallait faire concorder les besoins éternels du cœur, les affirmations du sentiment moral, les protestations de la conscience et le témoignage de la réalité. Même dans ce livre, rédigé à l’époque où il était fasciné par l’opposition entre les Aryens et les Sémites, Renan n’oublie d’évoquer ce problème : l’absence complète de l’instinct scientifique est un des traits qui caractérise les peuples sémitiques. La recherche des causes est pour eux une vaine occupation dont on se lasse très vite (Ecclésiaste, I-III) ou une impiété, une usurpation sur les droits de Dieu (Job 38-41). Voilà pourquoi l’esprit sémitique, si puissant par sa simplicité et sa persistance, a produit si peu de grandes spéculations philosophiques.   Le système du monde, tel qu’il résulte du livre de Job, est des plus simples : le Dieu créateur de l’univers et son unique agent fait vivre par son souffle tous les êtres et produit directement tous les phénomènes de la nature. La Grèce, conclut Renan, voit le divin dans ce qui est  harmonieux et clair, le Sémite voit Dieu dans ce qui  est monstrueux et obscur.

    Elaborations modernes :
    Un tel livre ne pouvait que susciter des tentatives d’imitation et de l’élaboration secondaires. Il serait impossible d’en offrir une liste exhuastive. En voici quelques exemples.
    Même Goethe dans son Faust parle d’un prologue au ciel (Prolog am Himmel) où Dieu s’entretient avec Mephistophélès (comme D- avec Satan).
    Chateaubriand dans son Génie du christianisme : Job est la figure de l’humanité souffrante et l’écrivain insipré a trouvé des soupirs pour exprimer tous les maux partagés entre la race humaine.
    Enfin, Carl Gustav Jung dans son Antwort auf Hiob (Réponse à Job , 1952, interroge les religions judéo-chrétiennes et considère Satan comme la main gauche de D, en somme le bien et le mal seraient unis en une seule dibvinité.
    D’autres interprétations plus modernes, comme celles de Magaret Susman, Le livre de Job et le destin du peuple juif (Cerf, 2005) qui subit l’Holocauste.
    Jean Lévêque, Job ou le drame de la foi, Cerf, 2007

    Perspectives :
    On peut dire au terme de ce bref survol que le thèmes sempiternels du juste souffrant, de la providence divine ou de son absence n’ont pas cessé, depuis des millénaires, d’intriguer, voire de hanter  la conscience humaine. Le juste souffrant est un défi, un scandale de morale. Mais ce qui frappe le plus, on l’a déjà noté plus haut, c’est que Job prétend sincèrement avoir compris son erreur à défaut d’avoir identifié ses supposés crimes… Il se repent donc et accède ainsi à la grâce de Dieu.
    Mais nous, nous n’avons pas compris.

                                                                         M-R.H.




     

  • Peut-on causer religion à la tête d'un Etat laïque

     

                         LA FRANCE EST TOUJOURS UN ETAT LÂIC…

     

    paru dans la Tribune de Genève, du 24 janvier 2008 page  de l’invité. Sous le titre :Peut-on causer  religion à la t^te d’un Etat laïque ?


    Avec le discours du Latran, celui du 14 janvier devant le Conseil consultatif saoudien (majlis a-choura) de Ryad, et la présentation des vœux aux autorités religieuses à l’Elysée, le président Nicolas Sarkozy offre un triptyque permettant de cerner sa pensée profonde en matière religieuse.

    Au Latran, le président français a, certes, tenu un discours qui tranche par rapport à ce qu’on avait l’habitude d’entendre dans l’Hexagone de la bouche d’un président de la République. Mais il n y a pas, à proprement parler, d’écart ni de mutation sensible dans la position officielle de la France lorsque M. Sarkozy semble accorder un léger avantage (mais aps une préference) à ceux qui nourrissent l’espoir en eux et autour d’eux, grâce à leurs croyances.Tout discours présidentiel a aussi, nécessairement, une dimension politique :Nicolas Sarkozy a dû se souvenir que le Vatican avait, sans succès, demandé la prise en compte des racines chrétiennes de l’Europe, ce que les Allemands avaient relayé, sans être entendus, en proposant de mentionner dans le traité constitutionnel l’expression geistig-religiös (spirituelles et religieuses). On peut donc dire, qu’en présence du chef spirituel de plus d’un milliard de catholiques, le Président français ne pouvait guère faire moins,.
    Avec le discours de Ryad, nous avons affaire à une pièce plus riche, plus nuancée et de ce fait, plus complexe. Mais pas une fois, le président ne s’est écarté des principes  fondamentaux de la laïcité française, même s’il n’a cessé de répéter que celle-ci commande une séparation des Eglises et de l’Etat, mais non point la destruction ni la négation des croyances des citoyens. On est donc surpris par la virulence de quelques commentaires que rien dans le discourt ne vient justifier.
    Rédigé dans un style élégant et sobre, qui reflète bien la personnalité du président français, le discours commence par rendre hommage  à la centralité du royaume wahabite dans le monde musulman. Aussitôt après, il rappelle le triple héritage du monothéisme abrahamique. En somme, une fraternité placée sous la figure tutélaire du patriarche biblique.
    Juifs, chrétiens et musulmans (suivant l’ordre chronologique) vénèrent le même Dieu unique, est-ce étonnant qu’ils lui adressent des cultes différents ? Après tout, le Coran lui-même fait clairement référence aux gens du Livre (ahl al-kitab) . Ce Dieu libère l’homme et ne l’asservit point, il le protège de l’orgueil et de la folie qui le menacent, Ces dérives sont seules responsables de la dénaturation du message fraternel des religions. Le mal vient de la volonté morbide de certains de politiser la religion et de l’instrumentaliser : c’est son utilisation à des fins politiques régressives au service d’une nouvelle barbarie.
    Le Chef de l’Etat se défend d’exprimer la moindre préférence, il lui incombe simplement de veiller au respect des croyances de tous.  Il concède, cependant, qu’il a la charge de préserver un héritage (judéo-chrétien, probablement) car, dit-il justement, les croyances religieuses ont toujours été à l’origine des cultures, des civilisations et des doctrines politiques. Cela s’appelle la genèse religieuse du politique et du culturel.  L’humanité croyante et pensante a fini par rationaliser la foi de ses ancêtres. Même un juriste comme Carl Schmitt avait reconnu dans sa Théologie politique qu’au fondement de doctrines politiques gisaient des principes théologiques sécularisés.
    C’est ainsi qu’apparut une doctrine éthique universelle, qu’aucun être humain ne saurait récuser. On aborde enfin l’aspect éthique de l’héritage religieux. Les métropoles célèbres telles que Athènes, Rome, Jérusalem, et bien avant elles, Alexandrie, ont donné naissance ou réuni des hommes de croyances et de cultures différentes. Le président a eu le bon goût d’y ajouter la cité de Cordoue puisqu’en Europe, les Lumières de Cordoue, Averroès et Maimonide, ont largement préparé la voie aux Lumières de Berlin.
    Et pour finir, le président aborde le problème des identités, précisant qu’une blessure identitaire peut dégénérer en une quête fanatisée du même ordre. C’est peut-être ici le point le plus délicat du discours : la compatibilité ou l’incompatibilité entre l’identité islamique et la culture européenne. Un oubli, peut-être volontaire, l’absence du rappel de la laïcité dans le berceau du wahabisme. La diplomatie doit garder ses droits. Mais les principes sont saufs.
                               

     

     

                                    Maurice-Ruben HAYOUN
                                Professeur à l’Uni. de Genève

     

  • Les conseils de Gunter GRASS au SPD

     

        Dans la livraison du Monde du 1er février, on peut lire une longue rubrique du prix Nobel allemand de littérature, intitulée Conseils aux Socialistes. Le grand écrivain y expose ses vues sur le socilaisme démocratique et adjure ses compagnons d'agir conformément à leurs idéaux. Il rappelle aussi que son engagement politique date de la fin de son séjour en France au milieu des années cinquante. C'est alors que le nouveau maire de Berlin Willy Brandt  manifesta sa volonté de devenir chancelier fédéral. Il se lance à ses côtés dans la campagne.

      G.Grass évoque aussi avec émotion le poids de la défait et aussi la honte devant les crimes commis par les Nationaux-socialistes.

       En conclusion, il se lance dans un vibrant plaidoyer en faveur des artistes et des intellectuels qui ne peuvent plus lutter efficacement contre les grands groupes de presse, d'éditions et autre lobbyistes de tout poil(sic). Un tel discours peut porter en Allemagne où une certazine discipline a toujours été de mise, même dans des sitautions extrêmes.

       Lénine aurait même dit dit un jour, vers 1910, que lorsque les cheminots allemands se mettaient en grève et occupaient les gares, ils n'oubliaient jamais de payer les tickets de quai… Tout un symbole!