LE PAPE EN FRANCE : BILAN ET LEÇONS D’UNE VISITE
La France aurait besoin d’une catharsis, d’une sorte de purge de ses fantasmes, de ses démons. Comme du temps de Jean-Paul, on a pu voir que ce beau pays était divisé en deux, tant partisans et adversaires refusent de se parler, de s’écouter et préfèrent se murer dans une détestation ou une vénération qui ne veut rien entendre… Etrange.
Faisons une tentative de tirer les enseignements de cette visite et voyons autour de quels grands axes elle s’est déroulée. Pour ce faire, il convient de retirer des différents discours (à l’Elysée, au collège des Bernardins, à Lourdes et devant un parterre d’évêques) les points les plus saillants.
Vendredi, à l’Elysée, le pape Benoît XVI a dit tout l’intérêt qu’il trouvait dans cette belle formule de laïcité positive, intelligente et réfléchie. Il a dit son respect des idéaux républicains qu’il ne considère pas être en contradiction absolue avec les valeurs de l’église. D’ailleurs, le président avait très adroitement montré que les préoccupations respectives de l’Etat et de l’Eglise convergeaient vers un même idéal : assurer le bonheur de l’homme… Carl Schmitt, le grand juriste des années trente qui s’était temporairement fourvoyé avec les Nazis, avait écrit dans sa Théologie politique que tous les idéaux politiques étaient des thèmes originellement religieux et qui furent sécularisés par la suite. C’est, en d’autres termes, reconnaître la genèse relieuse du politique, même si ce dernier a, dans un pays comme le nôtre, coupé le cordon ombilical depuis fort longtemps.
Le discours des Bernardins reprend la trame du discours de l’Elysée en appuyant sur certains points que le pape avait tout juste effleuré vendredi midi : il a souligné les sources latines et chrétiennes de la culture européenne, sous entendant par là que la culture européenne et l’identité chrétienne étaient en complète harmonie. C’était un clin d’œil à ceux qui, au congrès de Nice, avaient rejeté la demande allemande de signaler dans le préambule de la constitution les racines chrétiennes (les Allemands avaient dit : geistig-religiös). Le message du pape était clair : c’est le christianisme ou le judéo-christianisme qui a fait ce continent et le chrétien doit s’y sentir chez lui car les valeurs qui irriguent cette culture sont ses valeurs. En insistant sur le travail intellectuel des moines, sur leurs ateliers d’écriture, leurs traductions et leur existence vouée à l’étude des textes et à l’adoration de Dieu, le souverain pontife a mis en avant la vocation de l’Eglise en tant que puissant facteur de développement et de recherche intellectuelle : Platon, Aristote, Plotin, les penseurs arabes et juifs médiévaux, tous ces courants de pensée furent étudiées et analysés dans les abbayes et les couvents. Il fallait le rappeler car certains confondent encore, hélas, médiéval et moyenageux…
Après cet intermède parisien, les autorités politiques et les intellectuels, le vrai message a été adressé à Lourdes. Et là, les esprits chagrins ont reproche au pape d’avoir réaffirmé la doctrine orthodoxe de son église… Mais où est le mal ? C’est son rôle, sa vocation, sinon il ne serait pas à la place où il se trouve. Certes, dans nos sociétés post-modernes, dire que l’on n’admet pas les divorcés remariés provoque la stupéfaction, mais (même si je ne pense pas comme lui) comment devait-il faire ? Adopter des valeurs religieuses à géométrie variable, dire que la règle admettait autant d’exceptions que l’on voudra ?
On dit que le pouvoir religieux est un pouvoir spirituel, don issu de l’esprit qui transcende le temps et ses aléas, ses variations. L’Etat, lui, agit dans le temps, hic et nunc. Oui, le temps, qui détermine tout. Or le temps n’est pas le même pour un chef religieux et un leader politique : les temporalités sont différentes : le religieux ou le spirituel se place d’emblée sub species aeternitatis, il apporte des valeurs et des principes qui, tout en transcendant le temps et l’espace, cherche à améliorer les réalités de ce bas monde et l’état de nos sociétés. Les systèmes religieux et philosophiques nous apprennent qu ce qui doit durer doit être dur et persistant. C’est la différence entre le transitoire et le permanent. Or les valeurs sont permanentes tandis que les aménagements et les compromis ne durent qu’un temps.
A Lourdes, enfin, nous avons eu droit à un sermon destiné à la communauté des croyants et c’est vrai que c’est de nature à heurter la sensibilité a-religieuse de certains. Mais le pape s’adressait alors à ceux qui ont foi en le miracle et en Dieu résurrecteur des morts. C’est une autre logique et le pape est à l’intérieur de son droit, dans la mesure où la république est laïque et les Français libres de choisir entre croire et ne pas croire.