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  • ISRAÊL VA-T-IL ATTAQUER L'IRAN?

     

     

    ISRAÊL ET L’IRAN
        Selon le journal israélien Ha-Aréts, relayé par Le Figaro de ce week end, Israël déploie de gigantesques efforts auprès des USA pour mettre sur pied une attaque combinée des sites nucléaires iraniens. Ils dont donc demandé aux Américains la fourniture de bombes perforantes puissantes, capables de percer des mètres et des mètres de bétons souterrain, les Iraniens ayant eu la prudence d’enterrer leurs sites secrets et de les disséminer à travers le pays, notamment dans des régions montagneuses. Les Israéliens souhaitaient aussi avoir de super avions Boeing pour le ravitaillement en vol de leurs chasseurs bombardiers afin de pouvoir rentrer sans encombre dans leurs bases. On ajoute même que Tsahal souhaitait avoir un couloir aérien au-dessus de l’Irak afin de raccourcir le trajet sans courir le risque d’être poursuivi par l’aviation américaine ni pris pour cible par les missiles sol-air…
        Les réticences américaines qui ne se sont pas soldées par un refus définitif, s’expliquent par la crainte de voir les Israéliens attaquer l’Iran sans rien demander à personne, comme ils le firent pour le site nucléaire Osirak sous la présidence de Ménahem Begin. Si les Israéliens agissaient seuls et mettaient leurs alliés devant le fait accompli, l’Iran exercerait, à l’instar de Saddam Hussein, de violentes représailles contre les intérêts américains dans la région, notamment les dizaines de milliers de G.I. et de marines, stationnées en Irak, au Qatar et dans d’autres Etats du Golfe.
        Ce refus américain est néanmoins accompagné de compensations importantes, la construction dans le désert du Néguev d’une station d’écoute et de surveillance de tirs de missiles avec une portée de plus de 2000 Km. Cette station serait permanente et desservie par du personnel civil et militaire américain. Ce qui signifie  qu’une attaque contre elle équivaudrait à une déclaration de guerre contre les Etats Unis lesquels réagiraient alors de la manière que l’on peut deviner.
        Deux questions, au moins, se posent : pourquoi faire paraître aujourd’hui ces informations alors que les relations militaires entre Israël et les USA sont toujours couverts par le secret-défense. Et enfin, les Israéliens vont-ils faire preuve de retenue ?
        Pour le premier point, il ne faut pas exclure une tentative d’intoxiquer l’ennemi et de rassurer l’opinion internationale. L’Etat hébreu mène ses préparatifs bon train et même le président Sarkozy n’a pas hésité à hausser le ton à Damas, pourtant allié des Mollahs, prédisant que si l’on n’arrêtait pas les démarches iraniennes par la négociations, Israël s’en chargerait par la force.  Et ce serait alors la catastrophe, a-t-il ajouté.
        Le second point ne fait que reprendre le raisonnement du président français : Israël agira seul ou accompagné par d’autres… La doctrine Begin est acceptée par tous les gouvernements d’Israël ; un régime qui menace publiquement et de manière réitérée l’existence même de l’Etat juif se verra attaqué avant qu’il ne mette sa menace à exécution.
    Je ne fais ici que décrire les forces en présence en souhaitant ardemment que l’on évite une déflagration et que la raison l’emporte. Prions tous pour la paix. Mais cela suffira-t-il à éloigner le spectre de la guerre qui pointe son nez à l’horizon ?
     

  • COMMENT LA BIBLE SAISITELLE L’HISTOIRE ?

     

     

    COMMENT LA BIBLE SAISITELLE L’HISTOIRE ?
        Deux excellents ouvrages de la collection Lectio divina des éditions du Cerf m’ont incité à me pencher sur cette question cruciale qu’est l’historiographie biblique. Comment écrit-on l’histoire, pour qui et pour quoi ? Les fondateurs de l’historiographie dite scientifique sont réputés être les Grecs Hérodote -qui nous parle des guerres médiques- et Thucydide qui relate, entre autres, la guerre du Péloponnèse. La civilisation occidentale repose non seulement sur Athènes mais aussi sur Jérusalem, c’est-à-dire sur ce berceau spirituel qui a donné à notre continent ses assises religieuses fondamentales, notamment la Bible hébraïque et les Evangiles. Comme ce second texte comporte des problématiques bien spécifiques, nous nous cantonnerons au premier dont l’influence est cruciale en raison de ses conceptions de l’histoire d’Israël, une histoire, comme l’écrivait Renan, pas nécessairement miraculeuse mais largement providentielle, c’est-à-dire accordant un rôle absolument déterminant au seul acteur majeur qu’elle reconnaisse pleinement, Dieu. Peu nous importe ce qui est placé derrière ce vocable, mais l’idée est que la conception biblique de l’Histoire universelle est placée sous les auspices de Dieu.
        Les deux ouvrages précités (Comment la Bible saisit-elle l’histoire ? et ensuite Les lois du Pentateuque par Olivier Artus) accordent une place centrale à un ouvrage qui a rénové la critique biblique depuis sa parution en allemand, La théologie de l’Ancien Testament de Gerhard von Rad dont une traduction française a été publiée à Genève (Labor & Fides,1957) et a connu maintes rééditions mises à jour. Voici une citation qui résume bien son propos : La foi d’Israël est entièrement fondée sur une théologie historique… Si l’on parle de faits historiques divins,, c’est évidemment ceux auxquels pense la foi d’Israël et non de ce que la critique historique moderne a obtenu comme résultats… La science historico-critique a édifié au cours des cent cinquante dernières années, un tableau imposant de l’histoire du peuple d’Israël. Au cours de cette évolution, l’ancienne image de cette histoire que l’église avait adoptée avec confiance, s’est décomposée pièce par pièce. Ce processus est irréversible et n’est d’ailleurs pas encore terminé. (ed. de 1962, p 98)
        Von Rad fait assurément allusion à ce qu’il nomme la Heilgeschichte, l’histoire du salut… A savoir que le déroulement de l’histoire, telle que nous l’offrent les récits de l’Ancien Testament, n’est pas un énoncé objectif des événements tels qu’ils se sont passés mais une vision, une conception de ces derniers, enchâssés dans un schéma théologique pré-établi, pour ne pas dire, préconçu. Il n’y a pas nécessairement une opposition irréductible entre l’histoire réelle et l’histoire du salut, entre vérité de réalité et vérité d’intention, mais il convient de ne pas les confondre car chacune vise respectivement autre chose…
        Si, comme on l’admet généralement aujourd’hui, l’exil et la destruction du premier temple ont fait l’effet d’une véritable bombe sur l’élite religieuse d’Israël, la seule à avoir échappé à la destruction ou à l’extermination (la classe militaire, la classe aristocratique et la classe sacerdotale proprement dite ayant été lamniées), les rescapés, encore animés d’une conscience religieuse et d’une fort sentiment d’appartenance, ont tenté d’obvier au désastre national en se voulant fondateurs d’identité et formateurs d’opinion… Ce qu’ils firent en rédigeant des livres entiers du Pentateuque ou en en retouchant plusieurs autres dont ils accentuèrent le trait religieux et sacerdotal. Cette entreprise, qui ne s’apparente nullement à des actions de faussaires, poursuivait deux objectifs : sauvegarder l’identité d’Israël, une identité exclusivement religieuse, apte à résister aux affres de l’exil, et maintenir vivante l’espérance de la nation en un avenir meilleur et en un retour prochain dans la terre ancestrale. Par ses scribes et ses érudits des Ecritures, Israël a donc construit son identité et réécrit son histoire. Il a fait de son Dieu l’acteur majeur de sa vie, le décideur de sa vocation et la référence ultime de son existence. Tout ce qui lui arrivait était soit une gratification soit un châtiment de ce Dieu national qui deviendra, sous l’impulsion décisive de ses prophètes, le Dieu de l’univers. Israël quittait désormais l’histoire des nations pour le domaine de la métahistoire. Tout le réel était perçu à travers ce prime du divin et de l’éternité.
        Ce décalage apparaît nettement si l’on essaie de rapprocher l’histoire donnée par les livres bibliques de l’histoire proprement dite de la Palestine.  En 1978, Hans Frei a publié un livre majeur quoique contesté par certains, L’éclipse de la narration biblique où il montre que l’image que se faisait l’exégèse patristique de la Bible et de ses récits s’est sérieusement effritée à la Renaissance pour disparaître complètement avec la démythologisation entreprise par  R. Bultmann. Frei parle de récits qui ressemblent à de l’histoire (history-like), car ils contiennent un noyau réaliste, sans que cela suffise pour leur conférer l’estampille historique. Toujours cette distance irréductible entre les faits rapportés et l’interprétation (théologique) que l’on a bien voulu en donner.
        Mais la thèse de von Rad peut être critiquée car elle se fonde presque exclusivement sur une opposition nette entre l’histoire confessée et l’histoire des historiens ; elle exclut aussi quantité de livres (notamment les Rois, l’ensemble de la littérature sapientiale et postexilique) de l’horizon même de l’histoire du salut.  Mais la structure d’ensemble de sa critique biblique demeure inentamée.
    Si on sait des choses à peu près fiables sur la vie d’Israël à l’époque du second temple, on n’en est pas là en ce qui concerne la période précédant la monarchie ou lui succédant immédiatement. Contrairement à la thèse de Julius Wellhausen et de ses disciples, un autre grand critique biblique, Martin Noth, pense que ce ne sont pas les rois, notamment Saül et David, qui ont jeté les bases de la littérature hébraïque ; selon lui, dèjà à l’époque des Juges, Israël avait réalisé une sorte d’amphictyonie, une alliance sacrée des douze tribus : ce ne sont donc  pas les ateliers d’écriture de la cour du roi David qui ont doté Israël de ses traditions religieuses, de ses institutions et de son culte. Il les avait déjà…
        Chacun sait que le Pentateuque était en fait un Hexateuque et que le cinquième livre, le Deutéronome, ainsi appelé car il se veut une sorte de récapitulatif des lois précédentes, a été rajouté peu avant l’exil qui frappa Israël au VIe siècle. Ce groupe de rédacteurs est généralement nommée l’école deutéronomiste et se signale par sa conscience religieuse aiguë et son ton d’exhortation. Deux historiens, John van Seters et Baruch Halpern, ont voulu considérer l’œuvre du Deutéronomiste (Josué, les Rois avec le Deutéronome comme introduction) comme une œuvre véritablement historiographique, en somme le Deutéronomiste serait le premier historiographe occidental… Pour ces deux historiens, le Deutéronomiste, tout comme les historiographes grecs, ont cherché à modeler le présent en rendant compte du passé. Au gré de Halphen, par exemple, les scribes de l’école deutéronomiste n’ont pas falsifié leur documentation, se contentant de la trier soigneusement afin de démontrer leur thèse, à savoir la présence d’une intention divine constamment à l’œuvre au sein de l’histoire d’Israël. Et pour parvenir à leurs fins, ils lui ont imposé une interprétation métahistorique.
        La différence qui sépare les historiens bibliques de leurs collègues grecs, si je peux dire, c’est que les premiers cherchent dans l’histoire les fondements de leur existence, alors que les seconds n’en ont cure. Les historiens hébreux ajoutent à leur histoire des explications d’ordre théologique ou cultuel, alors que les Grecs agissaient autrement ; le but, cependant, restait le même : renforcer une certaine conscience de l’identité juive ou hellénique, respectivement. C’est cette même volonté qui guidera les rédacteurs lors du tissage de la personnalité des trois patriarches dont l’historicité est plus que sujette à caution… Un mot d’Abraham. Laissons provisoirement de côté la question de son historicité et concentrons nous sur les  éléments les plus saillants de son personnage : comment faire cohabiter dans le même homme un être saint et un redoutable chef de guerre, un homme qui négocie avec Dieu le sort des deux villes pécheresses Sodome et Gomorrhe et qui, auparavant invente un subterfuge pour sauver sa vie en risquant de compromettre l’honneur de son épouse…
        On a vu plus haut que l’école deutéronomiste a accompli son effet dans plusieurs livres du canon biblique, et notamment le livre de Josué dont le caractère, largement fictif, semble avoir obéi à une volonté d’assurer une légitimité à la conquête d’un territoire connu sous le nom de Terre promise. Le caractère fictif de ce livre de Josué saute aux yeux en raison des preuves apportées par l’archéologie : le fameux chapitre 6 qui montre de façon détaillée comment les processions des prêtres, au son des trompettes, finirent par faire tomber les murailles de la ville de Jéricho. Mais le problème est que cette ville n’était pas fortifiée et que l’archéologie est formelle sur ce point… Y-at-il vraiment eu conquête des Hébreux ? C’est peu probable, il faut croire plutôt (voir infra) que des infiltrations progressives de tribus sémitiques ont eu lieu durant un laps de temps assez long et qu’on à, après coup, donné à ces incursions une sorte de sanction divine.
        Mais revenons, un instant, au principal patriarche, Abraham : Plus importante encore que l’existence ou pas d’une ville fortifiée sur le site de Jéricho ce personnage fut promu figure tutélaire, emblématique de l’humanité croyante et monothéiste.. Il aurait vécu vers 1850 avant l’ère chrétienne, mais des historiens, pourtant membres d’ordres ecclésiastiques, n’hésitent pas à dire que «historiquement et archéologiquement, Abraham n’a jamais existé.» Alors comment lui assigner une place dans l’enseignement du Talmud Tora ou de la catéchèse ? Comment faire sans cette pièce maîtresse dans l’économie de l’histoire du salut ?
        A la lumière d’une relecture des événements qui ont jalonné la vie de leur peuple, les dépositaires des traditions d’Israël ont sûrement idéalisé des personnages dont ils ont fait l’incarnation de certaines vertus essentielles à leurs yeux : cette trilogie patriarcale où un homme comme Isaac peine à trouver sa place et où il semble bien qu’on l’ait inséré après coup, est une fiction littéraire… Ce qui arrive à Isaac est presque toujours une copie conforme de ce qui est arrivé à son père Abraham. Et ce dernier  ne paraît pas être ni avoir été le plus important des trois patriarches.  Ce serait plutôt Jacob, qui a d’ailleurs donné son nom à tout un clan (les Bené Ya’akov) qui finira par fusionner avec les Bené Israël, car le changement de nom (de Jacob à Israël) n’est qu’une manière de masquer la fusion de deux ethnies différentes …
        Si l’on tentait de faire une présentation sobre, non religieuse, c’est-à-dire profane, de cette histoire d’Israël, voici, à peu de choses près, ce que l’on obtiendrait: Vers 1600 avant JC, quand l’Egypte est dominée par des rois d’origine sémite, des tribus, sémites elles aussi, venues de Palestine, s’implantent en Egypte. Vers 1250, ces groupes qui ont gardé leur mode de vie particulier sont embauchés pour les grands travaux du Pharaon et traités durement. Ils trouvent en Moïse un chef qui les fait sortir du pays, sans doute perturbé par une série de calamités.  Poursuivis par des soldats égyptiens, ils leur échappent en traversant une zone marécageuse, où les chars ennemis s’embourbent. Ils marchent longtemps au désert, avec un passage marquant dans la région montagneuse du Sinaï. Ils se nourrissent du lait de leurs troupeaux mais aussi de granules poussant sur certains arbustes (la manne). Enfin, ils rejoignent la Palestine où se trouvent des tribus apparentées avec lesquelles ils formeront le peuple d’Israël.
    Telle est la trame qui a servi aux rédacteurs lesquels l’ont insérée dans une nomenclature religieuse où Dieu guide et détermine jusqu'au moindre pas de son peuple. En effet, tous ces événements changent de nature lorsqu’on leur donne une signification religieuse : dans le livre de l’Exode, les faits nus sont un récit profane qui ne prend de coloration religieuse qu’après l’apport par Moïse du message de D- . Celui-ci devient alors l’acteur majeur de toute l’histoire, le D- sauveur qui, dans son insondable volonté éternelle, avait prévu de faire subir une telle épreuve à son peuple pour l’aguerrir et le préparer à son culte. C’est la réalisation d’un dessein divin, une présence de D- dans l’histoire.
        Qui dit histoire dit mémoire et par conséquent, temps. Les prophètes dont il a été jusqu’ici peu question parce que notre attention se focalisait sur le Pentateuque, furent sous cet angle, de véritables modèles dans l’art de façonner une certaine mémoire d’Israël qu’ils ne cessent de rappeler à ses devoirs. En se livrant à un tel exercice de mémoire, en donnant les patriarches en exemple, ils appellent un avenir qu’ils veulent meilleur pour leur peuple.
        Isaïe, par exemple, nous offre une belle parabole en son chapitre 28 ; 23-29. Ce passage semble être l’unique réflexion vraiment approfondie sur la philosophie de l’histoire. Cela vaut la peine d’en prendre connaissance tant les allusions à une sorte de projet divin affleurent : Prêtez l’oreille et entendez ma voix, soyez attentifs et entendez ma parole : est-ce tout le temps que le  laboureur laboure pour semer, qu’il ouvre et herse son terrain ?Lorsqu’il en a égalisé la surface, n’y disperse-t-il pas la nigelle, n’y répand–il pas le cumin ?Puis il met le blé, le millet et l’orge, et à la lisière l’épeautre. Son D- lui en inculqué la pratique, il l’a instruit. La nigelle n’est pas dépiquée au moyen du traîneau et on ne fait pas circuler la roue du chariot sur le cumin, mais c’est au moyen d’un bâton que la nigelle est soumise au battage, et le cumin au moyen d’une verge. Broie-t-on le froment ? Ce n’est pas indéfiniment qu’on le dépique : on met en branle la roue du chariot et ses chevaux, on ne le broie pas. Ceci aussi procède du Dieu des armées, il a un conseil merveilleux, il a une habileté immense.
        L’action sage et positive de D fait penser aux gestes calculés du laboureur ; cela sert aussi à une sorte de discours de la méthode définissant l’action, l’agir de Dieu. De même le laboureur intervient avec délicatesse, dispose sagement ses semences, D- prévoit ses événements et en mesure les répercussions dans l’histoire de l’univers mais aussi de son peuple. La parabole se termine d’ailleurs par un vibrant hommage adressé à la sagesse infinie et à l’ingéniosité incommensurable de Dieu. Nous avons affaire à la parabole la plus didactique de la littérature prophétique.
     Le chapitre 5 de ce même livre d’Isaïe nous offre une autre parabole du devenir historique, on la nomme le chant de la vigne : Mon ami avait une vigne sur une éminence dotée d’un gras terrain. Il la défonça, l’épierra et la planta de raisin vermeil. Puis, il bâtit une tour au milieu et y creusa également une cuve. Il espéra qu’elle produirait des raisins mais elle produisit du verjus. Maintenant, habitants de Jérusalem et hommes de Juda, jugez donc entre moi et ma vigne : que fallait-il faire encore pour ma vigne que je n’y ai fait ? Pourquoi ai-je espéré qu’elle produirait des raisins et a-t-elle produit du verjus ?
        Cette parabole du chant de la vigne nous présente un D-vigneron qui avait un plan et des espérances pour son peuple : en quelque sorte, l’inconduite d’Israël compromet gravement le dessein divin qui a tout fait pour que tout aille bien. Et c’est le contraire qui s’est produit…  Par delà la beauté esthétique de la parabole –Israël, vigne de prédilection du Seigneur- il faut noter l’indignation et la déception du maître de l’histoire qui, comme dans le cas précédent, cherche ses exemples dans le monde rural et agricole.
    La littérature prophétique nous montre aussi que le temps qui s’écoule n’a pas seulement pour effet d’exiler du passé, il donne accès à sa vérité, il permet de mieux le comprendre. Un peu comme s’il gagnait en relief, comme si le message transmis requérait encore du temps pour être enfin compris Le passé est donc susceptible de s’augmenter d’un sens que le présent lui découvre. Le prophète ne veut pas que l’espérance devienne infigurable. C’est ce qui donne aux imprécations prophétiques un aspect salvifique : ils mettent en perspective le salut du peuple si celui-ci veut bien s’amender et rejoindre le chemin que Dieu lui assigne.
        Or, ces mêmes prophètes furent eux aussi complétés ou révisés par d’autres rédacteurs, notamment de l’école deutéronomiste qui leur conférèrent une tournure plus religieuse, c’est-à-dire un peu moins éthique. Pour Martin Noth, cette historiographique dont nous avons parlé fut fin prête au milieu du VIe siècle, c’est-à-dire presque immédiatement après la catastrophe de l’exil. La principale raison de cette élaboration était d’expliquer la fin de Juda suivi du départ en exil et de rendre compte à la fois historiquement et théologiquement de la sanction divine contre l’apostasie du peuple. Une telle activité religieuse présuppose un regain d’activité littéraire qui est repérable dans la quasi-totalité de la région vers les VII-VIe siècles.
        Aux VIIe-VIe siècles, la majeure partie des grands textes est consignée par écrit ; certains connaîtront des remaniements supplémentaires ou quelques ajouts, mais l’essentiel est fait. Certains textes portent la marque du rédacteur deutéronomiste comme Josué 23, I Sam. 12, I Rois 8, II R. 17, II R. 22-23. Arnoldo Momigliano a mis en évidence les différences  des historiographies de l’Antiquité : la préférence d’Hérodote pour le récit sur la critique,  l’histoire politique avec Thucydide, l’analyse des caractères et des passions politiques chez Tacite, la correspondance des faits et des dogmes chez Eusèbe, la distinction entre les «antiquaires», capables de mettre au jour ce qui relève du structurel, et les historiens plus attentifs à mesurer les changements.
    On a vu plus haut que la construction du passé relevait d’une quête identitaire en temps de crise. Or, chaque histoire nationale ou religieuse tente de s’identifier à des figures idéales qu’elle situe à son fondement ou à ses origines. Mais il ne faut pas confondre vérité et origines, lesquelles peuvent être plurielles, comme on le verra pour la constitution de la mémoire collective d’Israël : plonge-t-elle ses racines dans l’histoire légendaire des patriarches ou bien dans le mythe exodique, la sortie d’Egypte ? Certains textes bibliques ont opté pour un mélange des deux…
        Pour être prises au sérieux, les origines doivent être vraies au sens de l’historien et non point hagiographiques. Or, la Tora mêle aux textes législatifs des récits narratifs qui nous informent sur les origines d’Israël avant la monarchie. Deux livres renferment ces origines ; la Genèse et l’Exode. Mais peut-on reconstituer à partir de nos sources les origines pré-monarchiques d’Israël, les patriarches, la sortie d’Egypte, l’installation en Terre sainte etc… ? Par exemple, la conquête eut-elle vraiment lieu, comme le prétend le livre de Josué, ou s’agit-il, plutôt, d’infiltrations progressives de tribus qui en rejoignaient d’autres, issues de la même origine et déjà installées sur place ? On en sait tout juste un peu plus à partir des Ve-VIe siècles, Jérusalem, par exemple, ne devient relativement importante qu’à partir du VIIe.
        La Bible renferme deux groupes de documents susceptibles de nous aider : l’ennéateuque ( (le Pentateuque et les premiers prophètes) d’une part, et les deux livres des Chroniques, d’autre part. Les rédacteurs bibliques ont disposé leur œuvre de telle façon qu’on puisse la lire suivant un ordre chronologique ; par exemple, le livre de la Genèse retraçant l’origine du monde et la vie des patriarches était censé passer devant, être plus ancien que le livre suivant, l’Exode, et lui servir, en quelque sorte de prologue. Or, ce n’est pas le cas : le mythe des patriarches, d’une part, et le mythe de l’Exode, d’autre part, étaient à l’origine indépendants l’un de l’autre, voire concurrents. Quand on lit les passages de la Genèse parlant de la Terre promise (23 ; 14-17) (28 ;13) on pense à une prise de possession pacifique, mais le ton change du tout  au tout dans l’Exode. Un autre indice insinue dans la même direction, à savoir que l’agencement des livres fut une œuvre plus tardive : lorsque Moïse parle de la terre de promission il en parle comme s’il n’en avait jamais été question auparavant, donc sans présupposer de prologue patriarcal (Ex. 3 ;8). Ce qui montre bien que nous avions affaire à deux mythes, deux traditions qui se sont développées l’une sans l’autre, jusqu’au jour, où, comme le verra infra, l’école deutéronomiste a tenté de les unifier.
    Une preuve supplémentaire nous est fournie par maints Psaumes et autres récapitulatifs historiques d’Israël, lesquels commencent par la sortie d’Egypte et ne mentionnent pas les patriarches. Les Psaumes 74, 106, 114 et tout particulièrement le Ps. 136 qui, après  avoir rappelé les exploits divins de la création, passent sans transition à la sortie d’Egypte. Même la littérature prophétique nous aide sur ce point avec le chapitre 12 du livre d’Osée qui illustre bien l’indépendance des deux mythes. Mais nous ne savons pas bien dater ce chapitre crucial pour notre affaire.
    Comme on le laissait entendre supra, la main du rédacteur sacerdotal  est nettement perceptible en Exode 6 ; 3-4  qui fait le lien entre les deux mythes  puisque D- se présente à Moïse en ces termes : Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob  comme El Shaddaï, mais par mon nom Tétragramme je ne me suis pas fait connaître d’eux. Puis, j’ai établi mon alliance avec eux pour leur donner le pays de Canaan,, pays de leurs migrations où ils étaient émigrés. Enfin, j’ai entendu la plainte des fils d’Israël, asservis par les Egyptiens, et e me suis souvenu de mon alliance. C’est la dernière phrase qui trahit le raccord : les patriarches ont vraiment joué le premier rôle et Moïse est chargé de guider un peuple pour concrétiser la promesse qui leur avait été faite. Ainsi Moïse succède aux patriarches de la Genèse alors qu’au début de l’Exode il n’est guère fait mention de ces ancêtres oubliés…
        En décrivant par la racine GUR (éréts méguréhém asher garu bah) le séjour des patriarches en Canaan (Ex. 6 ;4) le texte donne à la promesse du pays de la Genèse une connotation eschatologique et transforme ainsi l’histoire des patriarches en un prologue de l’épopée exodique.. C’est évidemment le milieu sacerdotal qui a tenu à harmoniser les deux traditions. Cette harmonisation est tardive et ne remonte pas plus haut que l’exil babylonien. C’est donc l’exil qui a accéléré le processus et l’a rendu en quelque sorte nécessaire. L’exil a fait prendre conscience à Israël de la précarité de son existence et de la gragilité de sa vocation, s’il venait à être dispersé parmi les nations.
        Il fallut élaborer la tradition patriarcale en distinguant plus ou moins nettement entre trois personnalités Abraham, Isaac et Jacob. Le premier et le troisième semblent avoir plus de consistance littéraire et hisorique ( ?) que le second qui semble revivre les mêmes aventures de son père… Ce qui affaiblit  considérablement son historicité. C’est à Jacob, le père des douze tribus, que revient la grande geste patriarcale qui domine tout le livre de la Genèse avec l’épopée de son fils Joseph. On se demande si la triade n’était pas plutôt Abraham, Jacob (dont le nom deviendra Israël) et Joseph. Abraham est la figure patriarcale du nord, Jacob celle du sud.
        La figure patriarcale la plus ancienne est celle de Jacob ; au fond, c’est d’elle que tout dépend. C’est aussi ce patriarche qui devient à lui seul l’équivalent de tout Israël. Et contrairement à Abraham, le nom de Jacob apparaît très fréquemment  en dehors du Pentateuque, souvent comme une désignation  du royaume d’Israël. Il semble donc que la grande geste de Jacob était très connue, plus connue en Israël que tout le reste. Contrairement à l’histoire d’Abraham, la geste de Jacob comprend la panoplie complète du héros : départ du clan familial, exil dans un autre clan où il fait carrière, retour difficile dans sa patrie . Comme on ne peut dater avec certitude le chapitre XII d’Osée (voir supra), on ne peut pas affirmer que la geste de Jacob remonte vraiment au VIIIe siècle.
    Ce cycle idéal de Jacob voulait peut-être redonner espoir aux exilés du royaume du nord, tombée en -722 et les aider à préserver leur identité dans le grand empire assyrien. Contrairement aux textes portant sur Abraham qui varient entre le VIe et le IIIe siècles, les textes se référant à Jacob remontent à une époque plus ancienne… Et en Ezéchiel 33 ;24 Abraham apparaît seul, sans filiation vec les autres patriarches. La quasi totalité des textes e la Genèse portant sur Abraham proviennent de la période babylonienne et insistent sur l’origine cananéenne d’Abraham et de sa descendance. C’est peut-être une exhortation aux populations demeurées en Judée après l’exil et la captivité. .
        On a vu ce qui se passe avec le patriarche du nord et celui du sud, quid de Joseph qui symbolise l’homme resté en diaspora où il réussit, fonde une famille et s’acquiert une très haute position ? L’épopée joséphienne n’est pas san rappeler le sort de Daniel, voire d’Esther qui, tous trois, restent fidèles à leur tradition religieuse tout en cohabitant avec des étrangers. Le roman de Joseph est sans doute un produit de la diaspora égyptienne.
    Quand la Bible parle d’histoire, il use souvent du terme toledot qui suppose une identité via la généalogie. Ce détail philologique a toute son importance surtout lorsque l’endogamie aura forced e loi en Israël.
        Après l’origine patriarcale, passons à l’Exode  et à l’origine mosaïque. Moïse, contrairement aux autres (les patriarches) n’est pas un ancêtre ; certes, il a deux fils mais  sa descendance ne joue aucun rôle ni durant sa vie ni après sa mort. En outre, on retrouve l’un de ses fils qui devient prêtre d’un temple d’On en Egypte…On peut dire, cependant, que le livre de l’Exode commence avec sa naissance et le Deutéronome se termine avec sa mort, ce qui fait du Pentateuque une sorte de biographie de Moïse… Et pourtant, quand on scrute l’histoire de l’Exode, on se rend compte que c’est D- lui-même qui prend en main les opérations, ce qui conduit à se demander s’il n’y eut pas antérieurement une histoire de l’Exode sans Moïse.
        Un mot de la Vita Mosis : comme le roi Sargon d’Akkad, Moïse a une naissance de héros. On a l’impression que les rédacteurs ont voulu à l’époque néo-assyrienne donner au fondateur du peuple hébreu le même pédigrée que le fondateur de la dynastie assyrienne : comme la mère de Sargon, la mère de MoÎse est de la caste sacerdotale. Dans un cas comme dans l’autre, la mère agit seule ; l’enfant est abandonné dans une corbeille au caprice des flots ; il est recueilli par des personnalités fort importantes, la fille de Pharaon.  Le texte fut peut-être écrit sous le règne du roi Josias puisque certains traits du monarque y font penser : Moïse brûle  le veau d’or comme Josias en II R. 23 brûle les idoles des divinités étrangères. Cependant, la figure de Moïse prend toute son importance lorsque , vers la fin de la période babylonienne et le début de la période perse,  la caste sacerdotale voit en lui le chef incontesté du peuple, cumulant toutes les fonctions aujourd’hui disparues en raison de la défaite et de la déportation.
    Notons que l’origine mosaïque permet une sorte de choix, une décision vocationnelle et non plus une filiation basée sur la descendance. L’opposition entre l’autochtonie et l’exode n’est pas insurmontable ; on peut parler d’une autochtonie venue d’ailleurs, comme le fait Marcel Détienne. Certains détails de la biographie de Moïse ne sont pas sans rappeler un peu le cas de Jacob ; il quitte son clan, se marie après une rencontre près d’un puits, est obligé de se sauver, subit une agression nocturne par D- sur le chemin du retour. Il n’est pas impossible que les rédacteurs ont partiellement claqué une histoire sur l’autre.
    Nous avons vu comment les deux traditions de l’origine se sont constituées sur le plan littéraire à partir de l’époque assyrienne, comment elles furent retravaillées et finalement combinées durant l’époque babylonienne et la période perse. Quant aux patriarches, il faut retenir que ce sont des figures légendaires (le talmud lui-même les interprète allégoriquement en disant que ha-avot hém hém ha-merkaba) : les patriarches sont le char divin… elles échappent à l’historien.
        Pourrons nous arriver au Moïse historique, mais a-t-il seulement existé ? L’analyse des deux séries de textes le montre : il y aune identité généalogique et une identité vocationnelle. Or, la plupart de ces textes furent écrits pour répondre à des crises identitaires. I faut savoir en faire le meilleur usage possible usage.
        Le canon de la Bible hébraïque admet le nombre de 24 livres. Et parmi les cinq rouleaux bibliques, celui d’Esther revêt une importance toute particulière et occupe une place originale. Il émane sûrement d’un juif hellénisé qui écrivit une histoire perse avec les yeux d’un Grec.  Les Grecs ont toujours été fascinés par la Perse.  Hérodote, Xénophon et Ctésias ont été en contact avec ce monde perse (guerres médiques). On a l’impression que la connaissance des mœurs et des pratiques perses contenues dans le rouleau d’Esther viennent tout droit de livres grecs.
    Voici quelques éléments qui incitent à admettre ce postulat : l’assimilation des Perses et des Mèdes (paras u-maddaï). L’organisation de la fiscalité et des satrapies (be-khol medina u-medina, kol ‘am wa’am ki-leshono) ; les postes royales et les messages (ha-ratsim yatsu dehoufim) ; les décrets multilingues destinés aux différentes satrapies. Le groupe de sept hauts fonctionnaires (ha-partémim wé-saré ha-medinot)  qui créent le conseil autour du roi. La présence des eunuques (ha-sarissim) à la cour du roi, l’ivresse provoquée par les banquets royaux. (ki-tob lev ha-mélékh ba-yayin)
    Il y a un parallélisme entre la vie d‘Esther et celle d’Aspasie dans  l’Histoire variée d’Elien : tant Esther qu’Aspasie sont porteuses de valeurs étrangères et parviennent cependant à s’affirmer dans la cour d’un roi perse.
        L’idée de faire une festivité pour marquer la chute de l’ennemi et l’organisation d’un massacre trouvent aussi leur pendant chez Hérodote qui relate un événement comparable, le massacre des mages par les Perses ; la magophonie. Esther 8-9 où la reine Ester demande qu’on laisse les juifs avoir raison de leurs ennemis un jour supplémentaire… rappellent certaines tueries effectuées par les Perses suivant le même procédé. Tous ces éléments permettent de penser que le rouleau d’Esther est une œuvre littéraire influencée par la culture grecque et que ce sont des juifs passablement hellénisés qui ont tenu la plume… Mais les auteurs n’ont probablement jamais observé la cour du roi perse de si près ; tous ces détails lus dans le rouleau biblique font penser à la façon dont les Grecs se représentaient la cour et l’empire perses en général. Les auteurs juifs du rouleau d’Esther s’en sont inspirés, à moins que toute ne trompe.
        Au plan de l’historiographie, on trouve que les livres d’Esdras et de Néhémie se  rapprochent beaucoup de l’historiographie grecque.  Mais on trouve clairement en Esther certains procédés historiographiques hellénistiques  comme le souci d’expliquer certaines coutumes étrangères pittoresques (2 ;12-14 ; 4 ;1). Par exemple, le terme patchegen est traduit en hébreu par ha-ketab (la copie) etc…, un intérêt considérable pour les documents d’archives. Mais il y a plus, certains thèmes ainsi que l’ambiance générale rappellent des thèmes similaires chez Hérodote, Xénophon et Ctésias : la fille de Jephté (Juges 6-8) le thème de Sanson ( (Juges 13-16- renvoient un peu aux mythes d’Iphigénie et de Héraclès. L’ascension d’Esther à la cour du roi perse fait penser à Aspasie d’Elien…
        On ne commet donc pas d’erreur grave ni d’anachronisme en déclarant que les auteurs du rouleau d’Esther connaissaient assez bien la littérature classique.
    Mais au sein même de la Bible, on pourra relever que le thème d’Esther n’est pas très éloigné de celui de Joseph et de Daniel avec ses compagnons : tous sont des juifs en exil, vivant en diaspora qui jouissent de ses opportunités mais affrontent aussi ses risques. Les premières moutures ou versions du livre d’Esther laissent penser que seuls des juifs de la diaspora ont pu tenter une telle synthèse entre un regard juif et un regard grec sur le monde… Néanmoins, certains détails sont peut-être parvenus plus tardivement dans la rédaction fianle du texte, comme celui du massacre des ennemis d’Israël, un traitement qui évoque plus les méthodes des Maccabées que celles de juifs hellénisés.
    Que retenir, en conclusion de ce riche volume dont chaque contribution brille par une remarquable qualité ? A l’époque du second Temple, la mémoire collective, les fêtes commémoratives expliquent l’abondante production historique depuis les livres de Esdras-Néhémie jusqu’aux Antiquités Juives de Flavius Josèphe. Dans cette société juive qui n’a pas produit d’historiens, la mémorisation du passé s’appuyait sur des récits mythique personnalisés, sur la transmission de noms célèbres de familles princières.  Il est vraisemblable que l’historiographie cherche à imiter des traditions mésopotamiennes où furent élaborées, au cours du IIIe millénaire, les genres de la chronique, des annale, de la biographie, qui cherchent à reconstruire le passé.  Le même effort de réécrire l’histoire s’observe dans l’Egypte pharaonique de la même époque.
    On a vu supra que les livres bibliques se réclament souvent d’œuvres comme le Sefer ha-Yashar, le Sefer Milhémot ha-Shem ou les annales et chroniques royales de Juda… Ils s’en sont donc serrvis comme de sources. Où étaient entreposées ces parchemins, dans le temple de Jérusalem ou ailleurs ? Circulaient-ils, faisaient-ils l’objet de prêts ou d’autres formes de communication ? A l’époque d’Esdras ( 458, 428 ou 398 ?) le texte du Pentateuque est en principe déjà codifié…
    L’historiographie juive s’est constituée au carrefour de plusieurs traditions : les Achéménides avaient fourni des matériaux mais guère de modèles littéraires : c’est un mélange de procédés grecs et babyloniens auxquels nous avons affaire car les annales perses ne visent pas le passé mais cherchent à magnifier la dynastie régnante qui se trouve parée de toutes les vertus.
    L’historiographie maccabéenne agit autrement, elle idéalise des figures célèbres en en faisant l’incarnation de certaines vertus :  Abraham incaerne la constance de la foi dans l’épreuve ; Joseph l’adéquation du pouvoir politique aux commandements divins ; Phinéas, le zèle religieux ; Josué, la réalisation de la parole divine, Caleb, le témoignage de la vérité, David, une pieuse compassion,, Elie , le zèle pour la Tora, les trois jeunes gens dans la fournaise ; la foi absolue en Dieu ; Daniel, la parfaite victime innocente…
    En résumé de cette longue rétrospective, on dira que la mémoire historique juive est donc fragmentaire ; elle est conçue dans sa dimension religieuse comme une construction providentielle et non dans un cadre chronologique suivi…
    Est ce le point de départ de la littérature juive est l’exil ? Exclusivement ?  Ce n’est que partiellement vrai. C’est peut-être Dieu qui détermine l’histoire mais ce sont les hommes qui l’écrivent ou la réécrivent. Distinguons donc entre la réalité de vérité qui ne nous appartient pas et l’intention de vérité. Qui agit en nous sans que nous le sachions toujours.

    Comment la Bible saisit-elle l’histoire ? Paris, Cerf, 2005. Coll. Lectio Divina
     

  • LE PAPE À L’ÉLYSÉE

     

    LE PAPE À L’ÉLYSÉE

        Il convient de dire un mot des discours proprement dits des deux deux orateurs, le président Sarkozy et le pape Benoît XVI. Le président français a commencé par définir la notion même  de culture pour en conclure que la Fran ce était célèbre pour la sienne dans le monde entier et que celle-ci était pétrie de notions et de valeurs chrétiennes, puisque au cours de plus de dix-huit siècles  l’histoire intellectuelle de l’Hexagone avait été intimement mêlée à celle de la religion chrétienne.
        Il a ensuite axé son propos sur la notion de souffrance qu’une institution comme l’Eglise avait pour vocation d’alléger et de guérir. A cela il ajouté la question des valeurs, au premier rang desquelles il a placé la dignité humaine, une qualité que l’église a tenté de préserver (avec des hauts et des bas, ajouterais-je) au fil des âges. Le président a ensuite fait une sorte d’application pratique de ces valeurs, communes aux deux, c’est-à-dire à la religion comme à l’éyjique républicaine, en insistant sur le fait que les gouvernants essayaient toujours de répondre de leur mieux aux besoins et aux préoccupations de la nature humaine.
        Et la spiritualité en est une… Ceux qui ont assimilent la spiritualité à la religion et en tirent prétexte pour s’en méfier ont tort et commettent un acte déraisonnable. Ainsi, le président introduisait l’héritage de la raison et du siècle des Lumières. Souvent, ceux qui s’opposent à cet infléchissement de la politique en matière de laïcité, accusent leurs adversaires d’ignorer l’héritage des Lumière. En fait, ils ont des idéaux des Lumières une vue très réductrice puisque, sans le savoir vraiment, ils les réduisent au seul Voltaire qui a, de l’aveu de beaucoup, (de Renan, notamment) , a fait preuve d’une grande inintelligence en matière historique . Mais l’auteur des Souvenirs d’enfance et de jeunesse ajoutait que si Voltaire avait fait de la mauvaise exégèse biblique (incrédulité railleuse, ridiculisation des héros de la Bible etc…) c’est tout de même grâce à lui qu’on peut en faire une bien meilleure…
        Lorsque le président a parlé devant nous de la tentative des gouvernants de s’inspirer des mêmes valeurs spirituelles que l’Eglise au profit de l’homme… C ela revient à dire ce que Carl Schmitt disait dans son célèbre ouvrage Politische Theologie (Théologie politique) que la plupart des thèmes politiques n’était que des théologoumènes sécularisés… Et pourquoi pas ?
        Nicolas Sarkozy a ensuite souligne les racines judéo-chrétiennes de la France (c’est exactement ce qu’il a dit)  tout en soulignant que les conditions étaient pour que d’autres confessions puissent avec nous en paix sur notre territoire. A ce stade, il a fustigé l’intolérance de certaines religions à l’égard de la religion chrétienne. Et pour finir, le président a cité une très belle phrase de frère Christian, l’un des moines «lâchement assassinés» de Tibérine. En effet, ce moine avait dit avec beaucoup d’émotion que l’Islam et l’Algérie étaient aussi unis que le corps et l’âme, coupant court aux soupçons de prosélytisme régulièrement articlés car les représentations chrétiennes en pays musulman… C’est là-dessus qu’il a conclu son propos en s’adressant maintes fois au pape par la très formule très saint père, vous êtes le bienvenu en France.
        Je ne pourrais pas rentrer dans le détail de la réponse du pape, mais la tonalité est la même puisque le discours était d’une facture théologico-politique et non point rigoureusement religieuse. Le pape a rappelé que l’église respectait l’Etat et sa législation mais a aussi dit tout le bien de la formule du chef de l’Etat, laïcité positive. Certains esprits dits forts se sont gaussés de cette précision qu’ils font mine de ne pas comprendre ! Mais c’est admettre que tout ici-bas est soumis aux lois de l’évolution historique, excepté la laïcité qui serait alors une véritable religion intouchable avec ses dogmes intangibles et ses prêtres intraitables. C’est une véritable contradictio in adjecto : un Etat, même laïc, ce qui est le cas, a le droit d’avoir une politique religieuse…
        J’étais à l’Elysée, j’étais aux côtés d’André Damien, président de l’Académie des Sciences Morales et Politiques qui me disait qu’il recevait le pape le lendemain à l’Institut mais une grande partie des membres de l’Académie des sciences avaient prévenu qu’ils ne viendraient pas pour un représentant religieux… Je laisse aux lecteurs le soin d’en juger.
        C’est presque en s’excusant que le pape a rappelé les racines chrétiennes de la France, se souvenant probablement que les précédents gouvernement s’étaient opposés aux Allemands qui préconisaient de noter dans le préambule de la Constitution de l’Europe l’adjectif geistig-religiös (spirituel et religieux)…
        Sous un tonnerre d’applaudissements, le pape a lancé, pour finir, :Que Dieu bénisse et tous les Français.