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  • PIE XII ET ANNE FRANK

     

    PIE XII ET ANNE FRANK
        Parfois, les hasards du calendrier font bien les choses… Ce mardi, il y eut sur France 2, une très belle émission évoquant le calvaire d’Anne Frank et de sa famille. ET c’est la masse de choses à régler tant à Genève qu’à Paris qui m’a contraint de surseoir à la rédaction d’un petit article sur Anne Frank, cette petite fille juive née en Allemagne mais dont le père, Otto Frank, avait décidé d’émigrer en Hollande, à Amsterdam, après la prise du pouvoir par Hitler. L’histoire est rrop connue pour qu’il soit nécessaire d’y revenir.
        Et parallèlement à cela, voilà que le Vatican organise une grande messe à la mémoire d’un pape un peu contesté de cette même époque, Pie XII, qui se voit reprocher une certaine inertie ou une  action insuffisante à l’encontre des Nazis. Je préfère être prudent car la question est très discutée : les uns allèguent que l’encyclique  (que je connais dans sa version allemande : mit brennender Sorge) n’allait pas assez loin, que le pape aurait dû dénoncer publiquement et fermement les intimidations politiques et ensuite les meurtres, les assassinats et, pour finir, les camps de la mort,  tandis que d’autres prétendent qu’il a fait ce qu’il a pu, que l’on ne pouvait guère faire plus face à un tyran sanguinaire, atteint de folie meurtrière, et que même Golda Méir, alors ministre des affaires étrangères de son pays, Israël, avait, en quelque sorte, rendu hommage à l’action de ce peuple, lorsque le peuple juif traversait le plus grave de ses calvaires…
        Mais cet avis ne semble pas unanimement partagé puisque même le grand rabbin de Haïfa, Shear-Yashuv ha-Cohen, présent au synode  des évêques, n’est pas d’accord et trouve injustifié la démarche du pape Benoît XVI en faveur d’une béatification…
        Que dois-je en penser ? Franchement cette période noire de l’histoire de l’Europe et de l’humanité dans son ensemble, comporte parfois des zones  mystérieuses, où le clair et l’obscur cohabitent intimement. Sans condamner le défunt pape, je trouve qu’il n’en a pas assez fait car, né bien après la fin de la guerre, je suis habitué à d’autres réactions face aux entreprises génocidaire. Mais avec une nuance de taille : ce pape là vivait à une époque où les relations judéo-chrétiennes étaient très tendues, où l’on nourrissait l’espoir, non point secret mais bien publique, de voir les juifs reconnaître enfin la messianité de Jésus…
        C’est toute la question : une certaine idéologie produit toujours les mêmes effets. Changez l’idéologie et les effets seront différents… Ma respectueuse considération pour Benoît XVI et les liens d’amitiés que j’entreprends avec certains princes de l’église au Vatican me commandent de ne pas en dire plus. Mais je fais confiance à la haute conscience morale de ces hommes qui ont voué leur existence à l’amour de Dieu et au respect de toutes ses créatures.
     

  • André Chouraqui ou une vie sous le signe de la grâce…

     Après le décès du grand écrivain ANdré CHIURAQUI, sa veuve Annette m'a prie de donner un texte de souvenir du grand homme. Ce texte est paru dans un périodique de l'Université Hébraïque de Jérusalem. Je le donne en lecture à nos internautes de la Tribune de Genève. PE.

     

            André Chouraqui ou une vie sous le signe de la grâce…

                  Ce fut un don du Ciel de rencontrer un être aussi charismatique qu’André Chouraqui ! J’ai tenté de me souvenir du contexte au sein duquel j’entendis prononcer son nom pour la première fois. Hormis les journaux parlant soit l’Alliance Israélite Universelle, soit d’Israël et de la ville de Jérusalem. Ce fut, si ma mamoire ne me trompe, de la bouche de mon maître Georges (Yehuda Aryé) Vajda, l’éminent spécialiste de la philosophie médiévale juive, notamment judéo-arabe. Vajda évoqua devant mes condisciples et moi-même le nom d’André Chouraqui, traducteur de l’Introduction aux devoirs des cœurs de Bahyé ibn Paquda de Saragosse…  Je revécus cet épisode plus de trois décennies plus tard, lorsque André et Annette, devenus nos amis, me remettait une réédition superbe de sa belle traduction française de ce grand moraliste juif du Xe siècle dont l’œuvre maîtresse continue d’être présente dans toute bonne bibliothèque…
             Vajda n’était pas toujours d’accord avec cette traduction si bien menée ; en sombre philologue judéo-hongrois qu’il était, il privilégiait nettement les traductions claquées sur l’original, la langue française dût-elle en souffrir gravement. Mais je savais qu’une profonde amitié unissait ces deux grands hommes que j’admirais déjà.  Au cours du dîner mentionné supra, André me narra certains épisodes de sa vie avec Vajda et quelques autres, durant la geurre au Chambon sur Lignon. De son côté, mon maître Vajda me fit quelques confidences lorsque je devins professeur des universités et après que j’avais soutenu mes thèses… Il me confia que André lui avait un cadeau, la Bible de Stuttgart éditée par Rudolf Kittel et Paul Kahle. Il ajouta même, je m’en souviens :  c’est le genre de cadeau que l’on n’oublie pas…
            Quant à André, lorsqu’il présenta sa traduction de la Bible dans une belle tribune du journal Le Monde, il écrivit, parlant de la traduction d’un verset du Cantique des Cantiques (u-lekhi lakh) : et le plus érudit d’entre nous, Georges Vajda opte pour la version suivante : et viens t’en…
                Enfin, il y eut la participation d’André à ma propre formation intellectuelle, comme à celle, d’ailleurs, de centaines de milliers d’étudiants et de lecteurs francophones de ses Que sais-je ? sur La pensée juive et l’Etat d’Israël. 
          Mais ces évocations sont loin d’épuiser le sujet ; mais comme on ne peut pas tout dire, il faut se limiter à l’essentiel. Notre première rencontre se fit dans un cadre très spécifique : Dans le cadre de ses anciennes fonctions à l’AIU, André avait eu à diriger la collection SINAÏ aux Presses Universitaires de France… Comme toutes les collections portant sur le judaïsme, cette série, si prometteuse à l’origine,  cessa de produire des publications nouvelles. Devenu moi-même dès 1983 le directeur de la collection Patrimoines-Judaïsme, j’envisageai alors de reprendre les volumes de la Social and Relgious History of the Jews déjà parus dans la collection SINAÏ et d’en poursuivre la traduction française…  C’est ce projet qui me permit de rencontrer André pour la première fois dans son appartement de Neuilly sur Seine. Le projet n’aboutit jamais, faute de moyens, mais cette rencontre fut pour moi une révélation : cet homme que je considérais alors comme l’un des pionniers de la reconstruction d’un judaïsme français était là assis à m’écouter et à me prodiguer des encouragements.
        Comme je lui avais apporté un exemplaire des deux volumes de mes Lumières de Cordoue à Berlin, il m’interrogea longuement sur ce qu’il qualifiait de tropisme germanique… Pourquoi, me dit-il, un brin provocateur, êtes vous devenu un  Maghrébin germaniste ?  L’expression me parut un peu cavalière et produisit sur moi un effet  peu favorable… Mais tel était le but recherché par André ; et lorsqu’il me montra le bel compte-rendu de ce livre qu’il destinait au Figaro, j’eus les plus grandes peines du monde à lui faire barrer cette mention de Maghrébin germaniste…
        Après cet épisode, nous nous revîmes en famille et nos relations devinrent franchement cordiales.
          Je souhaite à présent dire un mot de l’auobiographie d’André que je dévorais et dont je rendis même compte jadis, à la fois dans L’Arche et dans le Mondes Livres. Ces mémoires sont exemplaires et paradigmatiques à la fois car elles permettent à chaque juif natif d’Afrique du Nord et réimplanté en France métropolitaine de revivre ses propres expériences, son vécu, à travers celui d’André. C’est un peu l’histoire de la rencontre entre l’identité juive et la culture européenne.
               
    D'Aïn-Temouchent à Jérusalem, tel pourrait bien être la trame principale de cette volumineuse mais si attachante autobiographie d'un homme dont l'histoire personnelle se confond presque avec le judaïsme de notre siècle. Né en 1917, année de la Déclaration Balfour, ainsi qu'il le souligne lui-même, André Natan Chouraqui  -qui tient beaucoup à son prénom hébraïque-  est originaire d'un monde qui n'est plus et qui jamais ne ressuscitera. C'est un peu Le monde d'hier (Die Welt von gestern) de Stefan Zweig, un monde englouti par l'Histoire, par l'oubli d'où l'auteur l'a opportunément sorti et sauvé. Enfin, cette œuvre, plus de cinq cents bonnes pages écrites avec cœur et chaleur, se lit presque d'une traite sans jamais se lasser, tant l'auteur a su éviter les pièges de l'introspection et du récit intimiste.
    André Chouraqui nous parle de son Algérie natale qui l'a vu naître et qu'il a tant aimée, lui qui traduisit les documents sacrés des trois grandes religions, juive, chrétienne et musulmane. La société coloniale est, certes, critiquée et l'auteur n'a jamais repris à son compte, tout sioniste qu'il soit, le moindre racisme anti-arabe qui fut longtemps le discutable apanage des pieds-noirs. La société juive qu'il dépeint est encore inentamée, marquée par un attachement sourcilleux aux traditions, scandée par les trois prières quotidiennes et par l'observance scrupuleuse des règles du chabbat. Les portraits brossés par André enfant sont pétris d'émotion et d'amour. Je pense même  -et ce sont les nombreuses références de l'auteur lui-même à cette triade que constituent à ces yeux la Bible, le Talmud et la kabbale-  qu'une phrase placée dans la bouche de rabbi Siméon ben Yohaï résume admirablement son propos: ana ba-havivuta talya milleta  : pour nous, tout tient à l'amour! Cet amour qui a même donné son titre à cette autobiographie , L'amour fort comme la mort  (Cantique des Cantiques 8; 6).
    Et pourtant, le livre s'ouvre par une profonde réflexion sur la mort. Des considérations graves mais point maussades nous présentent un André Chouraqui conscient de ce que l'aventure humaine ne peut déboucher que sur la mort, une mort dont le corollaire semble bien être la résurrection, une sorte de passage obligé avant de renaître à l'éternité: des êtres qui n'ont jamais été aussi vivants que depuis leur mort… écrit l'auteur! 
    Le lecteur doit savoir que ce prélude sur la mort fraye la voie vers la vie: ne lira-t-il pas avec quelque étonnement l'épitaphe que l'auteur a lui-même écrit: mort de joie?! Une telle inscription n'étonne plus lorsque l'on prend connaissance de la paralysie qui frappa le tout jeune adolescent, momentanément privé de l'usage de certains membres qu'il retrouvera, cependant, à force de volonté et de persévérance. Mais cette infirmité n'avait pas atteint les facultés intellectuelles de l'enfant que ses institutrices destinaient à de très belles études: le jeune André découvrira au Lycée de garçons d'Oran que son monde, celui de la tradition ancestrale, n'était pas le Monde, que la nourriture n'y était pas cacher et qu'il convenait désormais de devenir un fils digne et reconnaissant de la mère patrie… André Chouraqui vécut lui aussi ce traumatisme de l'acculturation et du modernisme qui le prépara, pour ainsi dire, à ce qui l'attendait à Paris où il débarqua en 1935 et où il décida, parallèlement à ses études de droit, de suivre les cours de l'Ecole Rabbinique de France.  La foi naïve des tendres années n'avait pas disparu sans laisser quelques traces: le jeune homme, éveillé à l'amour mais aussi à la connaissance et à la réflexion philosophique, souhaitait découvrir l'essence du judaïsme et mieux comprendre ce que ses ennemis lui reprochaient. L'école française, écrit-il avec une implacable lucidité, du jardin d'enfants à l'université, m'avait coupé de mes racines ancestrales ( p 155).
    Mais la France, c'était aussi la femme française et le jeune André se verra un jour présenter Colette, belle chrétienne entièrement spiritualisée, qu'il découvrira, pour la première fois souffrante et alitée. 
    Tout dans cette autobiographie est passionnant et digne de mention, mais faute d'espace il faut se cantonner à l'essentiel. Durant les sombres années d'occupation, lorsque l'Ecole Rabbinique se replie sur Chamalières, Chouraqui côtoie certains maîtres rencontrés rue Vauquelin. Il cite le rabbin Back, l"orientaliste Georges Vajda, (voir supra) le théologien Jacob Gordin et le Grand Rabbin Maurice Liber qui lui tint un intéressant discours sur la vocation rabbinique… Enfin, et dans un tout autre registre, Marc Chagall qui s'apprêtait alors à faire ses superbes œuvres bibliques. Mais il ne faut pas omettre les rencontres et les conversations avec Albert Camus qui travaillait jadis à  La peste  et L'étranger . L'écrivain demanda un jour au bibliste en herbe de lui parler des références scripturaires à la peste. Chouraqui nomme  dévér  pour dire la peste en hébreu et signale que la même racine a donné  davar, la parole. Et Camus d'observer:  Ainsi la peste serait la conséquence d'une déformation de la parole… ( (p 243).   
    L'heure de la Libération ayant sonné, Chouraqui ne peut plus résister à une terrible dépression consécutive à tant d'années de privations et de souffrances aussi bien physiques que morales: les souvenirs  m'assaillent de jour comme de nuit.: je ne dors pas, je mange à peine.  Les épisodes atroces des quatre dernières années, vigoureusement refoulés, m'assaillent, ne me laissant plus de reste. Les alertes aériennes, les bombardements,  les cadavres sur le bord des routes, l'odeur des cadavres, leurs regards glauques , nos routes aveugles ne menant nulle part, la voix démente de Hitler, les gémissements d'agonie de ses victimes, le râle des juifs étouffés dans les chambres à gaz, mon enfant mort dans mes bras, l'avortement de Colette,… les affamés, les évadés, des camps ou des villes…  (p 246).  Mais une telle crise, même passée, entraîne nécessairement des changements: Chouraqui embrasse temporairement la carrière juridique, Colette s'en va   -non sans lui écrire de merveilleuses lettres d'amour-,  Annette apparaît, belle brune aux yeux verts. Désormais, Chouraqui a trouvé son éshét né'urim, elle l'accompagnera à Jérusalem où ils fonderont une belle famille et bâtiront une splendide demeure à Eyn Roguél. A Jérusalem, André apprend  à connaître la rugueuse réalité israélienne; certes, il attire l'attention de David Ben Gourion qui en fait son conseiller. Cette situation était inouïe puisqu'en ces années là, les sefarades étaient presque entièrement bannies des sphères dirigeantes et constituaient ce que l'on a appelé le second Israël.
    Et pourtant, l'action de Chouraqui sera relevée même par un observateur aussi illustre et aussi attentif que le roi Hassan II du Maroc qui l'invitera à Marrakech pour s'entretenir avec lui de paix mais aussi de la situation de ses anciens sujets établis en Israël. La réaction de l'establishment politique israélien est prévisible: si le Roi veut nous parler il sait où et comment nous joindre… Une fois encore, Chouraqui bravera l'interdit et fera au Maroc un voyage mémorable…
    Les relations avec le Vatican et les différents papes ne sont pas oubliées dans cette autobiographie où elles occupent un important chapitre. On sait que les relations judéo-chrétiennes ont longtemps préoccupé l'auteur que ses traductions ont littéralement plébiscité dans ces milieux…                          
    Mais un homme, le penseur judéo-arabe du Xe siècle, mentionné au début, a marqué André Chouraqui par un livre de profonde piété qui affleure à travers toutes ces pages: il s'agit de Bahyé ibn Paquda que André traduisit en français durant les sombres années d'occupation sou le titre des Devoirs des cœurs (Hovot ha-Levavot). C'est probablement la spiritualité de ce penseur inoubliable qui grava dans le cœur d'André ces quelques lignes qui se lisent dans ce qu'il nomme  En guise d'épilogue :
    Je te cherchais en chacune de mes routes, en chacune des  lettres de ce livre, aimé de toute ma passion, parce qu'il est  le seuk au monde à chanter ton vrai Nom ---- l'Être qui a été, qui est, qui sera de toute éternité.  (p 479)

                                                                                                                                                                                                                                                                        
     

  • PRIÈRE, REPENTIR ET PARDON Le message de kippour

    PRIÈRE,  REPENTIR ET PARDON
                                               Le message de kippour
            Le Nouvel An et kippour forment un tout dans le calendrier liturgique juif et s’orientent autour de trois grands axes : confesser ses fautes et implorer le pardon divin, réaliser que Dieu est bien le créateur de l’univers et, enfin, la symbolique de la ligature (et non du sacrifice) d’Isaac. C’est un peu le sommet que la spiritualité juive atteint en ces journées de prières et de contrition. L’enseignement tiré de ce triptyque tient en peu de mots : l’infinie miséricorde divine accordant la rémission des péchés et la supériorité de la conscience morale de l’homme qui affirme ses droits : à une humanité éthique répond donc un monothéisme éthique, une divinité monothéiste, amie de l’homme, ne souhaitant que son repentir et non point sa mort. Dans le contexte monothéiste, la prière fait fléchir Dieu et provoque en lui une sorte de mutation puisqu’il abandonne la rigueur implacable du jugement pour dispenser, en fin de compte, bienfaits et bénédictions. On peut dire que le repentir sincère de l’homme est générateur de miséricorde divine.
        Que peut-on bien dire pendant tant d’heures passées à prier à la synagogue ? on prononce bien sûr des pétitions privées, des demandes personnelles ; mais il y a surtout des appels à la paix entre les nations,  à la concorde entre les êtres humains, à la clémence des cycles de la nature, en une phrase au bien-être universel.
        J’extrais deux prières qui brillent par leur vocation universaliste : les orants juifs implorent Dieu de donner  de la semence au semeur et de la nourriture au mangeur. Un peu plus loin, dans le cadre non plus des prières pénitentielles mais des grâces invoquées en faveur du genre humain, on prie Dieu que l’année nouvelle soit une année au cours de laquelle aucune femme ne perde le fruit de ses entrailles… Ces deux pétitions illustrent bien le caractère universaliste de cette journée où Israël est censé prier pour lui-même mais aussi pour l’ensemble de l’humanité. C’est pour cette raison que la figure, à la fois tutélaire et charismatique, d’Abraham, parangon de l’humanité monothéiste, est omniprésente. En effet, ce patriarche incarne l’abandon confiant à Dieu, l’invincible foi en sa providence.
        Kippour remet à l’honneur le seul instrument de musique dont le peuple juif est familier depuis l’Antiquité biblique : la corne de bélier  (shofar).  En réalité, cette sonnerie ne vise qu’à signaler la fin de la prière et du jeûne, mais pour la conscience religieuse, elle est devenue synonyme d’exaucement des prières. Les sons continus ou saccadés de cette sonnerie plongent l’orant dans un état de vigilance et l’incitent à reconsidérer tous les actes de l’année écoulée. Mais il y a aussi une symbolique moins évidente : le fait d’immoler   un bélier en lieu et place d’un être humain et de se servir de sa corne (instrument symbolisant sa puissance) pour rendre culte au Dieu unique devait montrer que cette nouveauté théologique était à la mesure de la révolution monothéiste (Ex. 14).
    Kippour est aussi le jour au cours duquel on lit à la synagogue le livre du prophète Jonas qui ne compte qu’un seul chapitre où Dieu, contre l’avis de son émissaire, se révèle être synonyme d’amour et de bonté. Jonas, ce prophète un peu impatient qui quitte, le cœur léger, une ville promise à la destruction et entend être, de loin, le témoin de sa ruine. Dans son insondable naïveté, Jonas avait tout prévu, excepté la nature conciliante et charitable d’un Dieu miséricordieux.

                                                     
    Petite Histoire de la philosophie juive (Ellipses, octobre 2008)