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Vu de la place Victor-Hugo - Page 399

  • Religion et soociété

     

     

    Religion et société

    Aucune religion n’échappe à ce phénomène incontournable qu’est l’évolution historique. Même celles qui se disent plus sacrées, plus divines, plus intangibles que les autres, se retrouvent, à un moment ou à un autre de leur existence, confrontées à une sorte de mise à jour, de remise à niveau ou d’adaptation aux mœurs, au temps qui passe ; et elle modifie alors, parfois radicalement, ses façons de voir et de penser. Pour décrire ce processus d’adaptation et de mutation, la langue allemande a recours aux deux expressions suivantes : Weltanschauung (conception du monde) ou Das Denken und Fühlen (le penser et le vécu).

    Les trois religions monothéistes dont il est question ici et qui se trouvent représentées à des niveaux divers sur le continent européen se sont confrontées à cette inéluctable évolution historique : toutes ont dû changer leurs formes et leurs doctrines datant de l’époque de leur naissance ou de leur adolescence. Pourtant, elles n’ont pas fait face à l’Histoire de la même manière, en raison, précisément, de leur origine et de l’humus culturel qui les avait produites.

    Nous nous limitons au continent européen qui a été le foyer des transformations les plus considérables et qui, après avoir été pendant près de deux millénaires, exclusivement judéo-chrétien, doit, depuis peu de décennies, compter avec un nouveau voisin, l’islam lequel souhaiterait devenir à son tour une religion européenne. Et cette prétention, en soi légitime, n’est pas sans poser quelques problèmes dont le volume et l’intensité sont fonction des territoires où cette culture religieuse souhaite s’implanter.

    Peut-on utiliser cette expression toute faite à la fois pour le judéo-christianisme, d’une part, et pour l’islam, d’autre part ? On le peut assurément mais on ne rendra pas compte avec exactitude de la situation. Regardons les choses de plus près : en Europe, c’est le christianisme qui a les racines les plus profondes ; c’est dans ce continent que des monarques de droit divin ont fondé des royaumes chrétiens où pouvoir spirituel et pouvoir temporel se soutenaient mutuellement le plus souvent, en dépit de quelques querelles devenues célèbres : et le couronnement royal se faisait dans des cathédrales car on tenait à la référence aux livres bibliques du prophète Samuel où ce dernier oint le roi Saül, ce qui en fit un roi de par la grâce divine…

    Au commencement, le dogme chrétien était tout-puissant et nul ne pouvait le contester sans risquer de passer de vie à trépas. Mais petit à petit, la libre pensée, le libre examen des Ecritures, l’autonomie de l’esprit humain, ont permis à la conscience morale de surpasser la Révélation divine et au libre arbitre de s’affirmer contre le dogme religieux. La Renaissance dont le cri de ralliement était ad fontes (retour aux sources), a renforcé la volonté de l’intelligence humaine de penser sans œillères ; d’où l’expression anglaise back to the Bible : retour au texte biblique que l’on veut interpréter selon les règles de la philologie et non plus sacrifier aux exigences du dogme religieux.

    Après la Renaissance, l’Europe chrétienne a connu l’humanisme et la Réforme (Luther, Calvin, etc…) qui ont contraint le dogme religieux, réputé infaillible et intangible, à évoluer. La redécouverte des sources anciennes, la volonté humaine de maîtriser son propre destin ont favorisé l’émergence de deux branches nouvelles de la pensée : la science des religions comparées, d’une part, et l’histoire des religions, d’autre part.

    Et vus sous cet angle, christianisme et judaïsme disposent d’une grande avance par rapport à l’islam. Et ce qu’il faut bien nommer un retard pèse d’une poids non négligeable dans la balance en vue de devenir une religion européenne comme les deux autres grandes cultures religieuses.

    Il faut pourtant évoquer un régime un peu original, voire paradoxal pour l’islam qui a connu son véritable âge d’or au cours du Moyen Age pour vivre par la suite un certain déclin à l’époque moderne. Ce qui fit dire à l’éminent islamologue judéo-britannique Bernard Lewis que dans l’islam les Lumières ont précédé un long Moyen Age… Une façon de voir qui lui valut une violente controverse avec le fin lettré chrétien d’Orient Edward Saïd.

    Au Moyen Age, l’Islam philosophique, et non point celui de l’homme de la rue, pouvait s’enorgueillir de penseurs de premier plan comme al-Farabi, Ibn Badja (Avempace des Latins), ibn Tufayl, et bien évidemment Averroès (ibn Rushd). Sans l’apport al-farabien, l’augustinisme n’aurait pas pu se développer. Sans ibn Badja nous n’aurions jamais connu la contestation de la politique d’Aristote qui nous enseigne dans l’Ethique à Nicomaque que l’homme est un animal sociable par nature. Ibn Badja passe donc pour le promoteur de l’individualisme puisque le solitaire, tel qu’il se le représente, doit déserter le milieu social où il est né pour pouvoir être fidèle aux vraies valeurs.. Quant à ibn Tufayl, ce médecin-philosophe qui eut l’insigne honneur de présenter le jeune Averroès au calife à Marrakech, il fut le premier à initier une incisive critique des traditions religieuses et de la conception populaire de la foi. Aucun penseur, chrétien ou juif, ne l’a précédé dans ce domaine ; grâce à lui, l’islam dispose d’une première place incontestée dans ce domaine car dans son épître intitulé Hayy ibn Yaqzan (Vivant fils de l’éveillé) il montre qu’un solitaire, livré à lui-même mais sachant bien utiliser son intellect, peut découvrir, tout seul, sans le concours d’aucune révélation, les lois régissant l’univers et remonter depuis les êtres les plus composites et les plus matériels jusqu’au créateur dont parlent les religions révélées…

    En ce qui concerne Averroès, son ouverture d’esprit lui a permis de tirer profit des sciences dites grecques (Platon, Aristote, etc…) et de proposer, avant tout autre, une théorie des relations entre la philosophie et la religion. Et tous ces penseurs ont vécu entre les Xe-XIIe siècles !

    Mais cette supériorité sur les autres religions (christianisme et judaïsme) eut un désavantage majeur : lorsqu’un théologien brillant mais adversaire de la philosophie musulmane d’inspiration grecque, Abu Hamid al-Ghzali, éleva une digue sur la voie de la pensée discursive avec sa Tahafut al-Falasifa (Destruction des philosophes) ce courant spirituel se retrouva sans héritiers et finit par s’étioler, voire même par disparaitre. Commença alors une longue période de décadence que d’autres mirent à profit pour se développer et se renforcer en intégrant les dernières avancées de la science moderne. Et notamment dans le domaine de la science des religions.

    Pour le christianisme, il y eut, entre autres, Ernest Renan qui avec sa Vie de Jésus (1862) révolutionna l’approche de l’essence du christianisme et les différents représentants de la théologie protestante qui initièrent une critique biblique souvent ravageuse pour le dogme en général.

    Quant aux Juifs, le XIXe siècle marque l’avènement de la science du judaïsme qui revisita les sources, les soumit à une méthode historico-critique et mit tous leurs intellectuels au travail pour bien se connaître et définir de leur mieux l’essence du judaïsme. Grâce à la maîtrise de la science historique, on sut distinguer entre la Tradition générale et les traditions locales.

    En définitive, ces deux religions, qui n’en formaient qu’une seule il y a deux mille ans, se retrouvent sur un même pied d’égalité, laissant loin derrière elles un islam qui ne pratique toujours pas la haute critique, c’est-à-dire la critique textuelle de ses textes sacrés… Or, ceci est absolument nécessaire si l’on veut devenir, comme les deux autres monothéismes, une religion-culture (Hermann Cohen).

    Pour devenir une religion d’Europe, comparable aux deux autres, il faut remplir certaines conditions, notamment vivre avec son temps, admettre en sa créance un certain humanisme et renoncer à tout exclusivisme religieux

     

     

     

  • Ilan Halimi : dix ans déjà (El malé rahamim…)

    Ilan Halimi : dix ans déjà (El malé rahamim…)

    Comme le temps passe vite, les plus nostalgiques diront qu’on a l’impression que c’était comme hier : la France, ou plutôt ses autorités politiques, n’y croyaient guère et réfutaient le caractère antisémite de ce crime odieux. C’est que le gouvernement de l’époque était dans le collimateur des autorités américaines qui accusaient ouvertement notre pays d’être antisémite, pire encore, de ne pas protéger suffisamment ses citoyens de confession juive, et en gros de céder face à la pression démographique d’une population arabo-musulmane pour des raisons électoralistes. Bref, la situation était très délicate……

    Faut il rappeler les faits ? Un jeune homme, attiré dans un traquenard mortel par une jeune fille qui servait d’appât, est torturé dans un appartement de banlieue par un gang, dit le gang des barbares, qui tentent d’extorquer de l’argent à sa famille, laquelle n’était pas particulièrement fortunée. Tant de gens savaient, dans cet immeuble conspiratif , et personne n’a rien dit ni alerté les policiers. Et quand cela a fini par arriver, il était trop tard, le jeune Ilan fut découvert, agonisant le long d’une voie ferrée.

    Et tout ce drame se déroulait dans notre beau pays, la France, il y a tout juste dix ans. Le problème ainsi créé a dépassé les circonstances qui lui donnèrent naissance : les Juifs prirent alors conscience qu’en une décennie (par rapport à 1990) la population n’était guère émue par ce qui venait d’arriver, à savoir mort d’homme. Pire ; un homme sauvagement torturé et laissé pour moi parce que juif… Le tremblement de terre survenu au sein de la communauté juive (je n’aime pas ce terme et ne considère que la communauté nationale tout en refusant d’y intégrer les ennemis français de la France) n’a pas fini de provoquer d’incroyables remous ! Les Juifs de ce pays se sont sentis bien seuls, ils se retrouvaient seuls à enterrer leur mort.

    Ce qui les a heurtés au plus profond d’eux-mêmes tient à un fait absolument incompréhensible, surtout après ce qui venait de se produire : on contestait que cet acte barbare fût d’inspiration antisémite. Mais les mêmes faits se sont reproduits en janvier 2015 lorsque les autorités policières ont refusé d’établir une connexion entre les premiers attentats avant le massacre de Charlie Hebdo et de l’hyper cacher… Toujours cette frilosité bien française à nommer un chat un chat.

    Mais voyons de plus près cette onde de choc qui a traversé tous les secteurs de la population juive, notamment cette vague de départs vers Israël et la sensation que notre beau pays était désormais invinciblement gangrénée par le communautarisme antisémite des banlieues, par une frange sans cesse croissante d’ennemis, important le conflit du Proche Orient dans l’Hexagone. Ceux qui ont regardé un reportage fait dans des classes de collèges de Seine Saint-Denis comprendront ce que je veux dire : les réponses faites par des collégiens sur les Juifs étaient sidérants ! Quelle faillite de la République !!

    Ce soir, enfin, l’actuel ministre de l’intérieur participe à une cérémonie d’hommage. Ce n’est pas suffisant, mais c’est déjà quelque chose. Est ce que cela va suffire pour guérir tous nos compatriotes juifs du traumatisme subi et des multiples attaques dont ils furent victimes depuis cette dernière décennie ? C’est peu probable. Certes, il y eut le cri du cœur de l’actuel Premier Ministre, clamant haut et fort que la France était inconcevable à ses yeux sans l’apport de ses fils et de ses filles, issus de la religion d’Israël, mais dès le lendemain, le chef de l’Etat s’en est allé boire un verre de thé de l’amitié là où vous savez… Cette opération d’équilibriste a été très sévèrement jugée et fortifiait l’impression que l’exécutif se livrait encore et en toutes occasions à des dosages qu’il croit savants…

    Tous ceux qui me font l’honneur de lire sur cette plateforme mes éditoriaux chaque matin savent combien j’aime mon pays, combien j’évite le dolorisme et rejette toute victimologie. Pourtant, je ne trouve rien à répondre à ceux et à celles qui, dans mon propre cercle familial, me disent qu’il n y a plus d’avenir dans ce pays… Que même la sécurité n’ y est plus assurée… Un célèbre avocat parisien me confiait récemment que ses propres petits enfants ne voulaient plus vivre bunkérisés ni prier dans des lieux de culte protégés par des hommes en armes…

    J’ai moi-même pu le vérifier de mes propres yeux : partis donner une conférence dans une ville de province et arrivés assez tardivement dans ces lieux à cause d’un caprice de la SNCF, le taxi me dépose devant une porte blindée près de laquelle se trouvaient trois jeunes soldats armés de fusils d’assaut et revêtus de gilets pare-balles… Curieuse mise en bouche pour donner une conférence sur un grand philosophe judéo-allemand du début du XXe siècle.…

    Les Juifs se disent entre eux que pour des raisons inavouables, les autorités ne réagissent pas comme elles le devraient ! Par souci d’équité, je ne détaillerai pas les arguments énoncés. Mais je dirai quelques mots du sentiment qui s’est emparé de secteurs entiers de cette même communauté juive : la solitude, l’esseulement, l’indifférence dont ces Français juifs se croient victimes.

    L’accusation la plus grave, celle qui fait le plus mal, est apparue après les terribles attentats de janvier : la plupart des Français juifs ont pensé, voire même dit que si les journalistes de Charlie n’avaient pas été tués, les victimes juives seraient presque passées inaperçues… Cette réaction m’a très vivement touché car la comparaison s’imposait avec le majestueux défilé de 1990 auquel même le président de l’époque, Fr Mitterrand s’était associé. Seize ans plus tard, on ne vivait plus dans le même monde.

    Pour conclure ce papier il faut dire un mot du sentiment de solitude que les Juifs ont ressenti et continuent de ressentir tout au long de leur histoire. On leur reproche depuis Tacite, voire depuis Manéthon, le bibliothécaire d’Alexandrie du IIIe siècle avant notre ère, de vivre entre eux, de pratiquer l’endogamie, bref de cultiver leur solitude, telle que la décrivait le livre du Deutéronome…

    Mais au XVIIIe siècle, un rabbin du nord de l’Allemagne a émis le vœu que les Juifs, tout en demeurent ce qu’ils sont, soient INTEGR2S, MÊLES aux autres créatures de Dieu… Il utilise deux verbes hébraïques qu’il faut traduire prudemment : NIVLA’ im ha-biryot, ME’ORAV ‘im ha-biryot…

    La route est encore longue, très longue…

    Maurice-Ruben HAYOUN in Tribune de Genève du 13 février 2016

  • La déchéanbce de nationalité, les binationaux et les naturalisations

    La déchéanbce de nationalité, les binationaux et les naturalisations

    Depuis quelques semaines, on ne parle en France que de cette déchéance si disputée de nationalité. Pourtant un minimum de clarification s’impose. Selon nous, il faut revenir à la première mouture de la loi, celle que François Hollande avait exposée dans son discours solennel devant le congrès à Versailles. Il ne faut viser que les binationaux et non tous les Français. Cela soulève un problème, celui de l’égalité des Français entre eux. Mais chacun sait que dans l’esprit de son concepteur, cette loi vise une certaine catégorie de gens qui, tout en étant nés ici ou en ayant bénéficié d’une naturalisation inconsidérée, ont porté leurs armes contre la France, censée être leur pays. Donc, il fallait laisser en place la première mouture. Mais les réticences furent si vives que, comme d’habitude, le pouvoir en place a battu en retraite, reculant chaque fois qu’il y aune réaction négative. Et aussi parce qu’il n’osait pas appeler un chat un chat : chacun sait que ce ne sont pas des Européens, des Finlandais ou des Norvégiens qui ont fait cent-trente morts le 13 novembre, mais une certaine catégorie de gens qui ne se sentent absolument français au point d’abattre sauvagement des Français authentiques et innocents.

    Cette thèse peut surprendre et ses défenseurs savent qu’elle peut heurter les belles âmes. Mais voilà, le pouvoir actuel se rend compte que depuis près d’un demi siècle, les gouvernants ont laissé entrer dans ce pays un certain nombre de gens qui n’avaient pas vocation à y faire souche. Et pourtant, ce fut le cas. Et ces gens avaient une autre nationalité qu’ils ont conservée, ce qui est leur droit, mais à laquelle s’est ajoutée la nationalité française, ce qui fit dire à l’ancien président du FN que ce sont des Français de papier. Il y a aussi la législation très attractive mais bêtement généreuse du droit du sol (jus soli) qui vous rend français automatiquement, même si vous ne sentez guère français. Un récent sondage effectué de l’autre côté du périphérique, notamment en Seine-Saint-Denis, a montré qu’une écrasante majorité de fils et de filles d’émigrés, d’Afrique du Nord et d’Afrique noire, ont répondu qu’ils ne se sentaient pas français alors qu’ils disposent d’une carte d’identité française. C’est là un grave problème et qu’il faudra bien résoudre un jour, dans un sens ou dans un autre.

    Lorsque l’alternance arrivera il faudra prendre à bras le corps ces questions des binationaux, des apatrides et des naturalisés. On ne peut plus traiter à la légère le cas de gens qui tuent leurs compatriotes ou alors il ne faudrait plus les considérer comme des Français. Mais dans ce cas, il y aura un grave problème pour l’Etat d e droit ; or, la France est heureusement un Etat de droit. Toute la subtilité de la démarche consiste à protéger les nationaux sans enfreindre les règles juridiques. Mais comment combattre le terrorisme ?

    D’où cette question de la déchéance de nationalité qui a relégué à l’arrière-plan toutes les autres, la crise, le chômage, le pouvoir d’achat, l’insécurité, l’immigration, etc…

    L’Assemblée Nationale a voté dans le sens voulu par le gouvernement, mais le Sénat va tout faire pour ramener le texte de loi dans son sens premier, visant les binationaux. Sans vouloir les discriminer, c’est de là que vient le problème. Mais le pire serait que le congrès soit un échec.