CONFERENCE PRONONCÉE AU COLLEGE DES BERNARDINS
LE VENDREDI 12 OCTOBRE 2012 A PARIS
EDITH STEIN ET LE JUDAÏSME DE SON TEMPS
L’état du judaïsme d’Allemagne et de ’aire culturelle germanique à l’époque d’Edith Stein (1891-1943)
Pour les juifs d’Allemagne et de l’aire culturelle germanique, ce qui inclut l’Autriche-Hongrie et la quasi-totalité de ceux qui vivaient à l’est (Ostjuden) et au centre de l’Europe, le XIXe siècle, dans son ensemble, marque un tournant. Cette mutation mais aussi ce renouveau avaient débuté au cours du siècle précédent avec la personnalité à la fois charismatique et emblématique de Moïse Mendelssohn (1729-1786), célèbre tant pour ses œuvres que pour son ouverture d’esprit, son modernisme, son rapport aux autres et son amitié sincère et féconde avec Gottlob Ephraïm Lessing (ob. 1780), l’auteur de Nathan le sage, de la pièce de théâtre Die Juden et de L’éducation du genre humain[1].
Mendelssohn peut être considéré, à juste titre, comme le fondateur du judaïsme prussien et du judaïsme moderne. Issu d’un milieu pauvre, né dans une bourgade peu connue de l’Anhalt, Dessau (il signait d’ailleurs Moshé mi-Dessau dans sa correspondance hébraïque: Moïse de Dessau), son père était un modeste copiste de rouleaux de la Tora. Le jeune Moses quitta, dans des circonstances peu claires, sa bourgade natale et suivit à Berlin son mentor religieux, le grand rabbin David Fränkel, spécialiste connu du talmud de Jérusalem. Ce dernier veilla sur son jeune disciple dans la capitale prussienne en l’installant dans une opulente famille où il fit fonction de précepteur des enfants, moyennant le gîte et le couvert.
Sans trop m’y attarder -je renvoie au livre cité en note 1 que j’ai consacré à ce père-fondateur- je rappelle que le legs spirituel de ce grand homme est diversement vu et apprécié par les historiens. On est en présence de deux écoles : la première dont je suis salue son esprit visionnaire et perçoit en lui le pionnier de l’Emancipation, conduisant son peuple hors du ghetto, avec bienveillance et discernement, sur la voie du progrès, de l’ouverture, tout en restant fidèle aux doctrines et aux pratiques ancestrales, tandis que la seconde, largement représentée dans l’historiographie israélienne actuelle, le traite de père de l’assimilation, de liquidateur de la tradition et le tient pour l’introducteur des ferments de la discorde au sein de la grande communauté juive d’Europe. On lui reproche aussi d’être responsable de l’ameublissement des structures religieuses traditionnelles.[2]