Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Vu de la place Victor-Hugo - Page 844

  • La France et le nationalisme turc…

    La France et le nationalisme turc…

    Alain Juppé, l’excellent ministre français des affaires étrangères, a parlé de sagesse quand il a gentiment conseillé au gouvernement turc, et plus spécialement à son chef, de ne point «surréagir» au vote par l’Assemblée Nationale d’une loi réprimant la négation de tous les génocides, notamment, en l’occurrence (et il faut bien le dire) le génocide arménien de 1915-17 .

    Je dois de prime abord féliciter le ministre (ancien élève de l’Ecole normale supérieure) pour ce néologisme (sur-réagir), cette trouvaille terminologique innovante dont peu de ses collègues sont capables. Ce schème morphogénétique (pardonnez le jargon des linguistes) est plutôt rare dans notre langue française et est bien plus courant dans la langue de Goethe dont les pré- et postpositions constituent une sorte de noyau dynamique qui confère à la langue une agilité plastique (en allemand : eine Gediegenheit) qui accroît d’autant sa palette de sens, en un mot sa polysémie…

    Voyez l’ingratitude proverbiale des Français, nous devrions être reconnaissants à l’actuel Premier Ministre turc de nous donner une rare opportunité d’enrichir notre langue ou, à tout le monde, d’être enfin conscients de ses ressources insoupçonnées. Merci donc, cher Monsieur Erdogan.

    Vous avez bien compris, ce qui manque à la sérieuse moustache de M. Erdogan, c’est de l’humour ! C’est tout de même assez incroyable ! Quand on voit les manchettes de la presse turque, aucun titre n’a eu l’intelligence de prendre un peu de distance, de se dire que ce sont des affaires intérieures, que des élections approches ou que tout simplement, cette histoire n’a pas été fabriquée de toutes pièces et que, somme toute, les Français n’y sont pour rien. Enfin, nul n’est au-dessus des lois, pas même la Turquie.

    Que cette démarche du parlement français irrite gravement certains secteurs gouvernementaux turcs, on le comprend aisément, mais que l’on menace la France des pires sanctions, voilà qui prête à sourire. Un professeur-journaliste peut le dire ici sans crainte : ce ne sont pas Turcs qui investissent le plus en France mais plutôt les Français en Turquie. Et puis, il faut que cessent ces éruptions nationalistes à répétition qui jalonnent la vie politique turque depuis des décennies.

    Certes, l’échec des négociations en vue d’une intégration européenne peuvent susciter de l’amertume et, dans cette affaire, je regrette que certains dirigeants européens aient, à la légère, fait promesses intenables aux Turcs. Il y a quelques années, j’étais invité à un colloque international à Lisbonne par la fondation Gulbenkian (encore un Arménien !) à propos du dialogue des cultures. Une députée européenne grecque, parlant parfaitement français m’a dit, lors d’un dîner, qu’une entrée de la Turquie en Europe bouleverserait tous les équilibres, tant au parlement que dans toutes les commissions, exécutives ou consultatives. Et surtout deux points, me dit-elle, soulèvent de graves objections : le statut de la femme et l’exclusivisme religieux. Depuis, ce pays a fait quelques pas en avant mais qui sont encore loin des standards européens.

    M. Erdogan devrait donc tenir des propos plus modérés et inciter son peuple à être un peu moins hystérique. Cela dit, révérence gardée.

    Mais ce qui inquiète beaucoup plus, ce sont les allusions à peine dissimulées aux racines d’un prétendu sentiment –anti-turc de la part du chef de l’Etat, un sentiment qui serait rattaché, selon certains publicistes du Bosphore, à des origines familiales partielles, situées du côté de Salomique…

    Mais comme le rappelait M. Juppé, les peuples turc et français ont tant de choses à faire ensemble et demain ils se retrouveront, apaisés, autour d’une question arménienne enfin résolue, grâce aux efforts conjugués de tous les hommes de bonne volonté.

     

    Maurice-Ruben HAYOUN

    Tribune de Genève du 23 décembre 2011

  • La Syrie et l’Irak au bord de la dislocation

    La Syrie et l’Irak au bord de la dislocation

    Nous étions déjà quelques uns à penser que l’évacuation de l’Irak par les troupes US était une erreur. L’insécurité règne et l’actuel Premier Ministre Nouri Al-Maliki qui s’est maintenu au pouvoir envers et contre tout au lieu de le partager, est en train de hâter le processus de dislocation de son pays, en exigeant qu’on lui livre un Vice-Président kurde, qu’il accuse, sans preuves, d’avoir commandité des assassinats. A quoi le principal intéressé rétorque, je cite, que «l’actuel Premier Ministre est un menteur et un dictateur, bien pire que Saddam Hussein».

    Nos craintes n’ont pas tardé à se vérifier : il y a moins d’une heure, de violentes explosions secouent Bagdad et on déplore déjà plus de 10 morts et de nombreux blessés. Il est indéniable que ces explosions ont quelque chose à voir avec les menaces d’Al Maliki qui veut en finir avec ses opposants et n’hésite pas, pour cela, à recourir à tous les moyens à sa disparition. Je l’ai entendu hier sur Al-Djazira rappeler qu’il était le chef suprême des forces armées. Il faut lui rappeler aussi la fameuse phrase de Nikita Kroutchov : On peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s’asseoir dessus…

    La suite, hélas, est prévisible ; le danger de la partition menace, et l’Irak, si les USA ne reviennent pas remettre de l’ordre, va basculer dans le chaos, le pays va devenir une sorte d’Afghanistan bis. Il faut conjurer ce danger. L’actuel Premier Ministre, déjà boycotté par le bloc sunnite, ne tiendra pas longtemps car l’Iran est en train d’étendre son influence, aspirant secrètement à remplacer les USA sur les rives de l’Euphrate. C’est une illusion qui va coûter cher à M. Al-Maliki car les voisins immédiats de l’Irak ne l’accepteront jamais.

    Sans même parler de la Syrie, où la répression aurait fait, ces dernières quarante huit heures près de 250 morts. Certes, le gouvernement de Bachar donne l’impression de plier mais il y a quelques jours, il s’est livré à une démonstration de force, une gesticulation militaire de grande ampleur, afin de montrer qu’il a encore les moyens de résister à une éventuelle intervention extérieure. Et tout récemment, une confrontation armée eut lieu entre son armée et des déserteurs qui furent littéralement pulvérisés…

    J’ai bien l’impression que ce régime ira jusqu’au bout, sans égard pour les morts et les blessés. Il est assez scandaleux de voir que les Russes et les Chinois bloquent l’adoption de toute résolution condamnant un régime qui massacre son propre peuple. Et je crains que les Occidentaux soient prochainement conduits à intervenir sur place, directement ou indirectement, or la Syrie n’est pas la Libye et les dirigeants de Damas ont derrière eux une longue tradition de répression atroce. Peut-être faudrait-il leur faire parvenir des armes pour réduire le pouvoir des blindés et des hélicoptères de combat de Bachar.

    Même si les dangers qui pèsent sur l’Irak et la Syrie sont similaires ( partition, sécession, guerre civile, chaos politique et désastre économique), les contextes politiques diffèrent : Bagdad a eu des élections libres ou presque, adopte un mode de vie politique proche de la démocratie, en dépit des penchants autocratiques de M. Al-Maliki, tandis que la Syrie voit son propre gouvernement organiser la répression sanglante contre son peuple… Mais rien ne dit que la situation ne s’envenimera pas brutalement à Bagdad où le maître actuel cherche à concentrer tous les pouvoirs. Réclamer la tête d’un Vice-Président, kurde de surcroît, pour le faire juger et probablement condamner, est une erreur grossière qui risque de coûter cher.

    Décidément les choses dans cette région ne s’arrangent pas : le Hamas, le Hezbollah, l’Iran, la Syrie, l’Irak… Quand donc l’esprit de Dieu planera-t-il enfin sur place…

  • De la démocratie turque ou au néo-impérialisme ottoman ?

    De la démocratie turque ou au néo-impérialisme ottoman ?

    Ce n’est pas la première que l’on parle de l’évolution de la Turquie moderne, à la grande fureur de certains qui feraient mieux, comme disait Spinoza, de tenter de comprendre au lieu de s’indigner, de manière presque automatique. Aujourd’hui, la Turquie de M. Erdogan, non contente de frapper désespérément à l’huis d’une Europe rétive, veut dominer la région du Proche orient arabe, s’allie avec la Syrie pour ensuite s’en séparer, pactise avec l’Iran pour ensuite permettre aux USA l’installation partielle d’une batterie de missiles anti-missiles… Bref, une démarche que Walter Rathenau, éphémère ministre de la République de Weimar, avait , en parlant de son propre pays, qualifié de politique en zigzag. Mais qui serait le Rathenau de la Turquie  contemporaine?

    Serait-ce l’actuel Premier Ministre qui cherche par tous les moyens à se frayer une voie vers l’hégémonie régionale, surfant avec une terrible maladresse sur les différentes oppositions locales pour se retrouver à la tête d’une partie du monde qui n’a pas gardé de très bons souvenirs de la domination ottomane ? On pourrait oublier tous ces atermoiements et fermer les yeux sur tous ces revers diplomatiques, mais depuis quelques jours la Turquie a franchi un pas qui pourrait lui coûter cher : le régime actuel turc menace la France de représailles et de rétorsions si l’Assemblée Nationale poussait plus avant l’examen d’un projet de loi qui place la négation du génocide arménien au même niveau que la négation de la Shoah. Et ce n’est que justice ! Un génocide en vaut un autre et sa négation doit, à ce titre, être prohibée par la loi.

    Lors de son visite officielle en Arménie, le chef de l’Etat a appelé la Turquie à reconnaître les erreurs du passé et à adopter une attitude responsable vis-à-vis de sa propre histoire. Plus d’un million et demi d’Arméniens furent massacrés entre 1915 et 1917 parce qu’ils étaient ceux qu’ils étaient… Mais les gouvernements turcs successifs n’ont jamais consenti à faire un pas dans la bonne direction. Officiellement, on reconnaît la disparition d’un demi million de morts, «victimes collatérales des aléas du premier conflit mondial.»

    Le parlement français et le ministre Alain Juppé ont refusé de plier et que font les Turcs ? Au lieu de comprendre et de voir dans cette approche une démarche historique légitime, de nature à rendre justice à un peuple martyr, ils remplacent les arguments par des invectives, voire même par des menaces. Les autorités turques actuelles qui s’emportent un peu trop vite ces derniers temps, devraient y regarder à deux fois avant de s’emballer. N’est pas Soliman le magnifique qui veut. La France dispose, elle aussi, de maint levier pour contrecarrer les représailles et les boycotts de toute nature.

    D’habitude, le président Abdullah Gûll, grand diplomate rompu aux négociations internationales, rattrapait les bévues de son président, aujourd’hui, il lui emboîte le pas, sans trop de discernement. On a vraiment l’impression que le régime d’Ankara commence à buter contre ses propres limites. Les erreurs diplomatiques s’accumulent : rupture avec Israël au grand dam de l’armée turque, alliance inconsidérée avec la Syrie de Bachar el Assad qui a commis des crimes contre l’humanité, rapprochement avec l’Iran des Mollahs pour ensuite s’en écarter aussi précipitamment qu’on s’en était rapproché, ouverture tous azimuts vers l’Asie centrale tout en frappant avec insistance à la porte d’une Europe plus que réservée… Et maintenant, c’est la France, patrie des droits de l’homme qui a toujours accueilli des Turcs (voyez Strasbourg et l’Alsace en général) qui fait l’objet des récriminations de M. Erdogan lequel invite Paris à scruter sa propre histoire coloniale… Mais la France, elle, n’a jamais commis de génocide et a œuvré avec détermination au développement de ses anciennes colonies.

    Avant de donner des leçons aux autres, il faudrait cesser d’emprisonner des journalistes et des activistes kurdes et jeter en prison des opposants. Il faudrait aussi donner une meilleure image de son propre pays.

    Tous les peuples peuvent avoir commis des erreurs. Mais certains les reconnaissent et veulent les réparer. D’autres pas.