Dominique de Villepin, Hôtel de l’insomnie. Paris, Plon, 2007 Si elle l’ignorait jusqu’ici, la France a eu un Premier Ministre poète qui s’appelait Dominique de Villepin. Ce très beau livre, dont le titre se saisit bien, dès lors qu’on se plonge dans la lecture, est un délicat et subtil passage en revue de tout ce que l’esprit humain a produit d’éminent : de poètes, d’écrivains d’artistes, bref d’hommes de lettres. Pourquoi l’auteur a-t-il écrit un tel texte alors qu’il fut intensément plongé dans la vie politique quotidienne ? Diplomate de carrière, ayant suivi son père dans ses multiples déplacements professionnels à l’étranger, l’auteur a pu amasser une grande quantité de sensations, de sentiments, bref un vécu que le Français moyen est loin d’avoir. Mais ce qui frappe le plus, hormis ces pages absolument magnifiques dans l’évocation nostalgique de la vie et de l’œuvre de certains poètes, c’est l’omniprésence de la peur. Pas de la mort, mais de la peur ! Si on le comprend bien, l’auteur écrivait généralement après 21 heures, qu’il fût à l’Elysée, au Quai d’Orsay, Place Beauvau ou rue de Varenne…
On a presque l’impression de lire le Cantique des Cantiques quand l’auteur putatif Salomon, parlent des ombres qui fuient, au coucher du soleil. Vers cette heure là nous dit l’auteur, le téléphone ne sonne presque plus. Et l’apprenti poète en profite pour se ressaisir, pour penser et pour écrire. Et surtout, pour lire, la lecture des grands poètes et écrivains comme antidote de la bassesse, de l’étourderie des choses politiques… Il est impossible de reprendre point par point les thèmes traités et les personnages évoqués, toujours avec un infini bonheur. Mais considérons cette citation ( p 171 in fine) : Plus que tous les autres avant lui, plus que le siècle des guerres de religion, le siècle dernier fut celui des poètes résistants, des poètes tués. Sur les champs de bataille et dans les prisons, dans l’étouffement des asiles et dans les camps. Dans l’ensauvagement misérable des guerres civiles. J’aimerais dédier ce journal d’insomnie à Trakl, à Mandelstam, à Lorca.
Ancien ministre des affaires étrangères, l’auteur s’est assurément penché sur le conflit israélo-arabe en évoquant des figures éminentes comme le poète palestinien Mahmoud Darwich (dont certains poèmes en arabe figurent dans les manuels israéliens traduits en hébreu) et Amos Oz, reclus dans son ermitage d’Arad, non loin de la Mer morte. Il consacre aussi à la page de très belles pages qui reflètent une émotion aussi profonde qu’autehntique. Mais c’est le Premier Ministre reprend la parole à la fin du journal, pour dire qu’il n’a pas peur, que nul ne connaît le dernier pont, nul ne connaît l’heure… Avec le ciel et le vent, il y a d’autres vies à vivre.